Ce soir, j’allais te revoir. Toi, Lucky Burberry, anciennement Maxwell, le temps de deux petites semaines. On s’était mariés, on avait divorcé, tu m’avais aimé, j’avais titubé. J’étais pas prêt. Peut être que si on s’était rencontrés maintenant, j’aurais pu t’aimer en retour. Face à toi, t’aurais un nouveau Elliot Maxwell. Et j’savais pas si tu l’aimerais, si tu l’apprécierais autant que t’avais pu apprécier l’ancien. Et c’est sûrement pour ça que j’essayerais probablement de mentir, de camoufler mon manque de confiance en moi, ma nouvelle addiction, ma niaiserie. C’était des exemples de choses que tu n’avais pas connues et j’voulais pas que t’aies une mauvaise image de moi. C’est pour ça d’ailleurs que j’arrivais quinze minutes à l’avance à l’adresse que je t’avais donné. Moi qui étais toujours en retard avant. Puis merde, ça contredisait le fait de vouloir apparaître  comme avant, mais j’pouvais pas, j’arrivais pas à mentir. J’attendais, assis à une table calme, isolée, vêtu d’une chemise bleu pastel. Une belle montre au poignet, les cheveux impeccables. Et les doigts tambourinant le bois de la table sous l’impatience – et la nervosité, peut-être. Cinq minutes. Dix minutes. Tu arrives enfin, tu pousses la porte, replacés tes cheveux correctement. T’es toujours aussi bien fringuée, à la fois classe, avant-gardiste, provoc, déjanté. T’as toujours eu ce style particulier. Je te fais un signe de la main pour manifester ma présence, tu me rejoins et t’assois face à moi. Je souris à ta remarque, te laisse appeler le vendeur. T’as pas l’air trop amochée pour une nana qui sort de l’hôpital, mais t’as le chic pour jouer les guerrières même dans les pires situations alors... je me fie pas aux apparences. “Ça va... Ça fait un bail, c’est pas une impression. Dans quelques jours, ça fera un an que tu m’as hurlé dessus dans la rue pour récupérer ta petite culotte.” J’esquisse un petit sourire amusé. Un an bientôt que j’ai crashé. Que j’ai perdu mon identité. “J’arrive pas à croire que t’es bien là, que t’es revenue.” J’ai toujours pas totalement compris ton histoire avec Ezio vu que ça avait l’air d’être l’homme de ta vie mais bon... Les gens changent, je l’ai appris à mes dépends. “Comment tu vas toi?” Ton accident, tes relations amoureuses, ta reprise d’études, ta vie quoi. Je suis toujours aussi curieux, j’ai pas changé sur ce point par contre.

T’arrives, et même si ta démarche est plus lente, tu n’as pas de plaies au visage, alors je me dis que tu ne vas pas trop mal. Ça m’interpelle quand tu demandes un coussin au serveur, mais j’me dis que si t’étais pas bien physiquement parlant, tu serais pas venue, n’est-ce pas? J’ai bon espoir que tu sois censée. Un minimum. Même si ça n’a jamais été ton fort. “C’est toi qui me rend nerveux.” Tu vois, j’ai pas perdu ma franchise au moins. Ça, je l’ai toujours. “Elle s’est perdue dans toutes les autres, j’y peux rien!” Quelle rencontre quand même. Enfin, re-rencontre. T’avais été la première que j’avais rencontré après le crash. La première fois que je suis sorti en ville seul, pour essayer de me remémorer les rues qui m’étaient autrefois familières. Est-ce que j’étais nostalgique? Sûrement un peu. Je veux savoir. Tout. Comment tu vas, ce qui s’est passé avec Ezio, pourquoi t’es de retour. Toi, ta vie. Parce que j’ai l’impression que j’en fais plus vraiment parti. C’est de ma faute pourtant, j’le sais. Tu me racontes l’histoire avec Ezio dans un premier temps et j’te comprends un peu mine de rien. Moi aussi j’avais échangé