Je regardais autour de moi le bordel que j’avais foutu. Merde, les gars allaient me tuer. Dans une crise d’hybris, j’avais retourné toute la chambre. J’avais tout envoyé valser. J’avais été seul un peu trop longtemps, à ruminer tout ce qui s’était passé ces deux dernières semaines, depuis l’accident. Et les nerfs étaient montés et j’avais explosé. Entre celles qui se faisaient passer pour ma meuf ou ma fiancée, ceux qui essayaient de me convaincre que j’étais un mec ultra altruiste, à tel point que j’avais accepté de participer à un voyage humanitaire en Afrique et mes parents qui me répétaient qu’on était une famille parfaite alors que j’avais beau leur dire que j’étais amnésique, pas aveugle — c’était trop. Heureusement que j’étais aussi tombé sur de bonnes personnes — Eliot, qui avait été un pilier pour moi, Lucky qui m’avait allégé le coeur grâce à sa bonne humeur et sa douceur — et qui n’était clairement pas une guenon en plus — ou encore Emrys, Sin et j’en passe. Tout ça, sans parler de la météo changeante à cause de toutes ces catastrophes naturelles ces dernières semaines, le ciel qui s’emboucane à tout va et les températures qui chutent avant d’accueillir à nouveau un grand soleil, moi, ça me perturbait. J’sais pas, j’étais peut-être superstitieux dans mon autre vie, réglé sur les astres ou ce genre de trucs débiles. Si ce n’est que, mon pétage de plombs passé, je commençais à ramasser mes affaires éparpillées un peu partout. Sentant une présence à la porte, je me retournais vers celle-ci. Nate se tenait dans l’encadrement. « No comment. » me contentais-je de dire, d’un ton ferme mais blasé à la fois. Alors, je soupirais et me laissais tomber sur le lit, me passant les mains sur le visage. « J’en ai marre. » lui confiais-je. Ça aurait pu tomber sur n’importe qui d’autre mais pas de bol, c’était lui qui était là.

Nate arrive, et au vu du bordel que j’ai foutu, il y a de quoi se poser des questions. Ses yeux écarquillés, je les ignorais et commençais à ranger mes fringues éparpillées par terre. « Enervatum ! » lui lançais-je en le pointant du doigt, comme si j’étais en train de lui jeter un mauvais sort. Apparemment, ça ne faisait qu’accroître sa confusion. « Quoi, tu connais pas? C’est le sort inverse de stupéfix. T’sais, ton visage était figé dans cette expression d’incompréhension et j’ai cru que, ben… t’avais été stupéfixé. » me contentais-je d’expliquer naturellement, comme si c’était tout à fait rationnel. Peut-être que ça allait détendre l’atmosphère. Ça m’évitait de penser au bazar au moins. Mais Nate avait d’autres chats à fouetter. C’est bon, il pouvait me regarder autrement — je n’étais pas une vilaine sorcière à pustules et aux flatulences parfois douteuses. J’étais Dumbledore, le vrai, le mage… «  On s’est fait cambriolé ? » « T’es pas drôle. Tu m’as coupé dans mon flot de pensées. » Mais no comment sur la scène qui s’étalait devant lui. Je n’avais pas besoin de ça. L’humour, c’était mon moyen de défense pour affronter la réalité et les sentiments qui m’envahissaient un peu trop à mon goût. Nate, lui, se contentait d’enjamber le bordel que j’avais causé armé de ses béquilles avant de s’asseoir sur son lit. Au final, moi, j’me laissais tomber sur le mien, épuisé. « J’ai envie de te demander si ça a un rapport avec ta mémoire mais j’ai peur de me retrouvé comme les affaires par terre. » Je devinais qu’il souriait et cela m’arrachait un petit rire. « T’aurais vu ta tête, n’empêche, quand t’es rentré dans la chambre et que t’as vu le bordel. T’aurais même pas eu besoin de masque pour Halloween. T’avais l’air profondément choqué, mon pauvre. » Sauf que je savais que ça n’allait pas suffire. Il attendait une explication, même s’il ne me forçait pas à la donner. Alors, je soupirais. « T’as raison. C’est la mémoire. » avouais-je, comme si c’était dur à trouver. « J’sais pas, ça m’fout la haine. Comment c’est possible? Tu construis plus de vingt ans de ta vie, et du jour au lendemain, plus rien. Comment? C’est dur. Plus dur que ce que je pensais. J’crois que le pire dans tout ça c’est que tous les jours, y’a des gens qui viennent me voir et qui me parlent comme si de rien n’était, et moi, j’sais même pas qui ils sont. Ça, c’est vraiment chiant. Et je fais de la rééducation, j’vois un psy — j’fais tout ce que le médecin a prescrit. Mais j’ai pas vraiment l’impression de progresser. » Un nouveau soupire, saoulé de toute cette situation merdique. « Superfragilisticexpialidocious ! » lâchais-je dans un cri du coeur, avant de faire semblant de roter, comme si le mot compliqué était mal passé dans ma gorge. « Comme dirait Mary Poppins. Tu connais au moins? Non parce que sinon, ça fait beaucoup de références à t’expliquer… » Ouais, j’vous l’avais dit. L’humour, ça me fait oublier le merdier dans lequel j’suis actuellement.

