Tous les 365 jours, c'était le même rituel : après avoir sagement célébré le commencement de la nouvelle année en compagnie de toute sa famille, il avait pour habitude depuis une bonne paire d'année déjà d'honorer l'invitation d'un de ses amis les plus proches pour un afterparty. Un riche ami de longue date, un de ces petits fistons à papa richissime, un petit connard arrogant. C'est sûrement pour ça qu'ils s'entendaient si bien. Le mec en question était propriétaire d'un immense loft privatisant un étage entier d'un chic immeuble au centre de Boston. Et chaque année, Leo répondait présent. L'occasion de revoir son ami, des connaissances et de pouvoir élargir son cercle. Passant le palier de la porte double, il balaya la salle d'entrée des yeux, l'allure confiante et irréprochable. Il connaissait bien les lieux et leurs points stratégiques : se frayant un chemin parmi la foule houleuse, il s'arrêta une première fois à l'un des bars tenus aux quatre coins du loft. Entre deux bises, il sirotait son verre et riait. Le brouhaha et la musique rendaient la communication davantage compliquée, expliquant son retrait sur les luxueux sofas. L'appartement était immense, et chaque recoins de celui-ci ne manquaient pas d'ambiance : un filet de fumée recouvrait l’entièreté des lieux, filtrant pas la même occasion la lumière animée et tamisée. Pour l'instant, Leo observait. Leo d'un œil guetteur observait la foule et les couples discuter, coupes de champagne ou de sky en main, préparant le terrain pour les heures à venir.

putain, ce que ce réveillon avait été chiant. bon, pour une fois t'étais consciente que vous étiez le jour du réveillon contrairement aux années précédentes où tu le passais dans un avion en quête de nouvelle destination où tu pourrais bien foutre la merde, ou bien dans un lit qui sait. franchement, tu regrettes cette époque quand tu vois où t’en es. dans le fond tu t’en fous de passer d’une année à une autre, rien ne change. les résolutions sont pour les cons qui croient pouvoir devenir meilleurs alors qu’ils ne feront que s’enfoncer davantage, d’année en année. puis t’aurais sincèrement préféré passer ton réveillon dans ton canapé à mater un truc à la con avec Ziggy plutôt que de devoir faire un action ou vérité digne d’une classe de collégiens pour t’abreuver. t’en a eu assez, t’as fais le décompte comme une personne civilisée avant de te casser en quête d’une véritable nuit. une qui marquera peut-être ton esprit, qui sait. t’avais entendu parler de cette autre fête dans boston, invitation généreusement déclinée souhaitant te mêler aux étudiants d’harvard. ce fut un supplice, un véritable échec même. t’arrives en hâte vers le bar en te mettant à gueuler sans plus attendre, toujours sapée en tenue du nouvelle an, décolleté, débardeur, le grand jeu servira peut-être à quelque chose qui sait. « un long island s’il vous plait, et vite ! je souffre de déshydratation avec leurs conneries là. » oh crois-moi Holly, tu sais pas ce qui t’attends mais ce qui est sûr c’est qu’un shot ou deux te fera aucun mal. par « leurs conneries » tu fais référence à leur « hépépép ! lèche la nuque de ce dunster pour 50 centilitres de champomy ! ». épuisants, en effet. tu bois à une vitesse sidérante avant de te mettre à causer avec les invités qui trainent eux aussi près du bar. ainsi c'est un petit groupe qui se forme autour de toi et clairement maintenant tu te retrouves mêlée à la richesse et la haute société. peut-être même l’élite bostonienne mais la richesse jeune. celle des inconscients qui dépensent leurs sous plus qu’ils ne travaillent leur humour de beauf. t’as comme l’impression qu’ils devraient songer à inverser. mais bon tu joues les civilisées car même s'il se fait tard tu sens qu'ils sont encore tous bien trop coincés pour que la fête puisse réellement commencer.