quelques messages borderline avec Meghan quand j’étais avec Vega. C’était pas bien, mais c’était venu comme ça. “Tu l’as trompé quoi.” C’était peut-être dur dit comme ça, mais c’était la vérité. Moi si Agathe envoyait des sextos à à un autre, j’verrai ça comme une tromperie. Tout comme Cléo qui a dit à Hadès qu’elle l’aimait en étant avec moi. Tromperie. “C’est la vie.” que je dis en haussant les épaules. Tu sais que si y’a bien quelqu’un qui te jugera pas à Harvard, c’est moi. Je roule des yeux. “Pense pas à ça... Avec tous les accidents que j’ai eu dans ma vie j’pourrais me dire la même chose. Pensées positives.” Ptdr, c’est moi qui dit ça. Gros lol vu comment j’suis négatif depuis quelques mois. Je te sens me scruter, tu te rapproches même sans vraiment t’en rendre compte. Quoi? J’ai un truc sur le visage? Aaah. Mes cheveux. “Yep, j’ai décoloré y’a un petit moment et j’ai pas mal pris le soleil cet été donc ça a doré.” Une vraie conversation de meuf tiens. “Toi tu t’es refaite brune. Y’a longtemps? T’aimes le changement... surtout quand il est radical.” que je souffle dans un petit sourire. Je t’ai connue brune, puis blonde, puis brune. C’est quoi la prochaine étape ? Le serveur arrive pour prendre notre commande. “Deux Margaritas.” Attends, resto latino oblige. “Et pour le plat, moi je vais prendre les fajitas.” Je lève les yeux sur toi. “T’as choisi?”

« J’sais pas. Ca fait longtemps qu’on s’est pas vus. Et… j’ai changé. J’ai en quelque sorte peur que tu sois… déçue ? Que je sois pas la personne que tu t’attendais à voir ce soir. » C’est idiot comme réflexion non ? J’sais pas. J’me soucie trop du regard des autres. Mais j’suis comme ça, c’est celui que je suis maintenant et j’y peux rien. J’hausse les épaules quand on parle de ta petite culotte perdue qui se trouve probablement chez une autre nana random à l’heure actuelle. Possible. J’en sais rien en vrai. Tu me parles d’Ezio, de comment les choses se sont terminées, et en gros, je comprends que tu l’as trompé. C’est mal mais ça arrive, c’est la vie, j’vais pas te juger pour ça. J’l’ai fait avec Cléo techniquement. « Arrête, calme toi. T’es pas une mauvaise personne Lucky. T’as fait un pas de travers, c’est pas la mort. T’étais pas bien dans ton couple si t’as fait ça. T’avais tes raisons, t’es pas une meuf idiote. » J’essaye pas de te trouver des excuses parce que tromper, c’est mal, j’adhère pas du tout à l’idée, mais si ça arrive, c’est que ton couple va pas bien et qu’il vaut mieux arrêter. Je roule des yeux dans un petit sourire quand tu demandes où est passé l’ancien Elliot. « Il a grandi, muri… Il essaye de se responsabiliser, d’être un adulte quoi. » Même si c’est pas facile tous les jours. Tu me dis que t’aimais bien l’ancien, et j’te comprends mais sans plus attendre, tu ajoutes que celui que t’as en face de toi ce soir te plait aussi. Et c’est tant mieux, si tu veux mon avis. Ca me soulage, ça me rassure. Le serveur arrive, te donne ton coussin que tu cales derrière toi. « On dirait une mamie. » Haha. Sans rancune, Burberry. Je passe commande et tu décides de prendre la même chose. « Très bon choix. » Tu me poses la question que je sentais venir dans la soirée de toute façon. Agathe. « Bah écoute… » que je dis en riant quelque peu, me grattant la nuque. « Je m’entends vraiment bien avec elle, elle est géniale. Elle me comprend, on partage la même vision des choses. Elle est un peu sauvage aussi alors ça me plait forcément. Puis elle juge pas mes conneries, et j’sais pas, tout est naturel avec elle. » Aucune gêne ou quoi que ce soit. Donc c’est vraiment cool. « Et toi ? Le gars à qui t’envoyais des sextos ? Ca se passe bien la coloc ? »

