Comme souvent, Jennalyn s’était arrêtée près de la maison de chez sa mère. Elle savait très  bien qu’elle aurait dû normalement retourner directement à la maison après l’école, comme son père le lui avait demandé ce matin même en lui rappelant qu’elle était privée de sortie, mais puisqu’elle s’était farçi l’école malgré cette punition injuste comme toutes les autres à ses yeux, elle s’était autorisée à faire au moins quelque chose qui lui tenait à cœur. Parler avec sa mère ? Non, mais seulement observer encore ce qui se passait et les nombreuses allées et venues d’hommes chez elle. Pour le moment, après dix minutes d’attente, elle n’en avait vu qu’un seul arriver. Un plus jeune que tout ceux qu’elle avait déjà pu voir de par le passé. Et évidemment, il l’avait intriguée. Impossible qu’il soit un ami à sa mère… Il était trop jeune. Elle avait alors entendu sa conscience lui dire qu’elle se montrait trop curieuse et que cela allait lui attirer des problèmes, mais le jour où Jen écoutera sa conscience, les cochons aboieront. Elle voulait savoir. Comprendre. Enfin du moins y voir plus clair dans tout cela, car comprendre sa mère, elle avait l’impression qu’elle n’y arriverait jamais. Et d’ailleurs, elle n’avait pas vraiment envie d’essayer. Il fallait qu’elle parle à ce jeune homme. Pour elle, ce serait sans doute plus facile de parler avec lui que de parler avec elle. Au moins, elle était certaine qu’elle n’allait pas se mettre en colère contre lui, alors que contre sa mère, elle était certaine que cette dernière aurait droit à des regards noirs et à toute la rancune dont Jennalyn pouvait faire preuve. Et puis, s’il pouvait lui en apprendre un peu plus sur sa mère, elle était preneuse. Son idée en tête, elle s’était rapprochée un peu plus de la maison, en marchant aux cotés de son vélo et en restant à une distance d'une dizaine de mètres, sans bouger, attendant patiemment que quelqu’un en sorte, en espérant cependant ne pas tomber sur sa mère. Ce serait le comble, car elle ne l’avait jamais vraiment vue sortir de chez elle jusqu’à présent. Tomber sur elle, c’était vraiment ce qu’elle voulait éviter. Elle préférait plutôt tomber sur le jeune homme de tout à l’heure.

Après quelques minutes d’attente, la porte s’était enfin ouverte. C’était le moment ou jamais pour elle de se lancer. Sans hésiter, elle avait enfourché son vélo et avait pédalé aussi vite que possible droit devant elle, alors que le jeune homme de tout à l’heure sortait de la maison. Quitte à se faire passer pour un danger public, Jen n’avait pas ralenti, avait klaxonné pour attirer son attention alors qu'elle était à deux doigts de lui rentrer dedans, et en faisant mine de vouloir l’éviter, elle s’était arrangée pour basculer, avec son vélo, sur le sol, à quelques pas du jeune homme. Elle était du genre casse-cou en général et ne s’était, pour tout dire, pas vraiment fait mal, mais si elle voulait établir un contact avec le jeune homme, elle se devait de jouer la comédie encore un peu. Et de ce coté là, elle était particulièrement douée. « Aie » s’était-elle contentée de dire en cherchant à se redresser et en le cherchant du regard. « Tu peux m’aider ? Je me suis fait mal. »

La petite fille avait toujours l’art de se compliquer la tâche. C’est vrai, elle aurait tout aussi bien pu aller discuter avec le jeune homme sans faire toute cette mise en scène mais elle avait craint qu’il l’envoie balader ou qu’il lui dise qu’il n’avait tout simplement pas le temps de discuter. Cette excuse, Jen la connaissait bien, c’était souvent ce que son père lui disait lorsqu’elle se montrait trop insistante avec lui lorsqu’ils n’étaient pas d’accord pour l’une ou l’autre chose. Et croyez-moi, cela arrivait souvent. Au moins, là, en se positionnant en victime, elle espérait bien avoir toute l’attention du jeune homme, et heureusement pour elle, son plan avait fonctionné à merveille, bien qu’il s’était autorisé à la sermonner un peu. De nature impulsive, elle n’avait pas pu s’empêcher de riposter en lui adressant un regard quelque peu frustré. « Y’a pas de limitation de vitesse sur les trottoirs… Et puis, toi aussi tu aurais pu regarder avant de passer. On est tout les deux en tort dans cette histoire…» avait-elle riposté machinalement en se frottant les genoux, quelque peu contrariée, mais ne voulant pas qu’il s’énerve après elle, car ce n’était pas le but, elle se repris un peu et laissa de coté sa légère rancune qui n’en était pas vraiment une. « Aux mains et aux genoux. Mais ça va aller. Tu peux juste m’aider à me lever, s’il te plaît ? » Observatrice, elle avait pu remarquer qu'il était sorti de la maison avec de la nourriture, et dès lors, elle ne manqua pas de l'interroger, un peu curieuse, en désignant la maison dont il venait de sortir. « Tu vis ici?

