Je fais un petit signe de main pour montrer à Greg que ce n'est pas bien grave. C'est nouveau tout ça, il va falloir du temps pour que l'on s'habitue à tout cela. À ces nouvelles conventions. Il ne va pas falloir se mélanger les pinceaux mais je sais qu'il est intelligent. Très intelligent. Et il n'y a rien de plus charmant qu'un homme qui sait se servir de son cerveau. " Et bien on part comme ça ! Je vais voir avec le créateur si c'est possible d'avoir un rendez-vous fin de semaine, histoire qu'il prenne ton tour de cou et le fasse sur mesure. Tu travailles samedi ? " Que je demande rapidement. Je ne connais pas l'emploi du temps du jeune homme sur le bout des doigts, loin de là même. Il y a des jours où j'essaye de le joindre sur sa ligne et ça ne répond pas, à mon grand regret. Mais il ne reste plus longtemps avant le bal alors il va falloir trouver du temps. Mais les 5-6 et 7 sont des jours mis entre parenthèses sur mon calendrier. Il me montre une nouvelle chemise et ce n'est pas ce qu'il faut. Je file, prends ce qui me semble sera parfait et reviens vers lui. Je suis la personnal shopper de mon employé, c'est le comble. Mais j'aime bien ce rôle, pour le moment. Il file et revient. J'ai l'impression de le suivre du regard dès qu'il bouge, pour être sûre que ce costume le met en valeur, sous tous les angles. Que ce costume - et lui bien entendu - montre qu'Ella Marriott-Wildingham a du goût. Il aurait trouvé un très beau costume tout seul mais là, ça sera parfait. Enfin, c'est parfait. Je souris à ses questions et tourne le visage vers la vendeuse au loin. D'un signe de doigts, elle arrive rapidement vers nous. " Vous avez un noeud papillon pour ce costume ? Rouge. Coquelicot. Pas rouge cerise, ni rouge sang. Coquelicot " Que je souffle avant de me tourner vers Greg qui commence par me vouvoyer et termine sa phrase par un tutoiement. Ça m'arrache un large sourire. " J'adore, c'est parfait. Les manches de la chemise, tu préfères comme ça ou sans boutons de manchettes ? Mon père disait souvent que les boutons de manchettes, c'est classe mais c'est contraignant " Que je lui confie, une voix un peu plus basse, moins haut perché et plus triste que le ton enjoué de nos derniers échanges. La vendeuse revient, je grimace et prends les deux choix qu'elle m'apporte. " C'est pas Coquelicot ça… " Je lève les yeux au ciel et lui en rend un. " Définitivement, samedi, on s'occupe du noeud papillon " Que je lance en m'approchant de lui. Je lui souris et regarde le tissu dans ma main. " Je peux ? " Je ne voudrais pas mettre mes mains autour de son cou s'il préfère le faire lui même… Mais j'espère qu'il ne refusera pas, on ne va pas se mentir…

Bien. Je note que samedi, il faut que je demande au créateur de ma robe d'être là pour 14 heures. Nous pourrons faire un dernier fitting mais aussi tout préparer pour le noeud papillon de Greg. Je suis contente qu'il accepte ma proposition parce que je me doute bien que ce n'est peut-être pas facile de dire oui. Enfin, il va devoir venir me voir dans son environnement professionnel mais pour quelque chose de personnel. Nos deux mondes se mélangeront, chez moi. Je chasse toutes ces images qui me viennent en tête et pars à la recherche de la chemise et de la veste idéale. Je regarde tout, la coupe, les boutons, les coutures aussi. Rien de grossiers et de cheap. Il y a de tout ici et même si ce n'est clairement pas mon genre de boutiques, j'apprécie la variété des tissus, des coupes et des propositions. Ce n'est pas monotone. Certaines choses mériteraient d'être brûlées mais d'autres sont vraiment pas mal. Il ressort dans un costume complet qui lui va parfaitement. Je souris à sa réflexion. " Il serait ravi de l'entendre. Mon père adorait entendre qu'il a raison… Je tiens cela de lui " Que je souffle en essayant de me replacer dans le moment présent. Ce n'est pas le moment de déprimer, de pleurer dans les chaumières et tout ce qui va avec. Je prépare déjà le milieu de la semaine pour cela. Et puis, mon père préfèrerait que je parle comme ça de lui plutôt que de mettre en avant toute la peine que j'ai sur le coeur. J'ai toujours été chouchoutée par mon père mais au niveau