Je roule des yeux. Ta phrase sonne drôlement dramatique et romantique, un peu à la ‘N’oublie jamais’. Ça me fait sourire, en même temps. T’as toujours été une nana loyale, tu m’as toujours aimé alors que j’agissais comme le dernier des cons avec toi. J’ai toujours été sincère aussi pour ma défense, j’savais juste pas ce que je voulais contrairement à toi. « Tais toi, j’vais rougir. » Puis toi, ta tromperie, ça change pas non plus la personne que tu es. C’est une erreur de parcours, rien de plus, rien de moins. Cherche pas à te perdre dans les méandres de la culpabilité parce que sinon, t’as pas fini et ça va te bousiller. J’en sais quelque chose. T’es surprise de ma réaction, de ma nouvelle sagesse et ouais, j’t’avoue que j’essaye de me responsabiliser, j’en ai marre d’être un gamin alors que j’vois tout le monde évoluer autour de moi. J’hausse un sourcil, petit sourire aux lèvres à tes mots. « Peter Pan ? J’aime bien ce surnom. » On me l’avait encore jamais faite et j’avoue que ça me correspond plutôt bien. Au contraire, toi t’es une mamie qui a besoin d’un coussin pour être confortablement assise. Bon, j’sais que c’est par rapport à ton accident, mais tu me connais, j’aime bien faire des blagues et taquiner. Sauf que ta réponse, elle me fait m’étouffer avec ma salive. « Attends, quoi ? Répète ? Mettre au monde ton gosse ? Lucly ? T’es enceinte ??? » J’ai les yeux grands ouverts, écarquillés, bouche bée. « T’es enceinte d’Ezio ? » Putain t’es dans la merde si c’est ça. On a beau parler de ma relation avec Agathe, là, j’suis plus trop d’actualité, j’ai ta révélation qui tourne en boucle dans ma tête. « Non, t’es enceinte de Silas ??? » Parce que j’me souviens que tu squattes chez lui. Ou squattais, selon tes explications. Explications qui balancent d’ailleurs qu’il ne te voyait que comme un plan cul. Génial. « Tu vas le garder ? » Non parce que bon, t’es tombée enceinte de façon accidentelle du gars avec qui t’as trompé ton mec. Chaud comme situation non ? Parfois faut savoir prendre la bonne décision même si c’est dur. C’est ce qu’on a fait avec Agathe. Même si c’est un secret qu’on compte bien emporter dans notre tombe.

« Je rougis pas sur commande, désolé. » Non Lucky, ça fonctionne pas comme ça. Flatte-moi pour voir si je réagis, si mon épiderme se colore. Sinon, not happening. Peter Pan est un bon surnom pour moi j’ai l’impression. Ça me plaît. Ça me fait sourire. Je souris comme un gosse au pays imaginaire, jusqu’à ce que tu me dises que t’es enceinte. Là, c’est la débandade. Tu répètes l’info, mais merci j’avais compris. T’es pas enceinte d’Ezio et... j’sais pas si c’est une bonne ou une mauvaise nouvelle. Surtout quand j’apprends que le père, c’est Silas. Oh fuck. T’es vraiment dans la merde Lucky. Pourquoi tu te fous toujours dans des situations improbables? Tu me diras, moi aussi j’ai foutu mon plan cul enceinte. Mais maintenant j’suis en couple avec elle. Et on n’a pas gardé le bébé. Tu comptes faire quoi toi? « Lucky... avec tout mon respect et toute la compréhension que je te dois... je pense pas que tu devrais le garder. » C’est une histoire qui sent les problèmes à quinze mille kilomètres. « Et tes études ? Et Silas? T’es prête à arrêter de vivre pour élever un autre humain toute seule ? » Fin j’sais pas, c’était dit crûment mais j’le pensais. Pourquoi tu veux te gâcher la vie comme ça?