Mes séances de rééducation cérébrale suivaient leur cours avec Lily. On progressait, lentement mais sûrement. Du moins, c’est ce qu’elle disait. J’étais toujours amnésique, moi. Certes, des petites choses me revenaient. Plutôt des sentiments, des sensations, que des évènements à proprement parler, mais c’était déjà ça de pris. Attendant mon tour dans la salle commune, je relevais les yeux sur la brunette qui venait de s’adresser à moi. « À ce que je vois, tu t’es pris un abonnement privé dans cet hôpital. » Tu pouvais parler. « J’vais finir par croire que tu me suis. » Ouais, je t’avais vue plusieurs fois ici également, et qui sait? Peut-être que j’avais pris un abonnement, et que tu avais fait de même pour pouvoir garder un oeil sur moi. Bon, je délirais là, mais les hôpitaux, ça me rendait dingue. Tu t’approchais de moi, assise dans ta chaise roulante, et je fronçais quelque peu les sourcils. « Elliot, c’est ça ? » Je plissais les yeux. « T’en sais vraiment beaucoup dis donc. Qu’est-ce qui t’es arrivé? » enchainais-je tout de suite, sans aucune gêne. J’étais quelqu’un de très franc, et parfois j’oubliais que mes questions pouvaient être indiscrètes, voire intrusives.

« Crois-moi, ce sont les garçons qui me suivent et non l’inverse. » J’esquisse un sourire à ton attention. « Je n’en doute pas. » Compliment déguisé alors que je riais quelque peu à ton clin d’oeil. « Peut-être que mes jambes ne sont pas fonctionnelles à cent pourcent mais j’ai une excellente mémoire pour me souvenir des prénoms. » Je grimaçais. « Ouais, tu sais bien j’imagine — vu que tu en sais beaucoup — que la mémoire, moi, c’est pas mon fort en ce moment. » Tu avais dû entendre parler de mon amnésie, du crash, de la raison pour laquelle on se voyait un peu trop souvent toi et moi. N’empêche, la dernière fois, tu pouvais encore te tenir debout. J’avais loupé un épisode? « Accident de moto qui s’est mal déroulé. Je dois apprendre à remarcher avec mes jambes alors… » Moto? « T’aimes vivre dangereusement. » Dixit celui qui pilotait un hélico tout seul quand il avait envie de prendre l’air. « T’es paralysée? » te questionnais-je donc, pas sûr de très bien comprendre ta subtilité. « Merde, désolé. T’es pas obligée de répondre si t’as pas envie, on peut parler d’autre chose. » T’es vraiment con, Elliot. À penser que tout le monde n’a aucune gêne, comme toi. « Toi ? Est-ce que ça va un peu mieux ? » J’haussais vaguement les épaules. « Doucement. Un jour à la fois, quoi. » Ça allait un peu mieux, en réalité. Mais non, les souvenirs n’étaient toujours pas revenus.

Tu ne voulais pas me rendre mal à l’aise, mais il ne fallait pas t’inquiéter, très peu de choses avaient cet effet sur moi. Ma grimace avait juste été la réalité de la situation. N’empêche, on était tous les deux là suite à de l’imprudence et une petite soif d’aventure et de danger. Moi l’hélico, toi la moto. Même si, en l’occurence, la moto paraissait moins con comme option. « Non t’en fais pas, j’ai l’habitude. Par chance, je ne suis pas paralysée. » Je soupirais quelque peu de soulagement, pour toi. Tant mieux, sinon c’était vraiment pas de bol. La poisse. La galère. Mais tu reportais vite la discussion sur ma propre personne, sur ma progression personnelle depuis l’accident. « À croire qu’on est ici pour raconter nos malheurs, je plain toutes les personnes qui doivent attendre ici. Ça te dirait d’aller manger un peu ? De toute façon je ne crois pas qu’ils vont dire nos noms dans les prochaines minutes. » J’hochais la tête. « J’ai rendez-vous dans une demie-heure, donc j’ai un peu de temps devant moi. Y’a un genre de fast-food à la sortie de l’hôpital, on peut aller là si tu veux. » Je me levais, bien décidé à croquer dans un burger. « Euh, par contre je te pousse pas hein, je suis pas un bon Samaritain. » précisais-je en regardant ton fauteuil roulant. Je ne voulais pas être méchant, mais je n’allais pas prétendre être plus gentil que je ne l’étais non plus.

Oui, on pouvait sortir quelques instants et aller manger un truc. Mais ça serait en dehors de l’hôpital, parce que ça pouvait sonner cliché mais putain, la bouffe dans cette enceinte était dégueulasse. « Ça me paraît être une bonne idée. » J’hochais la tête, me levais, prêt à partir mais grimaçais légèrement en te voyant, te précisant que je ne comptais pas te pousser comme une grand-mère. Tu allais devoir te débrouiller toute seule, on ne m’appelait pas Saint Elliot. Loin d’être vexée – Dieu merci – tu te mis à rire. « T’inquiètes, je suis une grande fille… Je sais me débrouiller toute seule. » Alors, on allait jusqu’au fast-food juste à côté de l’hôpital et on s’installait à une table. « Alors, qu’est-ce que t’as envie de manger ? » Hm… Le dilemme, à chaque fois que je sortais quelque part pour manger. « J’vais prendre un menu Burger Bacon. Et toi ? Profite, c’est moi qui régale. » Peut-être qu’on devrait m’appeler Saint Elliot, finalement. J’étais d’humeur généreuse aujourd’hui.

Le fast-food moi, ça me plaisait bien. J’aimais bien la mal-bouffe. Suffisait de compter le nombre de soirées pizzas qu’on faisait avec Nath dans le mois, c’était clairement représentatif. Tu faisais les choses bien toi, tu regardais le menu, alors que moi, j’y allais au feeling. Il fallait dire aussi que le menu, j’le connaissais par coeur, alors pas besoin de coup d’oeil pour moi. C’était un peu désolant, d’ailleurs, quand on y réfléchissait deux secondes. Je me proposais donc de t’offrir le repas. C’était quoi, dix dollars? Ça n’allait pas me tuer, loin de là. « Wow, ça t’arrive souvent de payer le repas à une vulgaire inconnue ? » Je lâchais un petit rire suite à ta remarque. « Seulement à celles qui sont charmantes. » rétorquais-je donc, dans mon légendaire sourire en coin. Tu décides de prendre le burger végétarien. « T’es végétarienne? » demandais-je donc, fronçant légèrement les sourcils. Le serveur vint prendre notre commande et repartait la préparer en cuisine. J’espère qu’il ne serait pas trop long. Lily ne manquerait pas de me rappeler à l’ordre si je manquais mon rendez-vous. « Alors dis-moi, quelles études tu fais à Harvard ? » Je reportais mon attention sur toi. « Relations internationales en majeur et français en mineur. Et toi? » J’me demandais ce que tu pouvais bien faire, toi. « D’ailleurs, tu commences vraiment à me faire flipper. D’où tu sais que je suis à Harvard, hein? » te questionnais-je, les yeux légèrement plissés, d’un ton faussement suspicieux.