professionnel, toujours mise de côté. Mais c'est comme ça. Et il n'y a plus rien à changer à ce sujet maintenant. Alors que j'ai un noeud papillon rouge en main, je lui demande l'autorisation de lui passer. Je ne voudrais pas le prendre par surprise ou le mettre mal à l'aise. Mes doigts agiles lissent le tissu, je fais le noeud et rabaisse le col pour pouvoir le centrer. Mes doigts sur le tissu, je bouge légèrement le noeud de haut en bas pour le centrer parfaitement. Il est très proche de moi quand il me demande mon avis. Je fais un pas en arrière et hoche de la tête. " C'est magnifique. Ça ressort parfaitement avec tes yeux " Il a toujours un joli sourire sur le visage. Mais cette couleur accentue la douceur de ses iris et je m'y perds quelques secondes. " Quand je te vois comme ça, je me dis qu'on devrait vraiment refaire les tenues du Copley. Ça manque un peu de couleur " Et de folie. Et allez savoir pourquoi, c'est à Greg que j'associe ce mot. La Folie. L'insouciance. Et le plaisir aussi. Avec sa candeur, son sourire et son regard, j'oublie tout. Et ça fait du bien. " Eh bien écoute… Je crois que tu as trouvé ton costume " Je souris doucement. Et c'est peut-être là que je devrais partir ? Mais j'ai envie de passer un peu plus de temps avec lui, pour apprendre à le connaître un peu. Histoire que le 15 mai soit un peu moins… étrange pour lui comme pour moi.

Je regarde Greg et lui adresse un léger sourire. " Les histoires qu'on raconte de lui ne lui font probablement pas justice… Il était sévère mais je ferais n'importe quoi pour l'avoir à mes côtés, ne serait-ce que cinq minutes " Mais je sais aussi que si j'avais cette chance, je ne serais que plus frustrée de le revoir partir. On a beau avoir eu de nombreuses discussions houleuses, de nombreuses disputes, mon père reste l'homme de ma vie. Ça peut sembler si étrange pour certaines personnes mais pour moi, c'est comme ça. Je suis la petite fille à son papa et ça ne changera jamais. Même mort, je suis toujours cette gamine qui courait partout et sautait dans les jambes de son père dès qu'elle entendait la porte s'ouvrir. Je ne compte plus le nombre de fois où je m'empêchais de dormir, juste pour le voir. Juste pour l'apercevoir venir embrasser mon front avant de filer faire de même avec Dimitri et Camila. Perdue dans mes pensées, il me faut quelques secondes pour répondre à la deuxième partie de sa phrase. " Merci. J'apprécie " Parce que c'est le cas. Ça me fait plaisir qu'il dise ça alors qu'il n'est pas obligé. Il pourrait juste faire son job et voilà. Il n'est pas l'épaule sur laquelle je vais pleurer, c'est sur. Mais un peu de soutien ne fait jamais de mal. Plus proche de lui pour le noeud papillon, j'aimerais que notre proximité soit dans un endroit moins public, juste pour pouvoir l'embrasser et oublier tout cela. Oublier que le 6 mai va me frapper en plein visage et que je vais avoir le coeur brisé. Alors, pour ne plus y penser, je complimente le jeune homme. Parce qu'il le mérite. Je me demande bien comment il fait pour être célibataire. Un mec comme ça, je ne le laisserais pas filer. Enfin, de ce que je sais de lui. Peut-être que sa vie privée est aux antipodes de sa vie professionnelle. Il me remercie et quand ses lèvres s'écrasent sur ma joue, je me sens toute con. J'ai l'impression d'être dans cette série que je regarde le dimanche soir pour me détendre ; Zoey's Extraordinary Playlist et que je viens donc de lui chanter je ne sais quel tube pop qui pourrait consister en toutes ces pensées. Je le regarde filer et me dirige vers mon sac à main et le tote bag plein de livres que j'ai. Je lui emboite le pas en direction de la caisse et souris à sa proposition. " Il y a un très bon vendeur de beignets au bout de la rue, ils font des cafés aussi " Parce que je doute qu'avec un corps comme ça, il se goinfre de sucre. " Je n'ai pas mangé depuis … hier midi je crois alors mon estomac commence à faire des siennes " J'ai mangé des chips à l'hôpital, ainsi qu'une barre de chocolat ou deux. Et c'est tout. Je n'appelle pas ça manger, tout comme des beignets mais j'en rêve. Je rêve encore plus des beignets de chez Krispy Kreme… Vivement Londres !

