Si ça coûte cher, vous m'en direz tant... c'était ma première dette, et mon université ne s'était pas gênée pour me claquer la porte au nez après la mort de ma mère. Incapacité financière, qu'ils disaient. Sans blague. Bande d'enfoirés. Au final, on se rend compte au fond du trou que peu de gens sont aussi altruistes qu'ils le prétendent. Parce que finalement, peu de gens m'avaient réellement tendu la main. Ce n'était heureusement pas une généralité, et je me rappelais encore chacune des personnes qui m'avait rendu service depuis que j'étais dans la merde. Et philosophe à tes heures perdues... tu les accumules dis-moi, dis-je avec un rire. Alors qu'elle récupérait ma guitare, j'en profitai pour m'allonger dans l'herbe. Ça faisait un bien fou, les brindilles me chatouillaient les oreilles. L'herbe était fraîche, ce qui contrastait avec le rayon de soleil qui perçait les feuilles et chauffait sur nos jambes. Epargne-moi vive le vent, pour une fois qu'il fait beau... J'eus un léger rire. Allez vas-y, je t'écoute. Je me redressai un peu pour pouvoir boire mon café sans m'étouffer alors qu'elle commençait à jouer et à chanter. Je l'observais en silence. Cette fille était vraiment fascinante. Elle avait probablement des défauts, mais pour le moment, je peinais à lui en trouver. Ce n'était probablement pas très objectif comme point de vue, parce que je devais bien admettre qu'elle me plaisait beaucoup. Mais on vivait définitivement pas dans le même monde. Au milieu de la chanson, une rafale de vent souffla un peu plus fort que les fois précédentes et je me redressai d'un coup en voyant mes feuilles s'envoler. Des partitions ? Absolument pas. Je rattrapai quelques uns de mes dessins avant qu'ils ne s'envolent trop loin, l'un d'eux s'écrasa contre Andy. Merde, j'avais pas vu que ça tenait pas bien, dis-je avec un léger rire, triant mes dessins. Heureusement les trois quarts étaient dans leur pochette, que j'attrapai pour les ranger tous à l'intérieur.

Je n'ai normalement jamais honte de rien, mais là, j'avoue qu'avec ma petite phrase cliché et tes moqueries, je me sens un peu gênée. J'suis pas philosophe non, loin de l'être. Je passe beaucoup plus de temps à régler les problèmes que la vie amène, plutôt que de me demander pourquoi. Si je devais faire ça, je passerais probablement mon temps à pleurer et maudire ce monde dans lequel on vit. Bref ! Tu me demandes d'épargner vive le vent et c'est ton jour de chance : je n'ai en réalité jamais appris à le jouer, je plaisantais. Je commence donc à jouer, sans me soucier des passants, ou même de ton regard sur moi. À vrai dire, je ne sais même pas si tu me regardes et pour être bien honnête, je me suis enfermée dans ma bulle... Mais ça, c'était avant qu'une feuille s'écrase sur ma gueule et brise complètement le momentum. J'éclate de rire, même si ça m'a bien surprise pour le coup ! C'est pas grave t'inquiète ! Je lâche les cordes de l'instrument pour attraper la feuille qui s'était envolé sur moi et remarque involontairement qu'il s'agissait d'un dessin, deux en fait, puisqu'une feuille était collé à l'autre. Tu dessines, aussi ? Sur les deux dessins, il y a le portrait d'une même femme, sur deux angles différents et ils sont tous les deux vachement fascinant. En réalité, on dirait même presque des photos. C'est... elle est magnifique, en tout cas... Je ne veux pas te gêner, mais du coup, j'suis curieuse d'en voir d'autre... et surtout, curieuse de savoir qui c'est, cette femme.

Une feuille s'était écrasé sur la tronche d'Andy, et je ne pus m'empêcher de rire devant la scène. Pour le coup, le vent avait drôlement bien visé. J'étais en train de remettre de l'ordre dans mes dessins quand Andy jeta un coup d’œil à la feuille qui s'était -délicatementlul- posée sur elle. Ouais, depuis... depuis que je suis en âge de tenir un crayon en fait je crois, répondis-je pensivement en essayant de me rappeler depuis combien de temps. Mais finalement, j'avais le souvenir d'avoir toujours dessiné. Je me sentais un peu gêné de la voir regarder mes dessins, c'était assez personnel pour moi. Je mettais énormément de cœur dans ces dessins, je donnais le meilleur de moi-même pour essayer d'être fidèle à ce que les gens semblaient ressentir. Je ne me contentais pas de les dessiner physiquement, j'essayais de faire une représentation réaliste et fidèle de qui ils étaient, avec leurs rêves et leurs remords. J'esquissai un léger sourire à son compliment. Merci... Je jetai un œil aux dessins qu'elle tenait et me sentais d'autant plus gêné. Mon ex, à Washington. Ça fait quelques temps maintenant, j'en ai des plus récents. Fallait bien avouer que Loïs était assez présente dans mes dessins. Je rouvris ma pochette et feuilletai quelques dessins avant d'en sortir un autre, le tendant à Andy. C'est mon dernier. J'avais passé une formidable soirée avec cette femme, elle avait vraiment une vie passionnante. La soixantaine, j'avais rencontré cette femme à la soupe populaire et nous avions parlé pendant des heures que je n'avais pas vues défiler. Elle arborait sur le dessin un regard fatigué mais elle respirait la gentillesse. Je t'avoue que je montre peu mes dessins habituellement... ils sont assez personnels, ajoutai-je avec un léger sourire. Mais ça me faisait plaisir qu'elle les voit. Sinon je me serais contenté de les ranger.

