Si mon frère me voyait, je crois qu’il rirait bien, lui qui me croyait toujours incapable de me mêler à la population. Regardez-moi, je suis au milieu de la pleb, il y a même cette fille qui m’avait touché l’épaule quand j’essayais de m’intégrer à la foule, je crois qu’elle ne l’avait pas fait exprès. On était au cœur de l’Amérique profonde, une Amérique loin de celle que semblait revendiquer Poppy.

J’étais mal placée au milieu même de ce grand pays pour en critiquer les habitants, mais je ne comprenais pas ce dont on pouvait être fier à faire partie de cette nation totalitariste. A part piller la culture et le savoir des autres continents, les Américains n’avaient pas inventé grand-chose. Pourtant il fallait avouer que pour le cinéma ils ne se débrouillaient plutôt pas trop mal.

Je ne connaissais pas tous les films de Poppy, mais j’avais pu en voir assez pour me faire une idée, j’avais du mal à me rendre compte que c’était mon amie, celle qui avait été notre babysitter à mon frère et à moi, qui étaient devenue l’égérie d’une population entière.

- D’ailleurs quand c’est qu’on te fait jouer en Allemagne pour un film ? Je pourrais t’apprendre à être une vraie Allemande.

Ça serait amusant de l’aider à entrer dans le rôle, ou peut-être de réclamer un rôle avec elle qui sait ? Je riais en imaginant la scène, même si l’endroit se prêtait mal à ce genre de jeu. Loin des plaisirs germaniques, je revenais sur terre, et surtout au milieux de cet endroit où il faudrait se faire une raison et allez se servir en laissant tout de même les yeux trainé sur le garçon de l’autre côté du comptoir.

- Depuis quand tu préfères les garçons charpentés ? Je savais pas que tu craquais sur les bucherons.

On avait peut-être pas les mêmes goûts en matière de garçon, mais ça ne m’empêchait pas de partager des affinités avec la belle américaine. Quand j’en avais eu besoin, elle était ce qui se rapprochait le plus d’une sœur, c’était un compromis parfait entre l’expérience de ce qu’elle avait pu vivre avant moi, sans avoir à supporter les caprices d’une sœur.

Si je pouvais troquer un de mes deux frères contre elle je n’hésiterais pas une seconde … enfin, Milow me manquerait, même si je ne lui avouerais pas. Je me contentais de rêvasser en pensant à ce que me disait Poppy sur le numéro de téléphone du garçon sans être réellement certaine d’avoir envie de l’obtenir.

- Son numéro, pour qu’il vienne m’apporter à manger dans mon lit ?

Avec un petit sourire malicieux, je donnais un coup de coude à ma voisine et je continuais d’avancer dans la file jusqu’à ce que ça soit notre tour. Je n’avais aucune idée de quoi commander, ça avait l’air à la fois intéressant, mais tellement gras et inconnu pour moi que j’aurais trop peur de regretter quoi que je choisisse.

- Tu as qu’à choisir toi d’accord ? Et je prendrai la même chose !

Sans être la plus originale cette fois, je faisais confiance au flair de celle qui se disait plus Américaine que moi. Après tout c’est elle qui avait choisi l’endroit, et puis je n’étais pas là pour m’empiffrer, mais pour essayer d’occuper les affaires de mon frère. Je laissais faire Poppy en l’aidant quand même à récupérer les plateaux de nourriture pour rejoindre ce qui nous servait de table. Je profitais de cet instant de silence pour sonder un peu mon amie avant d’entrer dans le vif du sujet.

- Et t’en es où en ce moment alors côté bucheron ? Tu t’es trouvé un joli barbu qui sait manier la hache ?