Les écouteurs sur les oreilles, j’essaie de puiser dans la mélodie qui passe pour me calmer. Souvent, ça fonctionne assez bien. Là, pas vraiment. J’ai trop de trucs en tête pour que ça aie une chance. Je suis trop stressé pour que ça aie une chance.

Changeant de chanson, j’essaie une nouvelle fois. Mauvais rythme.

Encore. Chanson de merde.

Encore. Non.

Encore. …

…

J’en ai marre.

Je sais très bien que ça ne me calmera pas. À ce stade, faudrait que je m’éclate les tympans avec les décibels. Et l’effet canalisant de la peinture suffira probablement plus. Je connais le cycle. Et je me trouve con chaque fois que je me retrouve dedans. Chaque fois que je vois mon reflet dans le miroir le lendemain. C’est pathétique, en vrai.

Soupirant, je retire les écouteurs qui ne me serve à rien et mon regard se porte vers Carter.

- On sera pas plus avancé si je me retrouve dans le même état, marmonnais-je en français.

M’asseyant sur le bout de la chaise, j’appuie un avant-bras sur le bord du lit et pose mon menton dessus. Automatiquement, ma main libre va rejoindre celle de ma cousine, tandis que mes iris se fixe sur le tatouage qui orne son poignet, me rassurant en un sens de savoir que même si elle est inconsciente, le sang continue de circuler et qu’elle n’est pas devenu froide sous mon toucher.

Je ne sais pas combien de temps je suis resté ainsi, sans bouger, occultant le reste, mais lorsqu’un bruit se fait entendre, je tourne la tête vers le visage de la blonde avant de réaliser que ce n’est pas elle qui a bougé, mais bien Jax qui vient d’entrer. Sa timidité en ce moment me tire un faible sourire, je n’ai malheureusement pas l’énergie de faire plus.

- Dis-moi que tu as des cigarettes et qu’on peut sortir, répondis-je d’une voix étouffée, continuant d'utiliser ma langue mère sans m'en rendre compte.

Faut que je sorte, ça sert à rien que je me prenne la tête ici. Mais si je sors seul, je vais me retrouver dans les ennuis vu mon état. Et je peux ni aller trouver Jason au poste, ni aller chez lui. Alors la présence de Jax en ce moment, c’est limite une bénédiction!

Une légère grimace étire mes traits lorsque Jax précise que ça se voit que je n’ai pas manger depuis un moment. Ouais, je me doute. C’est pas comme si, à la base, j’avais réellement des kilos à perdre, alors du moment que je traverse une phase ou je ne me nourris plus, ça se voit à l’oeil nue. Pas besoin de balance : je fonds et mes joues se creusent comme une mauvaise caricature. Pour ça, je dois le décevoir. Lui qui, presque depuis le début s’assure que je mange correctement. En sa présence du moins. Parfois quand il n’est pas là aussi.

Laissant à Jax sa liberté de mouvement, je me montre docile quand il récupère ma veste, m’indiquant qu’on sort. À dire vrai, c’est beaucoup plus simple de me laisser guider que d’essayer d’aligner la moindre pensée. Un vague rire s’échappe de mes lèvres lorsque mon beau tatoué m’aide à m’habiller. Ça me donne l’impression d’avoir 5 ans, mais, en même temps, je le trouve simplement adorable de faire ça. De prendre soin de moi, alors qu’il aurait simplement pu repasser la porte en me voyant mal, ou qu’il aurait pu ne pas venir aussi. Mais il n’est pas comme ça.

Trouvant la force de lui adresser un faible sourire en réponse au sien, il vacille lorsque je pose à nouveau mon regard sur Carter, allongée, inconsciente sur le lit d’hôpital. Est-ce que je fais bien. Un léger mouvement de la part de Jax et je me recentre sur lui. Je peux m’absenter quelques heures, je crois. Juste histoire de refaire le plein. Savannah, Dimitri, Louison ou un autre seront sûrement là dans quelques minutes de tout façon pour veiller sur elle. Et le personnel est efficace et compétent. Je n’ai rien à craindre. Non?