Sirotant son verre, il se contentait d'observer la foule d'un point de vue effacé. Quelques commodités quelques fois, une poignée de main à gauche, une bise à droite, deux trois sourires forcés et des rires polis. Bien qu'il connaisse l'hôte, tous ces gens l'emmerdaient. Rien ni personne n'avait pour l'instant attiré son attention. Les gens discutaient, parlaient sûrement affaires ou bien nouvelle année, peu importe, il trouvait ça ennuyant. Alors sans plus attendre, il ouvra le pas vers la sortie, déposant sa coupe sur le plateau d'un serveur qu'il frôla. Les mains dans les poches de son smoking parfaitement ajusté, l'insolence dans le regard, celle qu'il aime tant, celle qui fait baisser les yeux, l'assurance désarmante qui provoque le doute. Sur son passage se détournaient les regards, mais le sien ne dévia pas de son objectif. Le pas rapide, droit, les idées nettes et précises. Seulement, son chemin se vit coupé par son ami, l'hôte de la fête, les yeux tout grand ouverts et les épaules exprimant l'incompréhension. « Tu fais quoi Leo? Tu vas quand même pas nous quitter! Pas avant que je te présente quelques personnes. » Il lui fit faire demi-tour sur lui-même et ne lui laissa aucun autre choix que d'avancer en sens contraire en le saisissant trop amicalement par les deux épaules. Leo, il soufflait, camouflant son agacement par un grand rire. « Pour qui est-ce que tu me prends, vieux frère? » Et il se fit emmener dans une espèce de ronde où une dizaine de personnes échangeaient déjà. Lui, il afficha un large sourire, passant sa main dans ses cheveux bien arrangés pour l'occasion. « Je vous parlais de Leo tout à l'heure, et bien le voici en chair et en os! Notre Asworth national, un vieil ami comme on en trouve plus. On a fait de grandes choses tous les deux, je dois dire que je lui en dois beaucoup. » Il souriait, le regard sur ses pompes cirées l'air humble et gêné de se faire flatter. Tout autour, on lui souriait, on le considérait et on lui jetait des sourires d'approbations, comme pour dire "oh ! impressionnant". « Tu vas me faire rougir. » Il ria, puis leva sa coupe. « Peu importe la façon dont on est arrivé ici, trinquons à la réussite. » Tous ensemble, ils trinquèrent. Et c'est en levant les yeux que Leo fut en un instant totalement déstabilisé : il y avait cette fille dans la ronde, cette blonde dont il pensait connaître les airs sans savoir d'où. Il ne pouvait détacher son regard d'elle, hanté par la nécessité de savoir d'où elle venait.

si tu avais su que tu tomberais sur lui ce soir, jamais tu n’aurais mis les pieds à cette fichue soirée. t’as le don de prendre des mauvaises décisions et la merde dans laquelle tu viens de te foutre en est la preuve. t’es tranquille, au bar, entrain de discuter avec les riches bostonniens du coin - y’en a que tu reconnais d’harvard mais bon, vraiment pas le type de personnes que tu fréquenterais et ton hypocrisie est telle que tu fais style de t’intéresser à toutes leurs vies de merde. putain mais y’a personne d’intéressant c’est fou ça, leurs pseudos dramas de riches tu les leur fous là où tu penses. heureusement pour toi, t’es une sacrée bonne actrice et tu sais comment te prêter au jeu. alors tu t’y prêtes, t’incrustes ton pion dans la partie et tu t’inventes ta petite vie pour te familiariser avec eux. qui sait, peut-être que cette soirée connaîtra une suite agréable au final. ce que tu peux être naïve. là, un gars débarque comme une fleur en mode il tape son annonce mais toi t’y prêtes pas trop attention, tu continues de causer comme si de rien n’était avec les autres puis vous trinquez, la vie est belle. et là, on peut le dire, c’est le drame. sans même t’en rendre compte, ton verre vient tout juste de quitter tes mains pour se briser au sol. tes membres se crispent un par un et c’est le cas de le dire : on dirait que t’as vu un fantôme. tes yeux ne lâchent pas son regard, son regard qui ne te quittera donc jamais. t’as envie de fuir, de prendre la porte de sortie pour ne plus jamais sortir de chez toi. tu sais que c’est lui, c’est une évidence. son visage te rappelle bien trop de choses pour que ton meilleur ami, Leo Asworth, soit bel et bien dressé devant toi. après tant d'années. pourtant, t'as l'impression que vous vous êtes quittés hier. vos regards ne se quittent plus et pendant un instant il n’y a que lui, toi et votre passé. faut que tu te ressaisisses, après tout ce que t’as parcouru tu ne peux plus laisser tes démons l’emporter. t’en sais rien si lui, il t’a reconnu et à vrai dire t’espère qu’il t’a oublié comme t’aimerais tant l’avoir oublié. mais non, t’as l’impression de vous y voir, vous deux dans ta maison à bath, cette soirée-là où.. ça n’a pas d’importance. tu ne veux plus y penser. « enchanté, Leo Bachcorth c’est ça ? » ouais, t’as osé. la moindre des choses c’est de déformer son nom après tout ce qu’il t’a fait enduré. ouais, cette fois-ci tu comptes bien avoir la vengeance que tu n’as jamais eu. tu comptes bien te battre jusqu’à ce que tu le réduises à néant, tu comptes lui faire ressentir exactement la même chose qu’il t’a fait ressentir. rien ne pourra t’arrêter ni te faire changer d’avis. cette salutation, certes emplie de politesse n’est que le début de la fin. le regard dûr, tu ne quittes pas le sien et tu as déjà oublié depuis longtemps les autres qui vous entoure. game on, Leo. « oops, quelle maladroite. je n’avais même pas vu qu’il m’avait échappé des mains. » que tu t’excuses en désignant ton verre au sol. en fait, qu’il te reconnaisse ou non tu t’en fous. c’est chacun pour soi, et le rictus quasi machiavélique qui se dessine au coin de tes lèvres en est la preuve.

