Retirant la capuche de ma veste, ma casquette suit le même sort alors que je m'ébourriffe la tête en entrant au Paintbar. Ça fait un petit moment que je n'ai pas mis les pieds, ici. M'enfin, ça se compte encore sur les doigts, étant venu passer une soirée ici depuis le retour des vacances. Depuis sa découverte, j'avoue cumuler volontier les heures sur ses sièges lorsque je n'ai pas envie de la solitude de mon studio ou du confinement de certains locaux de l'uni. C'est souvent plus agréable pour s'installer et griffonner que n'importe quel autre bar, n'ayant pas constamment droit à un commentaire désobligeant, une drague trop lourde pour se faire sortir le nez de son cahier ou encore ce fameux regard à mi-chemin entre l'interrogation et le dégout comme si on débarquait d'une autre planète. Au Paintbar, il y a bien ceux qui viennent avec les questionnements constants sur ce qu'on fait, comment on le fait, ce que ça signifie et bien d'autres encore, comme un bruit constant et moyennement énervant dans les oreilles ...lorsqu'ils ne se permettent pas en plus de toucher à tout, en plus. Cependant, de manière générale, c'est une ambiance décontractée qui détends et permets de créer avec plaisir tout en côtoyant ses pairs.

Cette fois cependant, je reste un moment près de l'entrée, balayant la foule du regard afin de voir si je ne remarquerais pas une une chevelure blonde platine. D'après la photo, si elle est là, je ne devrais pas avoir trop de mal à la remarquer. ...puisque j'y porte attention cette fois. Le coin de mes lèvres s'étire d'ailleurs à se rappel qu'on aie peut-être déjà été côte-à-côté sans réellement s'en rendre compte. Ne la trouvant pas, étant quelques peu en avance, je me dirige vers une table libre.

- Une black Trillium et un verre de vodka, commandais-je à la serveuse apparue avant même que j'aie fini de retirer sac à dos et veste.
- Sur glace? Questionne-t-elle, cherchant précision.
- Non, j'ai pas envie de me faire tuer, lançais-je sans réfléchir. Sec, merci, fis-je plus sérieusement non sans me départir de mon sourire.

Laissant filer le temps comme bon lui semble, ayant large avant mon rendez-vous chez le tatoueur qui n'est qu'à deux pas, je tire simplement mon carnet de dessin de mon sac, prêt à y tirer quelques traits seulement ou à en noircir plusieurs pages.

Les minutes passent sans que je ne les vois vraiment filer, pas le moins du monde dérangé tout ça, m'occupant aisément avec d'un simple feutre et de mon carnet de dessin. Les boissons atterrissant sur la table me tire un instant de ma bulle avant que je n'y retourne après avoir payer la serveuse. Ce n'est que lorsqu'un nouvel objet se pose sur la surface qu'un sourire étire mes lèvres. Terminant le train que j'effectuais, je recapsule mon feutre avant de lever les yeux pour voir une splendide blondinette.

- Je m'en serais voulu que tu t'enfuis pour ça, plaisantais-je d'un ton léger, souriant un peu plus largement.

La laissant s'installer, mes doigts agrippent la bouteille de bière pour la porter tranquillement à mes lèvres. Manquant de renverser la gorgée que je m'apprêtais à prendre, surpris de voir tomber sa question, j'éloigne rapidement mon cahier de moi par réflexe pour le protéger de mes conneries. Le ramenant ensuite près de la table lorsqu'il n'y a plus de danger, je le tourne sans hésitation vers Veïa, le posant en douceur et lui faisant ainsi voir ce sur quoi je travaille depuis un moment. Un amalgame de personnages que je continue tranquillement, ne ressentant aucune pression à le terminer puisque c'est une valeur sûre pour moi lorsque je me déplace, revisitant facilement les pages du genre pour ajouter ici et là.

