La certitude est une illusion. Voilà ce que Deirdre a appris dernièrement. Alors que l'été agonise, elle goûte avec un certain plaisir aux annonces mordorées de l'automne. Après l'explosion, voici l'heure venue du bilan, de l'introspection avant un nouveau fleurissement. Le carmin a quitté les lèvres fières, le noir a pris la fuite des prunelles au profit du violet. La Demoiselle aimerait se croire intacte de ce double jeu, mais après la saveur de la victoire, vient la récolte des regrets qu'elle amasse au cœur de ses poignets frêles. Certaines parties d'Iris lui manqueront, et elle n'aurait jamais pensé que cela puisse être le cas. Dans la noirceur, certaines mains se tendent et quelques-unes sont pour le moins inattendues. La lèvre supérieure s'étire en un doux sourire, presque à l'étonnement lorsqu'elle repense à Niels. De son apogée de riche, elle n'en garde un souvenir que lointain, une vague arrogance d'un serveur froissé par son orgueil. Un être dont elle n'avait même pas retenu le nom mais bien les traits. D'Iris, elle retient un prénom. Niels. Un confident. Un pote de galère. Une âme écorchée comme la sienne. Et qui est-elle vraiment à présent ? Impossible pour elle de résoudre le mystère, elle erre avec un masque depuis si longtemps. Depuis toujours. Deirdre. La seule certitude, c'est que cette âme vagabonde lui manque. Alors, Deirdre se rend à son lieu de travail habituel ces derniers temps, juste pour le voir. Lui parler ? Trop risqué peut-être. Mais sans doute ne se souvient-il même pas d'elle ? Elle espère. Elle renonce. Elle s'habille simplement, oublie les artifices quand elle entre dans le bar. S'installe au comptoir, repère l'individu. Sent sa gorge se serrer sur elle-même peu à peu. L'orgueil te rend si bête Deirdre. Mais il te protège si bien. Protège de quoi à vraie dire ? La vie, les autres. Tu es la plus stupide du lot, gamine.« Une vodka s'il-vous-plaît. » annonce-t-elle d'une voix douce. Mais le regard masculin ne trompe pas. Il l'a reconnu et il la hait toujours. Toi aussi Niels, tu dois partager ce goût de l'orgueil face à l'affront. C'est humain, tu te défends. L'alcool lui parviendra-t-il au visage cette fois ? Lave-moi donc de mes péchés, je ne m’arrêterai pas à cette humiliation cette fois.

Tu sentais encore les vestiges de cette nuit passée en compagnie de tes démons, ainsi que de ton fantôme. Hier était de ces jours où tu préférais mourir plutôt que de continuer à respirer. Tu avais picolé, plus que jamais, plus que tu ne le pouvais. Saouler ta gueule de mec fracassé pour oublier, acte totalement dépourvu d'une once de faculté intellectuel. T'avais croisé Soo-Jin lors de cette soirée arrosé où les larmes fleurissaient ta peau. Au fond du trou, elle avait tenté du mieux qu'elle pouvait te réconforter. T'avais oublié une bonne partie de ta fin de soirée, et il était peut-être mieux pour toi de ne plus en avoir aucun souvenir. Seulement le réveil il t'avait bien cassé la gueule, à coup de hache il avait assassiné ton visage boursoufflé de tristesse. La journée qui s'offrait à toi semblait te rebuter, et tu peinais à sortir de ce canapé déglingué pour aller bosser. T'avais finalement enjambé ton vélo, plusieurs kilomètres plus tard, tu le lâchais pour troquer ton casque par une casquette. Tu faisais ton entrée au Titi Twister, barman à temps plein, tu commençais à connaître cet endroit par coeur. T'enchaînais le service qui se constituait principalement de pintes, de whisky et de nettoyage de chiottes. T'avais pas trop l'sourire, on voyait bien que t'avais pas envie de rire. Bizarrement, les choses s'intensifiaient de ton côté. Tu regardais cette brune qui venait d'entrer, puis ça te faisait comme un flash Niels. Tu revoyais cette altercation dans cette soirée mondaine, courte existence de ce travail de serveur pour les bourges. Tu la toisais, le regard mauvais, personne à tes côtés, tu te voyais obliger de l'approcher pour lui demander ce qu'elle voulait. "Qu'est-ce que je te sers ?". T'avais du mal à accrocher son regard, l'air dégoûté. Puis d'ailleurs, qu'est-ce qu'elle faisait dans un endroit aussi décalé ? Qu'aille aille plutôt dans des endroits plus luxueux. Tu soupirais en entendant sa réponse, tu te voyais obligé de te décaler. "Qu'importe la vodka ou t'as une préférence ?". Tu montrais d'un coup de tête les bouteilles alignées.