Les mondanités fusaient et Leo n'avait plus vraiment envie d'essayer de les suivre. Cette fille, cette fille dans la ronde, cette fille en face de lui, il la connaissait. Il en aurait mis ses deux mains à couper. Seulement, il était incapable de penser tout droit et tout semblait aller contre son sens : ambiance trop tamisée, trop mouvementée, trop alcoolisée, trop tout. Merde, il pouvait pas s'empêcher de la regarder. Il y a quelques instants déterminé à quitter les lieux, c'est cette fille qui allait finalement le retenir. Quel secret cachait cette silhouette en robe de cocktail? Leo, on ne l'entendait plus, ses pensées l'avaient mangé tout cru. Sa main seule était trop occupée à gratter sa barbe de deux jours qui, selon lui, lui créait un certain charme, jusqu'à ce que le fracas d'un verre contre le sol ne lui fit baisser le regard quelques instants seulement après l'accident. Il jeta un simple regard au verre brisé, apportant le sien toujours intact à ses lèvres pour venir le siroter entre deux rires jaunes. Il voulait lui faire comprendre quelque chose. Lui faire comprendre qu'elle ne le laissait pas de marbre, lui faire comprendre qu'il comptait bien desceller son mystère et qu'un jeu allait débuter entre eux deux. Mais ça, peut-être en avait-elle déjà l'intention. C'est ce que Leo se dit, quand, contre toutes ses attentes, mais aussi en venant confirmer ses doutes, son prénom glissa d'entre ses deux lèvres. L'esquisse d'un sourire vint étirer ses lèvres, prenant le dessus sur sa véritable moue d'étonnement et d'irritation face à l'écorchement de son nom, mais qu'il, bien entendu, prenait le soin de cacher. « Presque. » Sa tête suivit d'un mouvement lent sa confirmation. Et était venue l'occasion idéale pour savoir qui se présentait face à lui en toute simplicité. « Et à qui ai-je l'immense plaisir de m'adresser? » demanda-t-il enfin, se courbant pour ramasser les morceaux de verre au sol qui baignaient dans une flaque de champagne.

alors ça pour une surprise, c’en est une. jamais tu n’aurais pensé le revoir un jour, jamais tu n’aurais espéré croiser de nouveau le foutu chemin d’Asworth. ce mec t’a détruit plus que quiconque et ouais, c’est le genre de choses qu’on oublie pas facilement. c’est le genre de destruction automatique, comme si on avait simplement pressé un bouton pour en finir. du moins, c’est un peu l’effet que ça t’a fait même si les dégâts collatéraux furent bien plus destructeurs. t’en as bavé pour ce gars et aujourd’hui, en re-croisant son regard pour la première fois depuis bien longtemps tu te redeviens cette innocente britannique de seize piges qui essaie de faire les choses bien, au mieux tandis qu’elle se crash plus bas que terre au fil de ses décisions. Holly, c’était ça. mais ça ne l’est plus, et en te retrouvant face à lui t’as aussi ce nouveau sentiment, presque inconnu que t’as la sensation de ressentir pour la première fois, cette haine profonde qui te tend les bras et qui t’assoiffe de vengeance, cette vengeance si méritée après tout ce qu’il t’a fait enduré. la Holly d’aujourd’hui se laisserait pas faire comme ça, il avait pas à se remettre en travers dans ton chemin mais il l’a fait, il l’a osé comme une malheureuse ironie qui te pousse à l’enfoncer six pieds sous terre. cette fois-ci, c’est à toi de jouer. sourire aux lèvres ton verre à présent brisé en mille morceaux, tu te retournes pour en commander un autre en t’excusant. c’est pour ça que tu gardes toujours un cachet sur toi : on sait jamais quand ça pourra nous être utile. donc forcément, quand tu distrais Leo avec ton verre brisé, tu t’empresses de glisser l’ingrédient magique dans la boisson du brun. quand la vie nous donne des citrons comme on dit, autant faire une limonade. « Brooke. juste Brooke. » que tu réponds en plongeant ton regard dans le sien. nulle envie de jouer aux devinettes avec lui, t’es pas douée à ce jeu-là tandis que mentir te mène là où ton plan veut que tu ailles. le regard charmeur, tu comptes bien inverser les rôles ce soir. « ça ira pour le verre je pense.. » tu ricanes faussement en le regardant s’abaisser au niveau de tes pieds tandis qu’un homme sorti de nul part dégage le verre brisé avec des outils bien plus pratiques. le distraire, oui, mais pas trop longtemps. tu prendras pas le risque de perdre ta proie, pas cette fois. alors ton verre servi, tu invites simplement Leo à boire le sien en ta compagnie « à la vôtre.. » que tu déclares d’abord solennellement le verre levé, avant de buter sur son nom même si encore une fois, ce n’est que de la comédie « Leo presque. » ouais, c’est bien ce que tu pensais : la soirée est loin d’être finie. et attention les yeux, ce n’est que le début.