Tu dessines alors depuis toujours... et avec un talent comme ça, ça ne m'étonne pas. Sois tu es naturellement doué, sois tu as eu beaucoup de pratique... peut-être même les deux. Je connaissais déjà ton talent pour la musique, je peux dire sans hésitation maintenant que tu as l'âme d'un artiste. J'observe vite-fait les dessins avant que tu me les reprennent, un petit sourire gêné aux lèvres. Tu me remercies en regardant tes croquis, puis tu m'expliques que la femme sur les deux images est ton ex-petite amie et que ce sont de vieux dessins. Tu me montres alors un croquis plus récent, une autre femme. Tu ne m'expliques pas son histoire et pourtant, j'ai l'impression de pouvoir la lire à travers les traits de ton crayon. On dirait qu'elle a un passé difficile, mais comme une fleur, elle a résisté à l'hiver. Elle m'a l'air gentille, comme une bonne maman et on dirait le genre de femme qu'on pourrait écouter parler pendant des heures. Avec ce que tu me dis en tout cas, elle a l'air intéressante. Assez du moins pour que son histoire et son image se retrouve sur l'un de tes papiers. Tu m'avoues ne pas montrer tes portraits à n'importe qui, puisque c'est un peu ton jardin secret à toi. Honorée, je te rends ton dessin avec le sourire. Tu apprends à connaître tes modèles avant de les dessiner alors ? Demandai-je curieusement. J'aime pas qu'on me prenne en photo mais... Tu me dessineras, un jour ? Une photo, c'n'est pas la même chose... puis franchement, j'ai pas l'impression que tu rates tes dessins.

La discussion prenait une tournure vraiment plus personnelle. J'observais Andy alors qu'elle admirait mes dessins, qui lui faisaient clairement plus d'effet que de m'avoir entendu chanter. Je la regardais en silence et récupérai le dessin de la dame de la soupe populaire lorsqu'elle me le tendit en retour. Je serais bien incapable de faire le portrait d'une personne sans lui avoir parlé avant... ça resterait un simple croquis, dis-je en regardant mon dernier dessin avant de le ranger dans la pochette avec les autres. Je relevai les yeux vers Andy à sa question. Si j'étais un peu nerveux depuis le début parce que peu habitué à parler à une fille qui me plaisait dernièrement, je ne l'étais plus. Je ne pouvais pas être nerveux quand je parlais de mes dessins, c'était la passion qui parlait et me guidait, une seconde nature chez moi. Je plongeai un instant mon regard dans les yeux d'Andy puis esquissai un sourire avant de lui répondre. Oui, je pense que j'en serais capable. Les photos, à moins d'un photographe très doué, reflètent généralement plus le physique de la personne, ou le moment présent. Je terminai mon café, puis repris : Je te laisse choisir l'endroit où tu te sentirais le mieux. Réfléchis-y jusqu'à ce qu'on se revoie. Le dessin, c'était finalement vraiment ma vie. Je refusais d'en faire mon métier, parce que dessiner devait pour moi rester un plaisir et je voulais être libre de mes mouvements et de mes choix. Je ne connaissais pas bien Andy, mais elle m'avait tapé dans l’œil dès le premier jour où je l'avais vue. Une fille sublime doublée d'une personnalité forte. La dessiner me permettrait de lui montrer comment je la voyais et peut-être que personne ne l'avait jamais vue comme moi, qui sait.

Tu serais capable de dessiner n'importe qui, mais ça resterait un simple croquis. J'ai utilisé ma première question en fait, simplement pour me diriger vers la deuxième. En gros, je t'ai demandé ça uniquement pour te faire comprendre que ta présence est agréable et te revoir, apprendre à te connaître, me plairait. Si en plus de ça, tu veux me dessiner, eh bien pourquoi pas... Je pense que ça peut être intéressant de voir de quoi j'ai l'air, à tes yeux. Tu m'annonces que tu serais capable, puis me demande de réfléchir à l'endroit où je suis le plus à l'aise. Je n'ai pas besoin de réfléchir en fait, je sais que l'endroit où je me sens le mieux, c'est dans une salle d'opération. Mais bon... comme tu peux pas m'accompagner, je dirais que le deuxième ce serait... En fait, le deuxième est chez moi, en France. Mais ce n'est pas vraiment une option. Dans ma chambre. Le seul endroit où je peux m'enfermer pour réfléchir, écouter ou jouer de la musique et surtout, dormir.

