Je suis là, à l’observer silencieusement. Il ne se situe pas à la même table que moi. Il déguste son café en toute tranquillité, seul, ses écouteurs en guise de seule compagnie, vissés sur ses oreilles. La mode est au sans fil et pourtant, c’est un long fil blanc qui flirte dangereusement avec la paume de sa main, le moindre mouvement brusque pourrait entrainer la chute des deux écouteurs. Je demeure immobile, à le regarder, à étudier son comportement et à me remémorer. Ramsès, ce n’est pas le garçon le plus facile à entreprendre. Il est complexe, très habile pour dissimuler ce qui le met en souffrance et incroyablement renfermé derrière ses airs faussement exubérants. Le mec est un véritable caméléon, parce que t’as l’impression qu’on ne voit que lui, il est suffisamment lumineux pour qu’on le remarque, toujours le mot pour faire réagir les autres mais dès que tu choisis de t’aventurer sur le personnel, sur son passé, sur les sujets qui ont une résonance particulière pour lui… Terminé. Un mur triplement bétonné t’explose à la figure, tu te détruis le visage contre une carapace qu’il est diablement difficile de fissurer. Je ne sais pas pourquoi il a posé ses yeux sur moi au tout début, pourquoi il a choisi de frapper à la porte de cette association en particulier, de s'adresser à moi plutôt qu'à un ou une autre. Tout ce que je sais, c'est qu'il a pris une bonne décision, et que dorénavant... Dorénavant je serais là pour lui rendre la pareille et l'écouter. Il a lâché une bombe plus ou moins volontairement l’autre jour et depuis… Depuis je ne pense plus qu’à cela. Est-ce risqué de lui exposer un plan d’attaque élaboré dans son dos ? Est-ce beaucoup trop invasif de ma part de lui proposer mon aide, de toute mettre en œuvre pour aider sa famille. Ramsès, il est totalement du genre à dire non même s’il sait que c’est la meilleure solution. Beaucoup trop de fierté. Mes yeux ne quittent jamais le jeune homme, il est magnifique, il l’est toujours de toute manière. J’attrape mon café et décide de me joindre à lui. Tant pis si ma présence n’était pas souhaitée. Il est dans la lune, les yeux rivés sur son téléphone et ne me remarque pas immédiatement lorsque je décide de m’asseoir sur la banquette face à lui. Et pourtant… J’ai déjà le sourire aux lèvres et hâte de lui exposer un plan d’attaque qui pourrait m’exploser à la figure.  

Avec le peu de recul que m’offre notre situation, je serais bien incapable d’expliquer pourquoi Ramsès a choisi de m’approcher, de me consulter dans l’espoir d’obtenir quelques réponses à ses questions. Est-ce parce que j’ai toujours le sourire aux lèvres ? Est-ce parce que je prends soin de toujours paraitre le plus disponible possible pour encourager les autres à faire un pas vers moi ? Dans ce genre d’associations, lorsque le sujet est aussi sensible que celui de l’homosexualité, tu ne peux pas te permettre de brusquer les gens. Il faut se montrer patient et attendre le moment opportun ou la personne fera le pas supplémentaire, la petite remarque sur laquelle tu peux rebondir et entamer le dialogue. Ramsès a fait un pas énorme en ma direction, une trajectoire sur laquelle il est encore difficile de mettre des mots, il ne m’a pas tout raconté, mais il en a suffisamment dit pour retenir mon attention et attiser ma curiosité. Je me suis renseigné, j’ai mené mon enquête dans mon coin, glané quelques informations à son sujet et, aujourd’hui, je me sens légitime quand vient le moment de l’interpeler en plein milieu de ce café. Première réaction ? A l’image de l’attitude actuelle de mon camarade, complètement à l’ouest. Il devait être parti sacrément loin, perdu dans des pensées auxquelles je n’ai pas le moindre accès. « On peut y remédier, qu’est-ce qui te ferais plaisir ? Dis-moi ! » Je fais signe à un serveur qui ne tarde pas à s’arrêter à notre table, prêt à prendre notre commande. « Pourriez-vous me préparer un nouveau mocaccino au chocolat blanc s’il vous plait ? Et, pour mon camarade… » Je marque une longue pause, lui faisant signe de commander à son tour tandis que je dégaine vingt dollars. « Tenez, et gardez la monnaie, pour votre gentillesse ! » Je suis comme ça, à toujours complimenter ceux qui se cassent le cul pour nous, ceux qui gardent le sourire malgré tout et font correctement ce pour quoi ils sont malheureusement pauvrement payés. Quelques dollars, ce n’est pas grand-chose, mais c’est l’intention qui compte… N’est-ce pas ? « Comment tu vas ? » Ou comment noyer le poisson pour amener au mieux ce qui m’intéresse réellement.