La robe avait pris place dans la machine, et le tambour rythmait déjà la suite de notre conversation. Lavender était si avenante que sa gentillesse en devenait presque suspecte. Pourtant elle m’assurait que je n’aurais pas besoin de me sentir redevable, chose qui malgré moi ne pourra pas s’éroder si facilement.

On se retrouvait les deux dans sa salle de bain à discuter de mon pays natal, elle ne semblait pas connaitre celui-ci qui était si chère à mon cœur. J’aurais aimé qu’elle voit à quel point l’air est plus frais, la lumière plus radieuse et l’herbe plus végétale. C’est comme si rien ne pourrait jamais remplacer ce que j’avais laissé derrière moi.

- C’est juste que j’aime pas l’idée d’être une étrangère. Les gens me regardent différemment ici, je sais que les préjugés l’emportent toujours sur le reste.

L’Allemagne c’était le pays des nazis, le pays qui restera à jamais dans les mémoires comme celui à l’origine de ce génocide planétaire. Pourtant on avait tellement plus à offrir que cette souffrance qui restaient gravées dans les cœurs. Si je voulais faire mes études en relation internationale, c’était pour montrer au monde entier que chaque pays avait du bon à offrir.

- Personne n’aime les allemands tu sais, on est pas le pays le plus plébiscité, je crois que je suis un peu jalouse dans le fond.

Jalouse du crédit que peuvent avoir des pays comme l’Amérique sans même réellement le mériter. En tout cas on ne pouvait pas nier qu’ils avaient les meilleures universités, ou du moins les plus reconnue. Lavender avait l’air de dire que le temps améliorait les choses, mais je ne comptais pas m’attarder assez pour m’en rendre compte.

- On parle toujours de moi ? On dirait que tu te sens concernée ?

Chacun avait surement son lot d’histoire à raconter, pas que je m’intéresse forcément à la sienne, mais on avait un peu de temps à tuer. Je m’étais rapproché de ma voisine pour qu’on puisse s’entendre un peu plus, c’était assez étrange d’avoir une conversation assise dans une salle de bain.

Sans m’en rendre compte je déviais la conversation sur la brune en évoquant une partie de sa garde-robe qu’elle m’avait permise d’explorer tout à l’heure. J’étais étonné de sa réponse, il était clair que la belle n’avait rien à envoyer à personne, pourtant c’était dommage de la voir mal à l’aise avec son propre corps.

- Il n’y a pas plus simple que les courbes d’une femme justement. D’autant plus que les tiennes n’ont rien dont tu devrais avoir honte.

Le regard de Lavender s'attarda sur le tambour du lave-linge. La couleur nacrée de la robe de Minna tournoyait à un rythme effréné. Tu ne t'es jamais dit que c'était peut-être les autres les étrangers ? Lavender avait déjà entendu ça quelque part. Cette phrase appartenait à une philosophie de vie. Une philosophie où l'on se posait certainement moins de questions, où rien d'autre que le moment présent n'avait vraiment d'importance.  Quels préjugés ? Lavender essayait de comprendre. Elle qui n'avait jamais mis les pieds en Allemagne. La famille Trevena n'avait malheureusement pas eu le temps de savourer les voyages à l'étranger, en famille. Lavender et sa mère s'étaient retrouvées seules, du jour au lendemain. Tu sais, cette image de l'Allemagne. L'ancienne image... Elle disparaît petit à petit. Et personnellement, j'aime assez les allemands. Ils savent ce qu'ils veulent en règle générale. Lavender se mordit légèrement l'intérieur de la joue. Elle avait eu l'occasion de croiser quelques étudiants allemands lors de ses études à Harvard. Elle devait leur reconnaître un charme fou et des idées bien arrêtées. On parle toujours de toi, la rassura Lavender. Elle n'avait pas envie de parler de sa vie à Forks. Même si les parents de Minna étaient probablement plus loin que la mère de Lavender, le manque devait être similaire. La biologiste fixa le sol quelques instants. Elle savait qu'elle pourrait, ou qu'elle devrait, apprendre à se mettre en valeur un jour. Mais l'image que lui renvoyait le miroir ne l'intéressait que peu. Elle vivait pour son travail. Le reste passait ensuite. Merci, répondit-elle simplement. Ta robe, l'interrogea Lavender, c'était pour une occasion particulière ? Peut-être l'avait-elle acheté pour une soirée. Peut-être devait-elle la porter ce soir. Elle est superbe.