- Laisse-moi être gentleman au moins une fois dans ma vie, indiquais-je en riant doucement en chassant de la main l'idée qu'elle doive payer la prochaine tournée. Non pas que je ne sache pas l'être une fois de temps en temps, mais... C'est mon plaisir, ce soir : je n'aurais pas cru être accompagné, expliquais-je avant d'amputer mon verre d'une part de son liquide ambré. Qui plus est, je dois bien admettre qu'elle est très mignonne. Non pas que ses photos ne lui rendait pas justice, mais combien en trouve-t-on de modifier de nos jours? Là, s'il y avait le moindre filtre, l'originale en restait tout de même bien plus ravissante. Et si elle avait également ce grain de folie qu'elle m'avait laissé apercevoir en acceptant mon invitation pour ce soir, sérieusement, je suis choyé! Tu me laisserais voir également? Fis-je en pointant son carnet, curieux de voir sur quoi elle travaille, mais respectueux de ne pas trop insister si elle me dit que c'est privé. À voir simplement si j'aurai une aperçu de son monde.

Un sourire étire mes lèvres tandis que je vois ses mouvements se faire délicats pour saisir mon carnet de dessins. Je ne me suis pas trompé au final, elle est assez respectueuse pour que je me permette de lui faire confiance et lui laisser tourner les pages, changer l'orientation si elle le veut. Je peux me permettre de lui laisser voir une part de mes idées, des tâches de couleurs plus ou moins mis en forme qui sillonne quasi-constamment mon esprit. Certaines finissent sur papier, bois, briques ou peu importe la surface, d'autres restent plus longtemps à cogiter ou se font remplacer. Dépendant de mon humeur, de mes envies ou bien d'autres.

Connaissant déjà le contenu de la reliure que je lui ai tendu, je suis, pour ma part bien plus intéressé par ses réactions. C'est une part qui m'ennuie des médias sociaux, même si, on arrive tout de même parfois à avoir une idée de comment notre oeuvre a pu être reçue, j'apprécie tout de même toujours de voir les réactions.

Un rire spontané m'échappe à son commentaire. Amusé, je la remercie d'un signe de tête. L'originalité, j'aime bien, peu importe si on le dépeint comme une bonne ou une mauvaise chose.

- L'un des qualificatifs les plus flatteurs que tu pouvais me donner, indiquais-je en trinquant tranquillement contre son verre, laissant le mouvement se faire voir afin de ne pas créer de catastrophe où tout se retrouverait trempé.

Repoussant l'idée qu'elle doive payer quelque consommations que ce soit, sortant une raison plus humoristique que véridique, je l'entends tout de même insister. Déposant ma bière sur la table, je lève tranquillement les mains en signe de paix.

- Ne jamais tenir tête à une femme, récitais-je comme une leçon, les yeux rieurs. ...tout aussi adorable soit-elle, ajoutais-je, retouchant ses mots, les accompagnant d'un regard appréciateur.

Récupérant mes croquis, je m'intrigue de ce que peux refermer les pages lui appartenant, cependant, ses premières réactions, instinctives et protectrices me font rapidement comprendre que ce n'était peut-être pas la meilleure idée qui soit. C'est un sujet délicat, je l'accorde. Entrouvant la bouche pour lui signifier qu'elle n'a pas à s'obliger, aucun son ne sort pourtant puisque, avec surprise, je la vois repousser le cahier en ma direction, me donnant ainsi accès à ce qu'il renferme. Le détaillant quelques secondes, je relève la tête lorsqu'elle m'explique son contenu et je comprends facilement le personnel de la chose.

- Et tu préférerais que je ne regarde pas certaines sections? La questionnais-je avant de baisser les yeux sur l'objet, passant respectueusement mes doigts sur les marques et traits d'usure. Il a de l'histoire à lui seul. Remarquais-je avec un léger sourire. Ça fait un moment qu'il te suit, n'est-ce pas?