Les mots de Greg sont simples mais ils m'emplissent de bonheur. Je ne peux pas expliquer pourquoi mais de savoir qu'il aurait adoré rencontrer mon père, ça me touche. Il a toujours été apprécié dans son milieu bien que ces décisions et sa gestion de Marriott International a beaucoup fait parler à certains moments. Mon père et mon grand-père ont pris des risques fous pour l'époque mais aujourd'hui, nous sommes les numéro un au Monde et cela ne vient pas en se tournant les pouces devant une série Netflix. Le monde n'appartient pas forcément à ceux qui se lèvent tôt mais il appartient carrément à ceux qui se démènent pour faire bouger les choses et faire ce qu'ils aiment de leur vie. Greg ira loin dans la vie, par exemple. Et alors que nos chemins pourraient se séparer ici, nous décidons d'aller manger un petit quelque chose. Je suis plus thé que café - j'ai vécu sept ans en Angleterre après tout - mais je ne suis pas contre un moment de calme où discuter et apprendre à le connaître. Nous sortons de la boutique et je mène la danse pour aller chez ce petit café que j'aime tant. Les beignets sont énormes et fourrés à des tas de goûts. Je rêve déjà de celui crème-framboise. Je le regarde et souris doucement. " Francesca devait venir chez moi mais elle a eu un accident de voiture sur le chemin. Rien de grave mais bon… J'ai passé la nuit à l'hôpital et je ne me souvenais pas que la bouffe d'hôpital était si… infecte " Que je souffle doucement. Ça serait un bon endroit où investir ça. Offrir autre chose que de la soupe sans sel, du pain tout mou et du boudin noir à ses patients. Et les pâtes. J'en aurais des renvois rien que d'y penser. " Du coup j'ai mangé des cacahuètes, des chips et.. voilà. Ce matin, j'avais besoin de m'aérer l'esprit alors j'ai pris une douche, me suis habillée et me voilà " Que je souffle en regardant droit devant moi pour repérer la boutique au loin. Nous entrons rapidement dans le petit shop et je pose mes deux sacs à une table. " Les beignets Oreo et Caramel au beurre salé sont géniaux. Mais mon préféré est celui à la crème et à la framboise. Ça me rappelle tellement Londres " Que je souffle doucement. Le comptoir est plein de douceur et j'ai envie de tout prendre. Oh. Celui au citron… " Tu viens de New York, c'est ça ? " Que je demande rapidement au jeune homme. Je ne fais rarement attention aux CVs de mes employés, mais quand l'un d'entre eux sort du lot, je m'y intéresse un peu plus. Et je m'intéresse grandement à Greg, on ne va pas se mentir.