Faisant taire les milles et un scénarios catastrophes - pas tous logiques, même moi je le sais - qui prennent d’assaut mon cerveau, je suis Jax et quitte finalement la chambre. Sans trop prendre conscience du chemin que l’on parcourt ou des regards que me lance certaines infirmières - d’accord, j’ai l’air d’un patient gravement atteint de je sais pas quoi - je me concentre sur la silhouette de mon petit ami et fini par déboucher à l’extérieur. À peine quelques pas et je vois Jax sortir son paquet de cigarettes, m’en tendre une que je prends sans argument. C’est pas de refus! Il pousse jusqu’à l’allumer et, encore, je ne peux m’empêcher de penser qu’il est loin d’être le connard qu’il me décrivait quand on a commencer à se revoir en automne. Tandis qu’il me couve d’un regard où perce facilement une certaine inquiétude, j’ai un léger soupir, tente de lui sourire.

- Arrêtes de t’en faire; je ne m’écroulerai pas devant toi, fis-je avec une voix un peu rauque, trahissant que je n’ai pas parler souvent ces derniers jours. Me raclant la gorge, je reprends : j’ai simplement besoin de vitamines et de sommeil. On pourra rentrer dormir chez toi? Le questionnais-je doucement comme si j’avais peur qu’il me dise non. …Après avoir manger, accordais-je avant même qu’il ne le négocie, un petit sourire aux lèvres pour lui montrer ma bonne foi.

Je me contente d’hocher la tête à sa première remarque, plus ou moins convaincu. J’essaie de régler, j’ai pas toujours les bonnes méthodes, mais normalement je m’en sors avec plus ou moins de dégâts. Et l’un des premiers aspects qui me trahi, ce sont les carences alimentaires. Depuis que je suis ados. Je m’en vante pas, mais je suis réaliste : la bouffe passe loin dans mes priorités très - trop - souvent. Et c’est quelque chose que Jax a rapidement compris et constaté. Aujourd’hui, c’est pire que n’importe quand.

Quand il me questionne à savoir pourquoi je ne l’ai pas appeler plus tôt, je baisse la tête, tirant un peu plus sur ma cigarette ayant un mouvement nerveux de la main dans la poche de manteau que je m’efforce de contrôler.

- Je sais… finis-je par souffler, expulsant un nuage de fumée avant de relever les yeux pour le regarder. Je sais que t’aimes pas me voir dans cet état - que ce soit mentalement ou physiquement - et c’est peut-être, en partie, pourquoi je t’ai pas appelé : parce que je sais que suis pas agréable quand je suis une boule de nerfs. J’avais pas nécessairement envie que tu me vois comme ça, c’est comme quand je me suis battu la dernière fois, expliquais-je avec une moue désolé. Y’a aussi que j’ai juste plus l’habitude d’appeler quelqu’un d’autre que Jason ou Shirley, ajoutais-je. …Et, en ce moment, je peux pas. …Le paternel est là, lâchais-je finalement avec un soupir en passant une main dans mes cheveux pour les ramener en arrière.

Il a toujours un timing extra celui-là! Bon, ça m’énerve chaque fois qu’il est là, mais cette semaine, c’est surtout que j’aurais eu besoin de ma famille. C’est aussi pourquoi Jason ne vient pas à l’hôpital, il se contente de recevoir des nouvelles par texto et essaie de s’assurer que je ne me retrouve pas nez à nez avec le géniteur puisque la dernière fois… mouais… Sinon, j’aurais peut-être pu appeler ma mère, mais je ne voulais pas l’inquiéter et je ne me sens pas de quitter la ville pour aller me calmer chez elle quand Carter est encore inconsciente.

La proposition de Jax me tire de mes réflexions et avant que je n’acquiesce, je sens sa main prendre la mienne pour m’inciter à avancer. Étonné, je le suis tout de même, un léger sourire trouvant enfin place sur mes lèvres. Me débarrassant du mégot, je franchis la porte, laissant mon petit ami choisir ce qu’il prendra pendant que j’oscille entre deux ou trois choix. Me décidant finalement, je croise son regard et, après avoir indiqué un cappuccinno normal, j’ajoute un sandwich au poulet puisque j’ai promis de me nourrir au moins correctement. C’est léger, mais c’est déjà un début et mon estomac ne devrait pas trop rebuter à le prendre.