Ces dernières années, mes cahiers ne me dure jamais très longtemps, ayant passé des challenges de quota de dessins, m'étant lancé dans différents projets et ayant appris à laisser glisser le crayon sur la feuille pour vider mon esprit de ce qui pouvait bien y stagner. Pourtant, si j'apprécie et remercie le chemin parcouru, la vue de son bien me rappelle avec une certaine nostalgie mes premiers livres que je ne terminais jamais ou dont je mettais plus d'un an à noircir les pages. J'ai l'impression que ça fait un siècle!

Mes épaules tressaute légèrement et ma respiration trahi mon rire muet, mais amusé, de l'entendre me dire que je peux bien être fier qu'elle me trouve original. C'est apprécié, je le prends bien sur le même sens qu'elle a voulu l'appliquer.

- Je le suis, ne t'en fais pas, souris-je en la remerciant d'un faible signe de tête. Pour un artiste, je crois que c'est un point fort, laissais-je savoir, partageant ma façon de voir les choses. Non pas que suivre les différentes lignées à titre d'exemple est une mauvaise chose, mais je suis franchement pour l'exploration de son propre style. Sur bien des niveaux de la vie et pas seulement en art, d'ailleurs. ...Et je n'ai pas vraiment de mal avec l'idée de ressortir du lot, ajoutais-je avec un léger rire.

C'est une question d'habitude en vrai, mais lorsqu'une de tes passions implique de déposer une partie de ton âme sur un mur à la vue de tous, passant par des étapes plus ou moins réussies, c'est d'apprendre à s'imperméabiliser aux mauvaises énergies et de s'en servir pour retourner pour se forger une armure. Après un certain temps, l'armure n'en devient plus si utile, puisque ces remarques ne nous écorchent plus vivant et l'on continue tranquillement de vivre et d'avancer.

M'intéressant au contenu de son cahier, je respecte d'abord ses hésitations, prêt à me contenter d'avoir vu la reliure ou de la voir, plus tard, plonger elle-même dans son contenu lorsque ma présence ne la dérangera plus. Alors que mes doigts parcourent tranquillement la reliure, je ne peux m'empêcher de sourire et hocher vaguement la tête. Peut-être bien que je ne comprendrai pas tout le sens de ce qui est écrit, mais si elle me laisse, je suis tout de même tenter par l'expérience. Cependant, à peine mes yeux se sont-ils posé sur quelques pages que les détourne pour croiser les siens à nouveau, mes traits s'adoucissant progressivement. Quelques secondes sans bouger, je pose finalement un dernier regard sur l'écriture fine, mais tantôt animée, tantôt plus délicate, avant de refermer doucement la couverture et de lui tendre à nouveau son bien.

- Je préfère te rendre ton âme et que tu puisses respirer à nouveau correctement, soufflais-je doucement. Merci de m'avoir laisser entrevoir tes hantises et tes bonheurs, fis-je, sincère, ayant posé des ressentis - peut-être totalement erronés, il est vrai - sur les couleurs ou le mot apposés sur ces feuilles.

Je respecte énormement qu'elle m'aie laissé ainsi voir, surtout vu la façon dont elle a pu expliquer ce que ce carnet peut représenter pour elle. Pour certain, ce ne serait probablement qu'une action sans intérêt, mais pour avoir conservé des carnets de dessins trop souvent contre moi avant de prendre un autre tournant, je considère qu'elle m'a gratifié d'un honneur.

Nous ramenant sur le sujet de cette rendez-vous à l'improviste, je laisse échapper un rire sonore avant d'étirer le bras pour regarder la montre à mon poignet.

- Il nous reste un peu moins d'une heure. Et c'est à deux pas, la renseignais-je avant de vider la bouteille de bière du peu de contenu qu'il lui restait. Tu sais ce que tu souhaites te faire encrer et où, ou tu improvises? La questionnais-je, curieux de savoir vers quoi elle se tournera.

Penchant légèrement la tête sur le côté, je l'observe d'autant que je peux la voir. Charmante blonde aux yeux bleus et au sourire enjoué. Elle détonne parmi la foule avec ses teintes désaturées, en apparence. Et c'est encore plus flagrant avec cette robe blanche qu'elle aborde. Elle me fait l'image d'une colombe au milieu d'un arbre de perroquets. Pourtant, son rire et sa façon de me répondre sur Tinder, m'assure que sa personnalité est loin d'être désaturée. Peut-être est-ce même une meilleure façon de le préserver.