Je lui offre un joli sourire, sincère, quand il met en avant le fait qu'il aurait pu venir nous apporter à manger bien qu'il était en repos. Je crois aussi que c'est à ça que l'on voit que quelqu'un est bon. Le fait qu'il est prêt à mettre entre parenthèse un moment personnel pour aider ceux qu'il sert déjà toute la semaine. " C'est gentil mais tu n'es pas mon serviteur Greg.. On aurait pu commander mais ça ne nous est même pas passé par l'esprit, c'est pour dire " Trop paniquée par l'état de Frannie, de trop nombreux souvenirs remontants à la surface. Et puis, je dois aussi avouer que je n'avais pas trop d'appétits. Enfin, assez pour manger des chips mais ça s'arrête là. Maintenant, je regrette un bon plat de pâtes faites maison… Nous nous dirigeons vers le shop et je lui donne quelques conseils. Qui n'en sont pas vraiment puisque toute la carte est divine. Parce que oui, je les ai tous goûté. Je le regarde, un peu surprise quand il me dit qu'il volera un bout de mon dessert. Ah. C'est nouveau ça. On mange dans l'assiette des autres maintenant ? " De l'ambition… J'aime ça ! " Je ris légèrement et enchaîne. " Celui qui piquera dans mon assiette n'est pas encore né. Mais je te laisserais peut-être l'autorisation d'essayer " Que je souffle avec un regard des plus charmeurs avant de faire un clin d'oeil en sa direction. On my terms, maybe. J'écoute ce qu'il me dit. Des origines espagnoles. Intéressants tout cela… J'espère qu'il parle espagnol, parce que ça c'est grave sexy… J'adorais me prendre la tête avec mes collègues lors de mon stage à Madrid juste pour les entendre me crier dessus dans cette langue. " Non, je suis née à Londres. Ma mère est anglaise et mon père biologique… Je n'en ai aucune idée. Ma mère a fait appel à un donneur. Elle voulait un enfant et n'avait personne qui lui convenait dans sa vie… On a vécu à Londres deux ans et un peu après la naissance de Dimitri, on a déménagé à Washington, où on a toujours vécu. Jusqu'à… Mes dix-huit ans puisque je suis partie vivre à Londres. Enfin, Oxford plutôt " Je ne trouvais pas ce que je voulais, ici, dans ce pays alors je suis rentrée chez moi. J'ai passé du temps avec mes cousins, ma famille et suis revenue à l'annonce de la rechute de mon père. Il paye tout et je fronce les sourcils. " Si on reprend quelque chose, c'est pour moi " Normalement, la personne qui aurait fait ça aurait surement droit à une scène du type "je suis une femme qui peut se payer ses beignets" -je peux même probablement acheter le shop- mais avec Greg, je suis plus douce. Un peu naïve peut-être. Mais lui, il ne me donne pas envie de l'étriper, juste d'arracher ses vêtements. On s'assoit et je pose mes coudes sur la table, mes mains l'une sur l'autre, je pose mon menton sur mon poing. " Oui. Je suis en deuxième année de doctorat en relations publiques. J'ai bientôt fini avec tout ça, à mon grand bonheur ! Après dix ans d'études, j'en connais plus que certains de mes profs à ce sujet " Que je lance sans gêne aucune. Parce que je sais que c'est vrai. Je passe plus de temps à faire de la technique que de la théorie, ce que certains n'ont pas le luxe de faire. " J'ai une licence en information et communication des organisations, un master en communication interne et un en communication externe-relations presses… Enfin, pas que je veuille me la jouer mais je suis fière de mon parcours " Que je lance alors que la serveuse nous apporte nos boissons et nos beignets. " Tu as étudié à Genève, c'est ça ? Pourquoi là bas ? Il n'y avait pas d'écoles similaires ici ? " Je n'y connais rien au monde hôtelier. Enfin, du point de vue staff. Les études, les formations, tout ça, ça me passe un peu plus au dessus de la tête. Mais j'ai hâte de l'entendre me dire tout ce qu'il sait là dessus. Je regarde mon beignet et croque dedans. Le glaçage est génial, comme toujours. Et l'intérieur… " Si tu veux un bout, c'est maintenant ou jamais… Je ne suis pas sûre qu'il y en ait encore dans quelques minutes " Que je lui lance, tendant mon beignet pour qu'il le prenne et croque dedans… Il est prévenu.