Dimanche 4 février, vers 6h du matin.


« Maxwell, c’est terminé. » que je l’entends grogner derrière moi. C’est bon, j’ai fait quoi d’autre de mal? J’suis au téléphone putain, qu’il me lâche un peu. Mais non, il se rapproche, se poste derrière moi, et s’il croit que je le crains, il se met le doigt dans l’oeil. Sauf que j’ravale ma fierté pour une fois, et je raccroche. Parce que j’ai pas envie d’aggraver mon cas. Mais j’te demande de venir vite, parce que j’ai besoin d’une présence familière, d’une épaule sur laquelle me reposer.

Sauf que tu dois être coincée dans les bouchons, t’as peut-être du attendre ton Uber un peu trop longtemps, parce que Cléolya est déjà passée avant toi pendant que les flics m’interrogeaient. Quand elle est entrée, j’ai cru que c’était toi. J’espérais que ce soit toi. Et personne d’autre. Parce que j’étais pas prêt à voir d’autres personnes que toi, parce que j’avais juste envie de laisser retomber tout ce mélange de sentiments dans tes bras. Alors quand c’était Cléo qui s’était assise face à moi, j’avais joué le gros dur, désagréable à souhait pour essayer de la faire fuir. En vain. Elle était trop têtue celle-là aussi, à croire que j’les aimais comme ça. Elle avait fini par partir, obéissant au flic qui avait d’autres questions à me poser, des questions auxquelles j’avais déjà répondu quinze fois. Et il m’avait enfin laissé tranquille.

On m’avait raccompagné en garde à vue, dans cette cellule offerte aux yeux de tous. Moi et d’autres, comme des animaux dans une vulgaire cage aux barreaux d’acier. Tu reconnaissais facilement les habitués, de toute façon. Les gars qui dormaient sur les bancs de béton aussi confortablement que dans leurs propres lits — s’ils en avaient un. Moi, j’étais juste assis par terre, le dos contre le mur, près des barreaux. Les jambes repliés, mes bras sur mes genoux, ma tête enfouie dedans. J’essayais de me calmer. De me vider la tête. D’éviter de penser à tout ça, à la merde dans laquelle je m’étais foutu, à Dina, à Basile, à Cléo, à la peine à laquelle je faisais face. 3 ans putain. 3 ans. Est-ce que j’y survivrai?

Dès qu’on raccroche, j’envoie des sms à tous ces gens que tu m’as demandé de prévenir, tes proches, tes amis, ce petit cercle de gens qui sauront alors que tous les autres seront laissés pour contre. Puis, j’envoie un message à Silas pour qu’il vienne me chercher. Il est hors de question que je commande un Uber à cette heure et dans cette situation. Je risquerais d’engueuler le chauffeur de toute manière alors vaut mieux pour moi d’attendre sagement que Silas se pointe. Pourquoi lui? Allez savoir. C’est le premier numéro que mes doigts ont trouvé et je ne me suis pas posé d’avantage de question.

Lorsqu’enfin il arrive, on descend rapidement jusqu’au commissariat et une bonne heure est déjà passée depuis qu’on a raccroché. J’ai le cœur qui bat fort dans ma poitrine, les mains qui tremblent et je n’sais pas quoi dire ou quoi faire. Je vais trouver une solution, je te l’ai promis, mais dans l’immédiat? Je sèche. « J’ai besoin d’un peu de temps avec lui… tu veux bien attendre ici? » Je n’attends pas vraiment la réponse du Mather avant de sortir de la bagnole et de courir à l’intérieur. Les policiers m’indiquent où tu es et je me jette pratiquement contre les barreaux de la cellule. « ELLIOT! »

C’est ta voix stridente qui me tire de mes rêveries — ou plutôt, de mes cauchemars. L’agitation quand tu te précipites vers moi, tes paumes qui claquent contre les barreaux de la cellule avant que tu ne les empoignes. Et c’est comme si mon coeur s’arrête. Il se calme, tout mon être se calme parce que, ça y est, t’es là. Je me relève donc de mon trou et colle mon buste contre les barres d’acier pour être au plus proche de toi, mes mains se glissant sur les tiennes pour chercher ton contact. « T’es venue… » Pas que j’en doutais, mais c’était sorti tout seul, comme un soupire de soulagement de t’avoir enfin près de moi. « J’suis désolé de t’avoir appelé si tard… » Ou si tôt, selon les points de vue. Mais j’savais pas qui appeler d’autre. C’était toi, c’était comme une évidence. Qui d’autre pourrait bien me sortir de là?

« T’es venue… » J’hoche rapidement la tête, ravalant au mieux mes larmes, l’émotion est bien trop forte. Ton corps se presse contre les barreaux et je fais de même avec le miens. J’imagine que c’est ce que nous aurons de plus près d’une étreinte de toute manière. Tes mains sur les miennes sont froides pour une fois et ça m’alarme parce que t’es toujours bouillant. Je déteste te voir comme ça si tu savais… « J’suis désolé de t’avoir appelé si tard… » Je secoue rapidement la tête. « Non, t’excuse pas. J’aurais pas voulu que t’appelle qui que ce soit d’autre. » C’est toi et moi contre le monde, tu te souviens? J’serai toujours là pour toi et inversement. C’est comme ça. « Ils peuvent pas te laisser sortir pour qu’on parle? » Je regarde autour, déjà prête à engueuler un policier si nécessaire.