Bien sûr qu'il la reconnaît, un regard et la certitude s'installe. Deirdre a eu l'espoir de croire qu'il ne se souviendrait pas, mais la mémoire est tenace quand l'émotion est grande. Positive ou négative. Elle aurait tout simplement préférer opter pour la première option. Les mains frêles se crispent légèrement sur le bois du comptoir. La fuite est envisageable. Il est encore temps Deirdre. La salive se fraie un chemin avec peine dans la gorge pourtant fière de la Demoiselle. Le manque est trop palpable, ces heures partagées de tout et de rien. Cette épaule muette sur laquelle je pouvais compter quand mon ego était bon à ramasser de ses miettes. Tu as fait tellement plus que tu ne le crois Niels. La vie est ironique. « De la zubrowka s'il-te-plaît. » parviennent tout de même à articuler ses lèvres décidées. Les billes délavées observent le Sauvage avec peut-être un peu plus d'insistance qu'à l'accoutumée. Les lèvres se fendent d'un sourire minimaliste aussi ridicule que gêné. Tes confrères de la Eliot se gausseraient ma pauvre enfant, de te voir ici, tenter de balayer ce qu'il te reste de prestance à tes pieds. Devant un anonyme du peuple qui plus est. Toi qui côtoie des Princes,  des Rois, des fils de, les étoiles de ce monde. Ou les poisons c'est à se demander. Tu es pourtant experte dans la manipulation des ombres, pour te sortir du guêpier. « Tu as bonne mémoire à ce que je vois. » Histoire de clôturer la défaite, d'abattre la sentence, la Coupable prononce les mots avant même qu'ils ne soient employés.

Le problème avec ton travail de barman, c'était que tu te devais de rester professionnel. T'avais pas trop le choix de supporter les clients, de les servir quand bien même tu te trouvais avoir des antécédents avec eux. Quoi que si, tu pouvais toujours avoir le choix. Seulement tu préférais ne pas perdre ce nouveau rythme, ce travail qui te prenait la tête et que te permettait de ne pas trop penser. C'était ton moyen à toi de t'échapper, de ne pas faire face à la réalité. "De suite" que tu lâchais, lassé, suite à sa précision. Pour une riche, ses goûts n'étaient pas des plus luxueux. Pourtant tu ne pouvais t'empêcher de remarquer son regard, quand bien même tu cherchais à l'éviter. Ses yeux ne te méprisaient plus comme ce soir-là où tu l'avais rencontré. T'en venais même à te dire qu'elle te rappelait quelqu'un que tu avais déjà vu. Ouais, ses iris te semblaient familier. Tu secouais ta tête, reprenant tes esprits, tu divaguais beaucoup trop. "11 dollars" que tu lançais à son encontre, et si elle posait des questions sur le prix, tu lèverais simplement tes épaules. C'était trop élevé, mais tu ne t'attendais pas à un tips très élevé venant d'elle. Tu devais te payer, et ici, c'était ton terrain, ta loi. Elle pouvait s'en aller si elle n'appréciait pas le service. Tu lui tendais son verre, toujours autant méprisant. Et ses mots n'étaient pas ceux que tu attendais. Tu finissais par la fixer, intensément. Qu'est-ce qu'elle pouvait bien te vouloir ? "Ouais, j'ai perdu un job à cause de toi c'soir là. Tout le monde n'a pas un compte en banque à six nombres". Et puis toi aussi, t'étais un peu étonné à ce qu'elle se souvienne de toi. Après tout, tu n'étais qu'un serveur parmi les autres.

ps: désolée du retard, mes vacances et la rentrée m'ont plus accaparé que je ne le pensais (j'aurais dû poster une absence au lieu d'une présence réduite)