C’était un endroit plutôt improbable pour ce genre de conversation, pourtant je restais à exposer mes sentiments à celle qui m’avait ouvert sa salle de bain. Je ne parlais pas souvent de mes origines, du moins pas de cette façon-là. J’avais toujours accordé beaucoup d’importance au regard des autres, trop surement, mais c’était difficile de réagir autrement.

- C’est peut être moi qui m’enfonce toujours un peu trop dans ma carapace. Je détesterais l’idée que les gens aient une mauvaise image de moi.

Depuis toujours je devais être la petite fille parfaite du ministre, et si j’étais loin de l’être, j’avais appris toutes les ficelles pour tromper mon monde. Le plus important quoi qu’on en dise, c’était la tenue, parce qu’il est impossible de paraitre différente de la première image qu’on renvoie au monde.

Si la brune semblait ne pas apprécier qu’on porte le regard sur les courbes de son corps, moi je choisissais justement chaque parcelle de moi que je voulais bien laisser entrevoir. Elle me certifiait que cette image des allemands d’antan était bien effritée aujourd’hui, mais c’était loin d’être l’avis de tout le monde.

- Il y a savoir ce qu’on veut, et faire ce qu’il faut pour l’obtenir !

Offrant un sourire à ma voisine, je nuançais ses propos, mais c’est vrai que les allemands ont toujours eu un avis tranché sur leurs désirs. On nous compare souvent aux suisses qui restent continuellement indécis, mais une nouvelle fois ça remonte à une époque dont personne ne devrait essayer de se souvenir.

- C’est la vérité.

Changeant de sujet pour quelque chose de plus gai, j’étais contente de pouvoir complimenter la jolie brune sur la façon dont ses courbes qu’elle tenait tant à cacher seraient mises en valeur dans une jolie robe. Tout était dans le choix de la robe, mais j’ai vu qu’elle en avait une ou deux dans sa penderie qui valaient le détour.

- Une occasion ? Je l’ai achetée pour ma soirée d’anniversaire. Mais je n’hésite pas à la porter quand je peux. Si je suis une adepte du shopping, je déteste l’idée d’acheter des vêtements que je ne porterai que trop rarement.

Il y avait toute ses filles qui gardaient des chaussures, des robes, si précieusement au fond d’une armoire qu’elles finissaient par prendre la poussière et à se démoder avant même d’avoir pu être portées. Moi j’aimais faire vivre ma garde-robe autant que je le pouvais. Tendant la main à la maitresse des lieux pour lui proposer de se relever, j’imaginais qu’on pourrait changer d’endroit.

- On va peut-être passer à côté, où c’est moins bruyant ? Enfin, on est chez toi, mais si tu avais quelque chose à boire en attendant que ça se termine, je noterai ça sur la liste de ma dette envers toi.

La vie de Lavender se résumait finalement à peu de choses. Elle devait être l'une des rares à n'avoir rien de prévu aujourd'hui. Sortie du cadre professionnel, elle avait encore beaucoup à construire. Reprendre le sport, essayer d'aller rendre visite plus fréquemment à sa mère, peut-être rencontrer quelqu'un. Elle avait tout laissé de côté depuis quelques années. Volontairement. En réduisant ses objectifs, elle s'évitait aussi de nouvelles déceptions. Et pour le moment, le fragile équilibre qu'elle avait trouvé en prenant son emploi à l'hôpital, lui convenait. Elle se levait le matin en connaissant déjà le déroulé de la journée. Comme si la surprise ne pouvait plus désormais faire partie de sa vie. A croire que la routine la rassurait. On attache toujours trop d'importance à ce que pensent les autres... Lavender se demandait ce qu'on pourrait bien reprocher à Minna. Cette grande blonde, distinguée et bien dans sa peau. Je suis assez d'accord avec cette formule. Même si la vie en décidait bien souvent autrement. On ne choisissait malheureusement pas tout. Elle est magnifique. Tu as dû faire un malheur le jour de ton anniversaire. A l'inverse de Minna, il était déjà arrivé à Lavender de craquer pour des vêtements qu'elle n'avait finalement jamais mis. Ils lui allaient bien, le problème était ailleurs. Elle ne se sentait juste pas assez à l'aise avec son corps pour le porter en dehors des repas de famille. Le contenu de son armoire était donc plus que limité. Presque à l'image de sa vie. Cloisonnée et raisonnée au possible. J'allais justement te proposer quelque chose à boire. Lavender saisit la main tendue de Minna et la précéda dans le petit salon attenant. Le bruit des voitures remplaçait désormais les vibrations de la machine. Lavender ouvrit les portes du placard de la cuisine. Elle laissa les bouteilles de vin sur l'étagère et passa une main pour atteindre les canettes. Dr Pepper, Mountain Dew, Coca... ou du sirop. Lavender se sortit un Dr Pepper, ça faisait des semaines qu'elle n'avait pas craqué pour un soda. Tu avais quelque chose de prévu aujourd'hui ? Si c'était le cas, elle allait probablement devoir revoir ses plans. Et tes études ? Je ne t'ai même pas demandé quel cursus tu suivais... Lavender déposa deux canettes et deux verres sur la table basse. Heureusement, la fenêtre du salon n'offrait aucun vis à vis.