- Et, en fais-tu partie? Glissais-je simplement, par curiosité.

Après tout, elle a utilisé le dénominatif "ton", mais n'est-ce pas seulement pour différencier l'emballage? Parce que du peu qu'elle m'a fait voir, on ne semble pas si loin l'un de l'autre au niveau de la personnalité. Peut-être est-ce que je suis un peu plus criard de mon côté, mais je n'aborde pas pour autant une tête verte pomme et mes piercings sont assez limité, même les tatouages ont pris d'assaut ma peau.

Et, histoire de prouver qu'on est peut-être pas si loin, on peut prendre en exemple ce carnet qu'elle me fait l'honneur de me laisser feuilleter. D'accord, ce n'est pas pour la même activité qu'on traîne tous les deux ces feuilles, mais d'une certaine façon, on y dépose tout de même nos pensées à coup d'encre couchée sur une feuille de papier. Ça aide a y voir plus clair pour elle aussi, j'imagine. C'est pour mieux clarifier notre esprit qui peut s'en retrouver rapidement trop empli.

- Je déconne avec bien des choses, mais jamais pour ce genre de chose, indiquais-je avec un léger sourire lorsqu'elle me remercie. Je sais ce que ça fait d'y poser son âme et de s'en retrouver dénudé, à vif, en un sens, lorsqu'on ne l'a plus.

Lorsqu'on est autant impliqué, le perdre ne se limite pas à une sensation de frustration pour les heures qu'on y a passé, c'est plutôt d'avoir le coeur qui manque un battement lorsqu'on s'en rend compte, puis l'accélération frénétique alors qu'on le recherche. C'est de prier pour que si on l'a oublié quelque part, la personne qui le retrouvera nous contactera et ne le balancera pas simplement aux objets perdus ou aux ordures.

- Pas de regrets? La questionnais-je avec un demi-sourire, espérant que l'expérience n'aie pas été traumatisante ou lui aie à jamais retirer l'envie de partager à nouveau ses pensées. Non pas qu'elle aie besoin de le faire, mais si c'est la veille des débuts d'une grande écrivaine, ça m'emmerderait d'avoir tout bousillé. Bien que… en vrai, j'en aurais aucune idée.

La renseignant sur le temps qu'il nous reste, j'hoche simplement la tête lorsqu'elle affirme que le prochain verre sera pour après le rendez-vous.

- Pour célébrer alors, acquesçiais-je, amusé.

La questionnant sur ce qui a pu mijoter depuis qu'elle sait pour notre rendez-vous à l'improviste, ou même avant, j'en suis agréablement surpris par ses mots. Se laisser conquérir. Se laisser conquérir par un art dont elle fera la connaissance ce soir, qui lui coupera le souffle en un coup d'oeil ou alors vers lequel elle n'aura cesse de revenir. Ça fait envie, je l'admets. Et continuant de discuter ainsi, j'en suis presque surpris lorsqu'elle se lève, me questionnant. Il me faut un regard sur ma montre pour réaliser que l'heure approche en effet et que bouger n'est pas une mauvaise idée. Me redressant à mon tour, je récupère mes effets avant de la suivre vers la sortie.

- C'est par là, indiquais-je d'un coup de tête, l'attendant avant de me diriger. Pas trop nerveuse? M'enquis-je lors du court trajet.

Pas envie de rebrousser chemin? Pas de nausée? Ses paroles charmantes me laissent à penser que l'excitation lui donnerait peut-être plutôt des ailes, mais sait-on jamais. Agrippant tout de même la poignée lorsqu'on arrive devant la boutique, l'ouvrant pour la laisser entrer, lui adressant même une pseudo révérence comme si j'étais un gentleman né. N'importe quoi!