Jennalyn ne s’était jamais vraiment laissée faire et avait ce qu’on pouvait appeler un sale caractère lorsqu’elle le souhaitait. Elle n’aimait pas trop se faire sermonner, ni même se prendre des remarques, et c’était ce que le jeune homme s’était autorisé à faire. Dans ces moments là, elle réagissait toujours au quart de tour, mais là elle était restée calme, lui disant simplement sa façon de penser qui n’était pas bien méchante selon elle. Mais de toute évidence, elle avait été un peu trop loin et avait froissé le jeune homme. Ce n’était évidemment pas ce qu’elle voulait. Se sentant coupable, elle baissa légèrement son regard, cherchant une idée de comment se sortir de cette mauvaise posture avant de reprendre timidement la parole. « S’il te plaît… » Elle l’observa un instant, sans bouger, avec un regard digne du chat potté. Généralement, quand un adulte fait tomber un enfant, il l’aide au moins un minimum… Dès lors, pourquoi lui se comportait différemment? Un des autres défauts qu’avaient Jennalyn, c’est qu’elle est très têtue. Dès lors, sans se démonter, elle reporta son attention sur lui à sa question, sans sourciller. « C’est nous deux. » Bien qu’elle l’avait fait exprès de lui rentrer dedans, elle ne voulait pas prétendre qu’elle était seule responsable dans  cette histoire. Cinquante cinquante, c’était mieux, non ? En tout cas, si elle avait voulu discuter tranquillement avec lui, c’était raté. Il semblait d’une humeur massacrante et ne s’y attendant pas vraiment à sa façon de réagir, la petite fille recula légèrement. « Je… C’est important. Olivia, elle vit toujours ici? »

A force d’insister, Jennalyn avait enfin obtenu gain de cause et n’avait pas manqué de le remercier de l’avoir aidée. A présent sur pieds, elle en profita pour ramasser son vélo, histoire qu’il ne soit plus dans le passage des quelques personnes qui passaient auprès d’eux. C’était pas le moment de déclencher une autre catastrophe en faisant tomber quelqu’un. Du haut de ses douze ans, elle ne s’était pas laissée impressionner par l’adulte face à elle et lui avait tenu tête, ce qui lui démontrait bien un petit coté impertinent. En même temps, comme cela aurait-il pu en être autrement ? C’est une ado après tout. L’impertinence, ça la connait. Cependant, elle n’avait plus de raison de l’être à présent, et alors que le jeune homme l’interrogeait à son tour, elle sembla hésiter un instant. Devait-elle vraiment lui dire qui était cette Olivia pour elle ? Elle n’en était pas certaine. Elle ne savait rien de ce jeune homme après tout. « Ca dépends… » Se contenta-t-elle de répondre, avant d’ajouter quelques secondes plus tard. « Tu es l'un de ses amis? » Olivia avait l'air d'en avoir pas mal, et bien qu'elle trouvait le jeune homme auprès d'elle un peu jeune pour être l'un d'eux, Jen préférait s'assurer que son intuition était juste avant d'aller plus loin. Olivia ne savait pas après tout que sa fille l'avait trouvée. Et honnêtement, elle préférait qu'elle ne l'apprenne pas de si tôt.

Jennalyn comprenait bien malgré elle qu’elle était véritablement tombée sur bien plus têtu qu’elle sur ce coup là. Ils ne faisaient que se questionner l’un l’autre sans vraiment se donner des réponses, et c’était assez déstabilisant pour la jeune fille. Elle n’était pas vraiment décidée à lui confier certaines choses, mais avait-elle vraiment le choix ? Il ne lui laissait pas vraiment la possibilité de discuter. Dès lors, elle fini par s’avouer vaincue. « D’accord, je vais t’expliquer, mais s’il te plaît, ne lui dit pas que je suis venue. Je veux pas que mon père ai des problèmes. Et j’ai pas envie d’en avoir non plus.» Après tout, Olivia été très claire dans sa lettre : elle ne voulait plus rien à voir avec lui… Et certainement encore moins avec sa fille. Et si jamais elle apprenait que sa fille était venue là, si jamais elle appelait le père de Jen, la jeune fille savait qu’elle passerait un sale quart d’heure. « C’est ma mère. Mais je n’ose pas aller la voir. Du coup, je me demandais si tu pouvais m’en dire un peu plus. Par exemple, c’est qui tout ces hommes qui passent souvent chez elle ? Chaque fois que je viens, il y en a toujours un qui entre ou qui sort et c’est jamais le même. Je trouve ça bizarre. Et toi, qu’est ce que tu venais faire chez elle, à part dévaliser son frigo si tu n’es pas un de ses amis ? »