Une salle d'opération ? Pour le coup, c'était peu commun comme endroit favori, mais cela me fit sourire. Pour moi ça refléter une personne passionnée par son travail, fière de son travail accompli, et dans le cas d'un docteur, qui voudrait sauver des vies à chaque instant. Peut-être étais-je à côté de la plaque, peut-être pas. Quoiqu'il en soit ce serait compliqué pour moi de m'incruster dans une salle d'opération pour la dessiner, elle avait bien raison. Pas de soucis. Tu as un appartement ou c'est à Harvard ? Rien qu'à l'idée de traverser l'école, j'avais envie de rire tellement je faisais tâche dans le paysage. Mais j'le vivais bien, ça me faisait rire plus qu'autre chose. Je pourrai pas aujourd'hui... mais on se croise régulièrement, tu n'auras pas de mal à me retrouver, ajoutai-je avec un petit sourire. J'étais loin de me douter en me levant dans la matinée qu'on parlerait elle et moi, et qu'elle voudrait me revoir. J'avais hâte de la dessiner désormais, elle avait ce petit quelque chose dans ses yeux qui me donnait des ailes. J'adorais cette sensation.

La salle d'opération était importante pour moi... parce que c'est là que ma vie a commencée. Je ne parle pas de la césarienne que ma mère a dû subir pour me donner vie - mais de "l'accident" que j'ai eu lorsque j'avais 6 ans, le même "accident" qui a tué ma mère. Les guillemets sont bien importantes, mais c'est une trop longue histoire pour aujourd'hui. C'est dans un appartement ! Je te souris. D'ailleurs, mes colocs sont tous des artistes, comme toi et moi... J'suis sure que tu t'entendrais bien avec eux, aussi. Tu finis par m'avouer qu'aujourd'hui, tu ne pourrais pas. Puis tu ajoutes qu'on se croise régulièrement et que je n'aurai pas de mal à te trouver... Je rigole doucement et répond : Oui mais c'est l'été... et avec les vacances, je ne passerai pas autant de temps dans le coin. Du coup, t'as un numéro de téléphone pour que je puisse te rejoindre ?

J'esquissai un sourire quand elle évoqua ses colocataires. J'avais jamais vécu en colocation, j'étais pas certain que ça me plairait. Beaucoup trop de mauvais retours, de mauvais match... mais quand on trouve les bonnes personnes, ça doit être quand même vraiment cool. Possible ! Après pour la dessiner, il valait mieux qu'il n'y ait personne dans l'appartement. On n'est jamais vraiment soi-même entourés de nos amis. Je t'avoue que je préfère la bonne surprise de la spontanéité, j'suis un peu roots comme mec... puis y a rien qui presse, répondis-je avec un petit regard malicieux. J'avais clairement pas la thune pour me payer un téléphone, c'était ça la vérité. J'avais néanmoins tiqué sur ses paroles. Tu t'absentes cet été alors ? demandai-je en m'appuyant sur les bras. Je m'étais habitué à la voir passer, ça me ferait bizarre de ne plus la voir, surtout maintenant qu'on s'était parlé.

Les colocations, c'est pas vraiment c'que je préfère aussi... mais bon, je ne fais pas ça parce que j'en ai envie, mais parce que je n'ai pas les moyens de me permettre un appartement seule. J'ai de la chance d'avoir une chambre plus éloignée de celles des autres, au moins, j'peux avoir la paix quand je ferme la porte. Bref, je te demande ton numéro de téléphone puisque c'est l'été et que je risque d'être beaucoup moins dans les parages. Sans me donner ton numéro, tu m'avoues que tu préfères qu'on se recroise par hasard. Parce que c'est plus spontané. Je te dévisage quelques secondes, avec un sourire aux lèvres... et peut-être même un peu gênée en fait ? C'est la première fois que je demande un numéro de téléphone et que je ne l'obtiens pas... Peut-être que j'te plais pas en fait ? Je vois. Je commence à rassembler mes affaires et en un élan, je me lève et essuies mes vêtements. Ouais. J'vais à ce road trip ou j'sais pas trop quoi en Europe... t'as surement vu la pub partout en ville. Je te souris, même si tout d'un coup en fait, j'suis plus vraiment sure de vouloir rester ici avec toi. Du coup je ne passerai pas l'été à Boston. J'suppose qu'on va se recroiser par hasard en Août, dans ce cas ! Spontanément quoi, comme tu préfères.