Les yeux masculins s'accrochent aux siens, la sonde, tentent de comprendre le pourquoi elle est ici. Le pourquoi elle s'intéresse à lui. Et le doute semble s'installer en lui. Peut-être te souviens-tu Niels ? De la bonne personne. Peut-être comprends-tu à présent la mascarade que je suis ? Il lui indique le prix et elle se contente de retirer un biller de vingt de sa poche arrière. Les filles comme elle sont bien plus distinguées. Les filles comme elle ne traînent même pas ici. Mais Deirdre n'est plus ce qu'elle était autrefois. Bien qu'elle jongle de masques si vite que cela en devient dangereux. Au final, c'est surtout elle qu'elle perd dans ce jeu de dupes. Mais pas avec Lui. « Garde la monnaie. » conclue-t-elle en lui tendant le billet. « Je te dois bien ça. » Et tu seras sans doute énervé que je m'abaisse à t'arroser de mon oseille. Mais tu en as trop besoin pour la bouder. Elle hausse les épaules quand il lui annonce avoir perdu un job par sa faute, c'est une réalité, elle va pas nier. « C'était y'a longtemps maintenant. » Et Demoiselle a changé quelque peu, mais son orgueil est toujours aussi acéré, elle est juste diablement plus perfide à présent. « C'est vraiment le seul souvenir que je te rappelle ? » Son cœur ou du moins ce qui y ressemble se surprend à accélérer la cadence. Elle espère qu'il fasse le lien et le redoute en même temps. Elle ne veut pas le retrouver mais ne veut plus perdre. Deirdre, tant de paradoxes auront raison de âme de Damnée.

Tu la jugeais, du coin de l'oeil, et il serait mentir si un sentiment te disait que quelque chose clochait. La situation était trop étrange, la manière dont elle osait te regarder trahissait une émotion que tu ne savais pas déceler. Tu regardais le billet qu'elle te tendait, et sa phrase, tu lui aurais bien renvoyé. Ouais, un quelque chose qui voudrait dire casse-toi de là, garde ton fric, j'en ai pas besoin. Sauf que c'était faux Niels, même si t'accumulais trois jobs, t'avais l'impression de jamais t'en sortir. Ce trou béant dans tes finances était sûrement causé par le taux d'alcool que tu t'enfilais trop régulièrement. Alors tu la toisais, toi, Niels Keller. Tu la toisais sans daigner remercier, comme si ton nom signifiait quelque chose d'autre que la pauvreté. Et le passé, t'étais de ceux qui avaient du mal à l'oublier, à l'enterrer aussi loin qu'il en était possible. "La notion de temps est propre à chacun". Tu commençais à avancer derrière ton bar, comme un animal en cage, cherchant un exutoire. Un nouveau client te faisait face, tu le saluais avant de lui demander ce qu'il désirait. Une pinte de Coors, de suite mec. Et puis sa voix s'élevait à nouveau, t'extirpant un soupir dénué de patience. Tu tentais de l'ignorer, et puis ce sentiment étrange refaisait surface. Tu tentais de faire comme si tu n'avais rien entendu, comme si la haine ne pouvait faire l'impasse sur l'intrigue. Tu finissais par détourner ton regard de la pompe, plantant tes yeux dans les siens. "Je devrais me souvenir de quelque chose d'autre ?". Position de faiblesse, t'avais perdu au fond de toi. Qu'est-ce qu'elle pouvait bien te vouloir ?

hj: tu peux choisir ce que tu veux

Tu te frottes à sa haine Deirdre. Tu ne mérites guère mieux de toute façon et tu te surprends à aimer cette force qui émane de lui. Les jeunes années t'avaient mise à distance de cette énergumène. Mais le destin l'a remis sur ta route et tu as partagé avec lui tes plus sombres écorchures. Niels est abrupt et froid. Niels est solide et doux. De ton visage d'Iris, tu as appris à l'apprécier et il faut se rendre à l'évidence. Tu ne peux plus te passer de lui. Alors, tu ramasses ce qu'il te reste de prestige et tu viens hanter ce lieu commun et crasseux. Tu observes son attitude réfractaire, les coups d'oeil qu'il te jette parfois. Il doute et tu en es presque rassurée. C'est difficile en même temps d'assembler le puzzle devant lui. De te montrer entièrement. Il est occupé quelques instants avec un autre client mais il revient finalement, sans doute trop intrigué. Ces parties aujourd'hui muettes de vos âmes semblent toujours communiquer entre elles. Tu n'es pas venue ici pour rien. Il est trop tard pour faire marche arrière. Alors tu poses ta main sur son poignet au risque qu'il t'envoie bouler. Du bout de tes phalanges, tu t'accroches doucement sur l'avant-bras, exerce une légère pression presque caressante. « Je pense oui. » Elle maintient ses pupilles claires sur les siennes. Comme pour que l'évidence s'ouvre à lui. « Ou plutôt devrais-je dire de quelqu'un. Aussi incongrue que ça te semble. » Tu essaieras sans doute d'éluder l'évidence, tu n'oseras pas la prononcer et pourtant c'est bien la vérité que tu tiens au creux de tes lèvres.

