Lorsque tu m’as parlé de ton envie de piloter à nouveau, je n’ai pas hésité bien longtemps avant d’accepter –voir pas du tout. Pour moi, c’était une occasion en or de connaitre des sensations fortes à nouveau et si je pouvais en plus t’aider dans le processus, ça faisait d’une pierre deux coups, non? Enfin, c’est comme ça que je voyais les choses alors que nous nous dirigions vers l’engin aux énormes hélices. « J’peux pas. » Je secoue négativement la tête et m’approche de toi en posant mes mains à plats sur ton torse. « Oui tu peux. » Et je le crois, je ne dis pas simplement ça pour te rassurer. J’crois en toi Elliot Maxwell et je veux que tu crois en toi aussi. « Regarde-moi. Relaxe… respire. » Je mime une respiration exagérée, inspirant par le nez et expirant par la bouche à plusieurs reprises, un peu comme on fait avec les femmes sur le point d’accoucher et en pleine contraction. « On va monter à bord de cet hélico et tu vas la piloter comme un chef et tout ira bien. » Je ne te le promets pas puisque je déteste les promesses dans le vide, mais j’y crois bébé.

Je la vois la panique dans ton regard, je le sais très bien que t’as envie de tout arrêter et de partir maintenant. Jeter l’éponge avant même d’avoir commencé, ce serait tellement plus simple. Mais j’vais pas te laisser faire ça. Il y a suffisamment de moi qui gâche sa vie, t’es pas obligé d’faire pareil. « J’ai peur. » J’avale de travers parce que je déteste te voir comme ça et laisse descendre mes mains de ton torse à tes avant-bras pour venir enlacer nos doigts. Je serre un peu pour te montrer que je suis là avec toi et que je ne vais nulle part. « Prend le temps qu’il faudra.. l’hélico n’ira nulle part sans nous. » Et tu n’iras nulle part sans avoir au moins essayé, mais ça, je ne le dis pas à voix haute. Je me contente de soutenir ton regard –chose facile puisque je suis plus petite que toi et que, même si tu penches la tête, je peux te regarder droit dans les yeux. J’voudrais te servir des paroles rassurantes, te donner des conseils super sage et tout… Mais c’est pas exactement moi alors je me contente de t’encourager et d’être physiquement là pour toi. C’est ce que je fais de mieux de toute manière.

Une respiration après l’autre, tu sembles lentement te refaire une contenance. C’est possiblement un masque, j’ai du mal à croire que ce soit vrai, mais tu te botte le cul et c’est exactement ce qu’il faut. Tu lâches deux trois ordres et les mecs qui sont là obtempèrent, vérifiant l’appareil sous toutes ses coutures alors que tu les suis attentivement, t’assurant que cette fois, il n’y aura aucun problème. Les bras croisés et les cheveux qui vont dans tous les sens, je vous observe et t’admire silencieusement. C’est certainement pas moi qui affronte mes peurs… Enfin, je l’ai un peu fait avec Silas, mais la simple mention de son nom en pensée me fait grincer des dents. Tu reviens finalement vers moi et ton masque tombe à nouveau. « Ça devrait être bon… » J’hoche la tête. « Ok.. » J’esquisse un sourire qui se veut à la fois joueur et rassurant. « Je suis un bon pilote. » Cette fois, mon sourire se change en petit rire. « En tout cas, si tu pilotes cet appareil comme tu me pilotes moi, on ira tout droit au septième ciel bébé. » Je sais, c’était pourri, mais l’idée est simplement de détendre l’atmosphère au maximum et de te redonner confiance en toi. « Plus sérieusement, j’ai confiance en toi Elliot. Aveuglément. » Et c’est vrai, je ne dis pas ça simplement pour ton égo.