Au rythme du tambour qui berçait ma robe à l’intérieur de la machine, nous avions une conversation sérieuse sur les stéréotypes allemand. Du moins ce que j’en pensais moi, et comment elle voyait les Allemand. J’aimais d’ailleurs sa façon de nous voir, c’était tellement différent de tout ce que j’avais pu imaginer jusque-là.

Il fallait avouer que nous restions avec un caractère ferme, mais je n’étais pas certaine de devoir ça plus à mon pays qu’à mon patrimoine génétique. Enfin, tout le monde ne se ressemblait pas, j’aurais aimé que mon frère soit un peu plus comme moi, avec un caractère plus tranché que celui trop influençable dont il a hérité.

- Tu es gentille.

Lorsque Lavender faisait remarqué combien j’avais pu marqué mes invités de ma présence le jour de mon anniversaire, je ne pouvais m’empêcher d’y repenser avec une once de nostalgie. A Harvard ça serait certainement différent, mais j’aurais mes sœurs cabotes, et peut être que je pourrais inviter la jeune femme pour la remercier.

- Tu sais quoi, tu seras invitée au prochain ! Et je compte sur toi pour en profiter pour sortir une de tes jolies robes du placard.

J’imaginais qu’elle pourrait s’entendre avec toutes les cabots, je pense même qu’elle aurait pu intégrer la maison si elle faisait encore ses études. C’était en pensant à cette situation amusante que je suivais la brune dans l’autre pièce en acceptant ce verre que j’avais réclamer juste avant qu’elle ne me le propose.

- Juste un verre d’eau ça sera parfait.

Je ne buvais pas souvent de boisson sucrée, enfin j’essayais d’éviter, mais je souriais en voyant la maitresse des lieux s’ouvrir une canette de soda. Elle semblait faire totalement abstraction de toutes les conventions de ce monde, et d’une certaine façon j’admirais sa façon de rester simplement elle-même.

J’allais m’assoir à la table à côté d’elle en laissant ma voisine préparer nos boissons. Je n’avais pas prévu m’attarder dans la salon d’une inconnue, et pourtant je n’avais pas l’impression de perdre mon temps à bavarder devant un verre d’eau.

- Tu veux savoir si j’avais prévu de me retrouver en petite culotte à boire un verre avec une inconnue dans son salon ? J’imaginais une journée plus calme, mais je ne regrette pas finalement cet incident.

D’habitude je passais mes journées à réviser, ou à embêter Cécilia, pour une fois j’aurais quelqu’un d’autre à embêter après les cours. J’avais une gorgée de mon verre avant de le reposer sur la table, me perdant un instant sur le remous que faisait l’eau dans le récipient transparent qui laissait entrevoir les vagues de ma boisson.

- J’étudie les relations internationales, et apparemment c’est mieux d’étudier ça à l’étranger que chez soit … peut être que j’aurais dû me lancer dans la coiffure, j’aurais pu rester en Allemagne.

Je charriais mon petit frère sur sa passion pour l’art, alors rien que de penser dire à mon père que je voulais être coiffeuse je riais intérieurement à imaginer sa tête. On va dire que je lui épargnerai ça et que je continuerai dans cette voie où il pourra facilement m’aider à trouver un poste d’avenir.

- Et toi ? à part ramasser des inconnues dans la rue, tu fais quoi dans la vie ?