T'étais derrière ton bar, en position de défense, prêt à faire rugir l'animal qui se trouvait au fond de toi. Ses regards impétueux, ses yeux accrocheurs, tu ne pouvais que la sentir sur toi. Si éloigné de ton corps, et pourtant si proche de ta peau. Tu te surprenais à t'imaginer son souffle s'écraser contre toi, à l'entendre chuchoter. Cette manière de te regarder, comme si elle cherchait à transpercer quelque chose d'invisible à la vue. Et pourtant, ses prunelles semblaient voir si clair à travers la pénombre du bar. Et sa voix, ce timbre soutenu et incongru, les nuances violences et prestige. Tu le savais peut-être au fond de toi, seulement, il était impensable qu'une situation comme cela ait pu t'arriver. Tu lui en voudrais, Niels, de t'avoir caché cette vérité. Ce passé déjà commun, souvenirs trop noirs, souvenirs trop hautains. Et le mensonge, tu n'aimais pas le mensonge. Tu crachais ton dégoût envers elle pour t'avoir trompé, au clair de lune, le coeur ouvert et les paroles confiantes. Sur ce trottoir, échanges de cigarettes, échanges des mots de vos maux. Tu plissais les yeux, incertain par la révélation, incertain de savoir. Tu n'aimais pas dupe, Niels, tu avais assez de réflexion pour comprendre où elle voulait en venir, la brune devant toi. "Iris". Tu finissais par le gerber ce prénom, dégoûté par l'idée de t'être confié à une entité que tu détestais à l'origine.

Si tu n'étais pas si forte, l'eau viendrait sans doute se frayer un chemin au travers de tes cils. Il prononce ce nom qui fût le tien, celui de ton double anonyme. Et le dégoût l'emporte. Tu le sens. Tu pourrais aussi bien fuir mais tu ne renonces pas si facilement. Ce que vous avez partagé était trop important. Trop de vérités au milieu de ces mensonges qui jalonnent ta vie. Trop parfaite pour être honnête, c'est pourtant évident. Lui seul sait ce qu'il en est de toi. Lui seul sait comme la solitude est un héritage que tu portes en fardeau. Comme l'amour que connaît chaque enfant a été banni de ton existence. Comme tu as osé vivre sous le joug de la trahison. Comme ton existence rappelait toujours sa faute. Tu es une honte Deirdre. Et ton prénom en porte les stigmates. Douleur. On est bien loin de la tendresse maternelle. Lui seul comprend et ne s'apitoie pas. Lui seul possède les bras à l'abri desquels tu recherches la protection sans en vouloir davantage. Tes prunelles opalescentes se fixent à Celles qui comprennent. « Iris. » Femme trop facile, femme trop mystérieuse, femme captivante, d'apparat. « Iris. » répète-tu comme pour te convaincre toi-même de ta voix douce. Tu abaisses la tête pour approuver. Te soumettre. A lui. A la vérité. « Je fûs Elle et Elle fût Moi. » achève-tu finalement. « Elle a disparu mais je n'oublie pas. Je ne veux pas. » T'oublier. Nous oublier. Impossible. Même si la chose te dégoûte, elle a bel et bien existé.

Tu ne supportais pas le mensonge, tu ne supportais pas la tromperie, tu ne supportais pas le manque de respect. Face à toi se trouvait un mélange des deux. Tu ne savais pas comment réagir, tu ne savais pas comment t'exprimer. Un mélange de haine, de dégoût, d'incertitudes, d'étonnement. Tu ne pouvais pas accepter. Non. Pas aujourd'hui, pas maintenant, ni même jamais. Tu la toisais, les sourcils froncés, la bouche renversée. "Arrête tes jolies phrases, t'es sérieuse là ?". T'avais besoin d'une cigarette, tu voulais faire l'effronté, le mal élevé. Tu voulais qu'elle parte, ne plus jamais la revoir. "Vas-y, barre-toi. T'es pas la bienvenue ici". T'étais à chaud, t'étais sur les nerfs. Tu t'en foutais bien de mettre quelqu'un à la porte, puis de toute façon, elle faisait tâche ici.