Ouais non, c'est qu'une façade. J'fais le mec qui se reprend, qui dépasse ses peurs, je joue l'autoritaire avec le personnel technique mais dans ma tête, c'est l'apocalypse, la troisième guerre mondiale, l'épidémie biologique. Un virus qui paralyse mes membres. Et ce virus, c'est la peur. Cette foutue peur que je prétends ne pas avoir depuis le début. J'suis un bon pilote. Je l'ai toujours été. Presque aussi bon que sur une planche de surf. Hein? Ta remarque en temps normal m'aurait bien fait rire, mais là, elle entre dans une oreille et ressort par l'autre sans que j'y prête vraiment attention. "Je sais que t'as confiance. C'est bien ce qui me fait peur." Tu sais, j'ai imaginé ce moment. Tellement de fois. Dès le lendemain de l'accident. Mais j'ai jamais su me décider. "Je sais que tu me fais confiance mais... Est-ce que je peux prendre un deuxième pilote à bord? T'sais, au cas où..." Au cas où j'perds mes moyens. Au cas où je me tape une crise de panique en plein vol. Au cas où je mettrais ta vie en danger.

Ma blague fait mouche et je reprends un air plus sérieux en te fixant patiemment. Tu peux prendre tout le temps dont tu as besoin, ce n’est pas moi qui fait te pousser. C’est pas facile tout ça, c’est même carrément un exploit là que tu sois ici, juste à côté de l’appareil de tout tes cauchemars. "Je sais que t'as confiance. C'est bien ce qui me fait peur." Je pince les lèvres. Pourquoi est-ce que ça te fait peur que je sois en confiance? Ne serait-ce pas encore pire que je me tortille de terreur à l’idée de monter avec toi? Que je craigne que tu nous fasses crasher et ainsi alimente tes peurs? "Je sais que tu me fais confiance mais... Est-ce que je peux prendre un deuxième pilote à bord? T'sais, au cas où..." Mon front se détend, mes sourcils se dérident et j’esquisse un léger sourire. « Bien sûr que oui bébé, mais c’est toi qui pilote. D’accord? » Parce qu’on n’est pas là simplement pour voir le paysage, on est là pour que ce soit toi qui nous amène dans les airs et nous fasse atterrir sans encombre.

Tu m’autorises à prendre un deuxième pilote à bord et je soupire longuement de soulagement. Ok, y’aurait des renforts au cas où. Et puis, c’était un vol contrôlé là, tout le monde savait qu’on partait et où on partait, c’était un hélico de prêt avec un traceur GPS relié à l’entreprise. C’était pas juste moi, seul, dans mon petit hélico personnel, qui décidait de partir sur un coup de tête découvrir un peu le ciel dans prévenir personne. Pas comme avant. J’enfile le casque protecteur relié à un micro et la radio. « Mets-le. On sait jamais. » Ouais, moi, clairement, j’avais pas confiance en moi. Les techniciens ouvrent les portes, le pilote de secours monte à bord, à l’arrière, et t’invite à monter côté passager. Et c’est à mon tour. J’ai la chair de poule, j’ai l’impression de me faire poignarder une troisième fois — un éclair vif et froid qui me traverse le corps. Et c’est dur, de mettre un pied devant l’autre, pour contourner l’appareil et grimper derrière les commandes. J’ai la tremblote, les mains moites même, et j’ai envie de me claquer la tête contre le mur pour autant de ridicule.

Le moment est venu, c’est enfin le temps de monter à bord de l’appareil et je te regarde avec de grands yeux pleins d’anticipation. Tu enfiles ton casque et m’en tends un aussi. « Mets-le. On sait jamais. » J’esquisse un petit sourire discret. J’suis pas mal certaine que ce soit obligatoire si on veut arriver à se parler là-dedans, mais qu’importe les détails. Je le mets sur ma tête et m’assure qu’il soit bien installé avant de suivre les instructions pour monter à bord, m’installant côté passager en bonne copilote que je suis –la promotion les gars, z’avez vu? Trêve de plaisanterie, je pose mon regard sur toi et je le vois bien que tes mains tremblent. C’est tout juste si je n’vois pas ton cœur qui bat à travers ton t-shirt. Je pose ma main sur la tienne pour attirer ton attention. « Hey… une respiration à la fois. » Je te fixe en t’envoyant le plus d’onde positive possible. J’sais pas quoi faire de plus en fait alors… voilà. Tu voulais que je sois là, que je t’accompagne, que je te soutienne et c’est exactement ce que je fais Elliot. « Quand t’es prêt, j’suis prête. »