Oui, mes mains sont froides, mon corps tremble, mes yeux sont encore rouges. J’ai mes mains sur les tiennes mais je ne les serre pas malgré l’envie. J’ai pas assez de forces, j’me sens lessivé, vidé. C’est comme si toute la pression accumulée, les faux-semblants de gros dur devant Cléolya, tout ça retombait lourdement. Le masque tombait face à toi, parce qu’à quoi bon? J’avais pas besoin de prétendre avec toi. Je secoue quelque peu la tête de façon négative. « Nan, j’suis coincé ici… » L’interrogatoire avait été mes seules heures de répit hors de cette cellule crade aux clochards qui te reluquaient un peu trop. « Mais c’est pas grave, j’suppose que j’vais devoir… m’habituer, de toute façon… » je souffle dans un mince sourire forcé qui disparait presque instantanément. Non, j’ai pas l’envie de faire semblant. « J’ai froid Serah… » que je dis en fermant les yeux, pupilles encore un peu dilatées. C’est comme si ça m’écorche la voix de parler, de prononcer ne serait-ce que quelques petits mots. J'veux juste rentrer chez moi, j'veux que tu me pinces et que j'me réveille de ce cauchemar dans mon grand lit douillet... Parce que ça peut pas être vrai. J'ai pas pu merder autant...

« Nan, j’suis coincé ici… » Ça, je le savais déjà. Mais en période désespérée, mesure désespérée, non? J’hoche donc lentement la tête et plonge mon regard dans le tient. J’ai mal de te voir comme ça bébé. « Mais c’est pas grave, j’suppose que j’vais devoir… m’habituer, de toute façon… » Je fronce les sourcils, mon corps ayant un mouvement de recul à cette idée. « Dit pas de connerie, je t’ai dit que je trouverais une solution… » Ma voix se brise parce que je suis consciente que cette solution, je ne la trouverai peut-être pas. Je ne fais pas encore dans les miracles et putain j’y connais rien moi à ces histoires judiciaires. « J’ai froid Serah… » Cette fois c’est trop, ce sont les paroles qui font déborder le vase. Les larmes se mettent à couler sur mes joues et je n’essaie même pas de les en chasser. À quoi bon? Je repasse mes mains par-dessus les tiennes et les serre comme je peux, tentent de te réconforter malgré que je sois celle en larme. « Je sais bébé… Je sais… »

Oui, tu trouveras une solution. Je le sais, parce que je te connais, et si la situation était inversée, j’me démènerais pour te sortir de là. Et si j’avais vraiment pas de solution, hell, j’t’évaderais carrément. Parce qu’il était hors de question que j’te laisse pourrir dans un endroit pareil. Parce que putain ce qu’il fait froid, ce que c’est morose et ce que les gens sont violents… Quand j’relève les yeux vers toi, tes joues sont trempées d’eau salée et je ferme les yeux, glissant une main sur ta joue à travers les barreaux. « Eh… Pleure pas. » Tu glisses ta main sur la mienne et je grimace quelque peu sous la douleur de l’entorse. J’ai une boule au ventre, un noeud dans la gorge, et ça veut pas partir. La chaleur de ta peau contre ma paume, moi aussi les larmes commencent à inonder mes joues. « J’ai mal… » J’ai mal, c’est physique mais aussi psychologique. J’me sens coupable, j’me dis que j’mériterais bien ces trois années dans une cellule dégueulasse. Parce que j’ai peut-être tué Dina. Tout ça pour quoi? Parce que j’ai pas voulu qu’elle me taille une pipe? Parce que j’ai voulu rester droit? La vie est parfois foutrement ironique, si vous voulez mon avis.

« Eh… Pleure pas. » Et ironiquement, ces paroles me donne encore plus envie de pleurer. Mon corps est secoué de tremblement et j’étouffe tant bien que mal mes sanglots. Derrière toi, un gros dur renâcle face à cette scène de tendresse à laquelle il est forcé d’assister sans jamais avoir droit à ne serait-ce qu’un semblant d’affection de ce genre. Pauvre type. Ta main trouve ma joue, tes doigts recueillent mes larmes et mon cœur enfle un peu plus dans ma poitrine, suintant la douleur qui se répand dans mon torse. « J’ai mal… » Tes propres larmes mouilles tes joues et bon sang, j’voudrais pouvoir les cueillir une à une de mes lèvres. Je n’sais même pas quoi dire, j’ai juste envie d’être là avec toi, de te toucher comme je le peux et de t’envoyer autant de soutient que possible. Je laisse retomber mon visage dans ta paume et embrasse ton poignet. « Il faut que tu me reviennes bébé..» J’pourrai pas vivre trois ans sans toi. J’ai à peine survécu durant ton voyage en Australie.

J’te dis de pas pleurer, mais bien ça, ça ne fait qu’inonder un peu plus tes joues, l’effet totalement inverse. Merde. Alors je glisse ma main sur ta joue, je tente d’essuyer tes larmes du mieux que je peux mais c’est pas facile avec mes tremblements et les barreaux qui me bloquent l’accès. Et à ce contact, je me calme. Tout redescend et… bon dieu ce que j’ai mal. Tu niches ton visage dans ma paume, et on est juste bien là. Enfin, on pourrait être mieux, mais c’est déjà une grosse amélioration comparé à mes heures précédentes. Mais bien sur, le gardien nous rappelle à l’ordre de sa grosse voix. « Mademoiselle, pas de contact. D’ailleurs, vous n’êtes pas autorisée à rester là, la garde à vue n’est pas faite pour les visites. » Non, ça c’est la prison. C’est ce qu’il dit pas. Les visites, t’y auras le droit quand je serai en taule. Putain… Je coupe le contact et ça me déchire, mais j’veux pas que t’aies de problèmes. Alors j’hoche la tête, comme pour te dire ’t’inquiète pas pour moi, ça va aller’ et te regarde être forcée de t’éloigner et de quitter les lieux. Trouve une solution Serah. Trouve et sors moi de là.