Questionnant Jax à savoir s’il veut autre chose, je prends le parti de payer le tout. Pour ce que je dois avoir “sauver” en nourriture ces derniers jours, c’est probablement loin de faire mal à mon porte-feuille.

- Merci d’être là, soufflais-je lorsqu’on s’installe à une table.

Un peu étonné par ses réprimandes, j’arrive à trouver assez de ressources pour lui sourire franchement même si c’est encore un peu faible. Cependant, je reprends un peu plus contact avec lui et j’acquiesce imperceptiblement à sa demande : la prochaine fois, je l’appellerai. C’est pas une question qu’il est de ma famille ou non, c’est le principe qu’il veut être là pour moi quand ça va pas, comme j’ai voulu être là pour lui quand ça ne se passait pas bien pour lui. Et puis, je lui avais dit de m’appeler dans ces cas-là, donc c’est normal qu’il me dise la même chose.

Le suivant au Starbuck, je profite de notre passage ici pour avaler un morceau et essayer de reprendre un bon rythme niveau nourriture. Pas que j’aie jamais eu un bon rythme, mais déjà reprendre celui que j’avais serait un stade meilleur que ce qui se passe maintenant. Je n’avalerais pas un steak présentement parce que ça fait trop longtemps que mon estomac ne fonctionne qu’au café et trop en une première fois pourrait me rendre plus malade qu’autre chose, mais à petite dose, je sais que ça fonctionnera. Pour l’avoir malheureusement fait à plusieurs reprises, je sais que ça ira.

Remerciant Jax une fois attablé, j’ai un petit rire à sa réponse, baissant la tête et prenant une bouchée. Il a beau me demander de ne pas le remercier, je sais très bien que je vais continuer à lui dire “merci” à tous moments, parce que je suis comme ça. Ça fait partie de ma nature ou de mon éducation, je sais pas trop, mais ça fait que je le dis facilement. C’est pas pour autant que je ne le penses pas, juste que c’est quelque chose que j’exprime aisément.

La promesse qu’il me fait ensuite me fait stopper mes mouvements, comme si on m’avait fait un arrêt sur image. Les secondes passent et je finis par terminer ma bouchée qui me semble un peu plus fade, avant de relever la tête pour le regarder. J’ai probablement les yeux plus voilés que je ne le devrais, le regard plus triste aussi.

- Faut pas promettre des trucs qu’on ne contrôle pas Jax, lui indiquais-je après avoir avaler et m’être essuyer la bouche avec une serviette papier. Elle s’en sortira, je le sais. Du moins, c’est ce que je veux croire qu’il se passera, expliquais-je, sérieux, contrôlant mes émotions pour me calmer. Seulement y’a toujours une part qui se met à faire 350 scénarios plus catastrophiques et invraisemblables les un que les autres. C’est inévitable : j'ai parfois une imagination trop débordante pour mon propre bien, avouais-je, mais si je suis pas tout seul, ça m’évite de faire des conneries, fis-je en laissant filtrer un pauvre rire contre ma propre bêtise. Je ne peux pas te promettre non plus que je ne te dirai pas merci encore de nombreuses fois pour des trucs qui te sembleront peut-être futiles, je suis juste ...comme ça. ... mais je peux te promettre de t’appeler la prochaine fois que ça va pas, au lieu de retomber dans une spirale comme celle que t’as brisée en arrivant tantôt, promis-je en le regardant dans les yeux.

Déjà, depuis qu’il est là je me sens mieux. Je m’inquiètes encore pour Carter, mais y’a une part rationnelle qui me dit qu’on me laissera pas dans l’oubli s’il arrive quelque chose et je me conforte en me disant que si je m’endors et que je suis avec Jax, il me réveillera si on m’appelle au sujet de ma cousine. Du coup, ça enlève une part du poids qui me pèse sur les épaules et ça ralenti la tornade de pensées.