Une journée comme une autre au Portugal. Du moins, depuis le début de son séjour. Partager une suite avec Noa et sa meilleure amie, n’était pas non plus de tout repos, mais cela se déroulait mieux qu’il ne l’avait pensé. Apprêté pour une soirée dans un bar de plage, l’irlandais sirotait son verre rhum en terrasse avec les rescapés de sa bande habituelle. Ce soir, c’était soirée entre mec. Aucune femme n’était conviée. Enfin, juste au début. On ne pouvait pas dire que Rylan était le genre de mec à collectionner les conquêtes. Pas parce qu’il n’y arrivait, mais parce qu’il n’y voyait aucun intérêt. Aussi, il préférait se concentrer sur l’amitié de ses potes. Jusqu’à maintenant, tous se passait plutôt bien, mais ça, c’était avant que son regard s’arrête sur un fantôme. Accoudé dos au bar, il était parti prendre une simple bière, lorsque ses pupilles croisaient une silhouette disparu depuis longtemps. Du moins, le pensait-il. Face à lui, se tenait la stature de Lauri. Un de ses nombreux fantômes de Washington. Vous savez, c’est amitiés qui s’étiolaient avec le temps. Pourtant, il était là. Devant lui. Bien portant.

.

@LAURI J. JÄRVINEN

Andy était repartie... ça y est. J'étais franchement un peu dégoûté mais j'essayais de ne pas trop le montrer, encore moins à elle. Ne pas nous voir pendant neuf jours n'en rendrait les retrouvailles que plus intéressantes, je préférais une fois encore voir le verre à moitié plein. J'avais été invité par un pote à une petite soirée à Albufeira... J'avais hésité, parce que ce n'était pas un open bar et qu'en tant que SDF logé au Portugal par sa pote richissime et bornée, j'n'avais même pas la thune pour me payer le moindre verre. Pourtant il insistait, alors je prenais de quoi fumer sur moi de notre petite réserve avec Skyler. Fumer au Portugal n'était paraît-il pas légal, mais la dépénalisation avait clairement changé les mentalités et je voyais au quotidien des gens fumer en public sans se prendre d'amende, donc je n'allais pas me gêner. En plus, ça me rappelait Washington de pouvoir fumer dehors. Arrivé au bar, y avait une bonne ambiance, et que des mecs, ça changeait et j'aimais beaucoup l'idée. Mon pote me paya un verre de whisky coca mais comme je ne voulais pas qu'il m'entretienne toute la soirée, je le buvais franchement lentement... Je fumais surtout, buvais presque rien. Il y avait un peu de monde alors au début, je ne t'avais pas vu... mais je finis par me sentir un peu observé et mon regard fut attiré par ta présence au niveau du bar. Je restai immobile, te fixant sans savoir comment réagir. Aux dernières nouvelles, le cannabis ne donnait pas d'hallucination, donc t'étais bel et bien là... Comment c'était possible ? Après tout ce temps, j'étais encore un peu amer de la manière dont nous avions perdu contact. Après un instant d'hésitation, je me levai et m'approchai de toi. T'avais quasiment pas changé après toutes ces années. Est-ce que ton nouveau pote là, Tom, était là ? Salut Rylan, dis-je simplement, partagé entre ma joie de retrouver mon meilleur ami d'il y a quelques années, et l'amertume d'avoir été laissé sur le banc de touche.

Sobre, il savait que ce n’était pas une hallucination. Pourtant, il en avait la sensation. Des images du passés, venaient se bousculer dans son esprit. Trop nombreuse. Trop étouffante. Pourtant, elles étaient bien là. Lauri, c’était le gars qui l’avait accueilli dans une ville surpeuplée. Saturée. Un meilleur ami. Un grand frère. Il avait rempli ce rôle avec perfection. Puis, Tom s’était interposé. Encore une fois, il lui avait pris ce qui aurait pu le rendre heureux. Seulement, Rylan s’en était rendu compte trop tard. La stupidité de l’adolescence, l’avait manipulée et écarté du bon chemin. En observant la silhouette immobile de son passé, l’irlandais se demandait si elle allait s’éloigner. Le fuir. Ce qu’elle ne fit pas. A l’inverse, le fantôme se rapprochait de sa personne. En entendant sa voix, il sut que c’était bien réel. Seulement, que dire après toutes ces années ? Comment ignorer les rancunes qu’il avait pu ressentir ? Brusquement, le temps s’accélérait de nouveau. L’éloignant des fantômes au moment où il ouvrait enfin la bouche pour parler. « Ça fait longtemps. » Un sourire, presque timide étirait ses lèvres, mais son regard était mélancolique ? Incertain ? A cause de Tom, leur dispute, leur quotidien, ils s’étaient perdus de vue. Puis, il n’avait pu entendu parler de Lauri. Juste que les choses avaient mal tournés et qu’il n’avait pas été présent pour Lauri. « Comment ça se passe depuis tous ce temps ? »

.

@LAURI J. JÄRVINEN

Tout l'herbe de la terre pouvait me faire fonctionner au ralenti, me faire rire frénétiquement pour pas grand-chose et faire jouer les ombres ou confondres les couleurs, mais je ne verrais jamais d'éléphant ou de panthère rose sans qu'il n'y en ait véritablement en face de moi. Tu ne pouvais pas être le fruit de mon imagination. J'ignorais comment réagir, surtout avec le temps qui avait passé... on aurait été sept ans en arrière, j'aurais tourné la tête et continué ma soirée. Mais aujourd'hui ? Le temps avait fait son œuvre et la rancœur, bien que toujours présente, n'était plus si vive. Puis nous avions changé, mûri, nous n'étions plus les mêmes, il était probablement temps de passer à autre chose, alors je ne pouvais simplement t'ignorer. Clairement. Quelques années maintenant. Je reportai le joint à mes lèvres pour prendre une taf et te le tendai, au cas où tu veuilles aussi tirer dessus. Dans le doute, on sait jamais. On peut dire que ça va, répondis-je en haussant une épaule. J'suis SDF, des mecs ont pété ma bagnole, j'suis marié mais en couple avec une autre et j'ai recouché avec Loïs. Ma vie est un joyeux bordel en somme. J'avais envie de te partager ces choses-là, encore aujourd'hui, mais ça bloquait. Ça ne sortait pas. Et toi ? Qu'est-ce que tu fais ici... ? me risquai-je à demander. Même si la réponse était pretty obvious. T'avais certainement intégré Harvard, toi aussi, tout comme Loïs. Sinon, quel était le pourcentage de chances qu'on se retrouve au Portugal ?