«  J’ai grandit en face des Weasley je connais Harry Potter » Ok, ce n’était pas moi qui avait perdu la tête mais bel et bien lui. «  Kaya, Margot et Sofia. Pas Fred, George, Fred et Ginny » Aaaaaah! La nana d’Eliot. Ou du moins, l’ancienne. « Ouais. Ça m’a l’air moins bien que les originaux. » dis-je en haussant nonchalamment les épaules. Petite blague pas franchement marrante, mais l’ambiance redescendait de plusieurs crans quand je lui annonçais la vraie raison de mon pétage de plombs. Alors, je l’écoutais parler, encore et encore. Est-ce que je parlais autant? Et pourquoi ça me dérangeait? Est-ce que c’était parce qu’on parlait de mes faiblesses que je fais passer pour inexistantes? Est-ce que c’était parce que j’avais l’impression de me mettre à nu et que ce n’était pas dans mes habitudes? Alors, avant même de lui répondre, j’hurlais un mot de Mary Poppins à pleins poumons, comme si ça allait changer quelque chose. Mais il n’avait pas l’air de connaître la référence non plus, ce qui rendait la chose bien moins drôle. « J’crois que c’est un truc que tu dis quand tu sais pas quoi dire, que t’as pas de mot pour exprimer comment tu te sens. Je connais pas l’histoire non plus, j’ai du apprendre ce mot pour un pari quand j’étais gosse. » avouais-je alors. Mais ce n’était pas le plus important ici. Je soupirais à nouveau. « Je veux me souvenir. Je veux ma mémoire, mes souvenirs. Je veux pas aller de l’avant comme toi tu l’as fait. Oui, j’ai l’impression de ne plus me connaître, mais j’apprends. Avec le temps, je réapprends. Et je veux pas me construire une nouvelle vie, parce que mon ancienne vie avait l’air vraiment cool déjà. J’sais pas. J’suppose qu’on est différents, toi et moi. » concluais-je alors, une conclusion totalement bidon. « Comment t’as perdu la mémoire toi? Et même si t’es allé de l’avant, tu l’as retrouvée depuis ou pas? » Je ne savais pas si c’était trop indiscret, et je n’étais pas sûr de vouloir connaître la réponse à ma seconde question.

Nate et moi, on était différents. Il n’y avait pas de doute à avoir là-dessous. Lui avait décidé de faire sa vie, de repartir de zéro suite à sa perte de mémoire, alors que moi, je m’accrochais désespérément au moindre espoir de souvenir qui se présentait à moi. Je voulais mon ancienne vie. Elle avait l’air vraiment cool, et je n’avais pas l’air de m’en plaindre jusqu’à présent. « Un banal accident de voiture » « Mouais. » répliquais-je à ça. Rien n’est jamais ‘banal’ quand on perd la mémoire. Et encore moins quand on fait genre que c’était un truc ‘banal’. Mais s’il ne voulais pas m’en parler, c’était pas moi qui allait insister. La question ici était : est-ce qu’il avait finalement retrouvé la mémoire? Moi, c’était ça qui m’intéressait. « Oui je l’ai retrouvé. Cinq mois plus tard… J’avais des flash et j’ai fait de l’hypnose pour débloquer ce que mon subconscient m’empêcher de me souvenir. » L’hypnose! « C’est ce que je me tue à demander à mon psy, ce con aux méthodes alternatives là. Mais c’est ‘trop dangereux’, selon lui. » Je roulais des yeux. Comme un crash d’hélico, en fait. Je me laissais retomber sur le dos, sur mon lit. « Parle-moi de moi. » Et en fait, j’me rendais compte que cette phrase pouvait sonner ultra prétentieuse hors contexte. « De moi, avant l’accident. J’étais comment? Qu’est-ce que les gens disent de moi? Les rumeurs, tout ça. Tu dois bien être au courant. Mais ne sublime pas la vérité s’il te plait. » J’avais besoin de savoir. D’avoir les infos négatives, alors qu’on ne me donnait que les positives. D’ajouter du noir au blanc, pour faire du gris. Parce que la vie, accident ou pas, ça n’avait jamais été tout blanc ou tout noir.

P’têtre que t’avais raison. Je devrais changer de psy. Mais il avait pas l’air conservateur, alors j’avais envie de lui laisser sa chance. « Au prix que je le paye, j’te jure que s’il me fait pas disparaitre cette amnésie, j’lui casse la gueule. » Mots que je pensais réellement. Mais pour l’instant on n’en était pas encore là, heureusement. « Raconte-moi, c’était comment l’hypnose? C’est flippant? » J’avais pas mal de préjugés concernant cette pratique, même si elle me paraissait intéressante et m’intriguait réellement. J’étais convaincu que ça me serait bénéfique. En attendant, j’étais toujours amnésique. Est-ce que tu me connaissais avant l’accident? Même si c’était pas le cas, t’avais bien du entendre des choses me concernant. Alors j’voulais savoir. Dis-moi. Sauf que tu me décevais quand tu m’annonçais qu’on ne se connaissait pas avant le crash. Merde. « Tu sais pas qui pourrait… te parler de toi ? J’veux dire une amie proche ou une sœur. » Je lâchais un rire. Une soeur, non. Une demie-soeur, oui, d’après ce que Nath m’avait dit. Mais selon ses dires, c’était pas une bonne idée que je la contacte. Elle n’en saurait pas plus que toi. « Si, j’ai des tas de personnes. Mais chacune me donne une vision un peu trop… positive, j’ai l’impression. Et personne ne me parle des rumeurs qui courent, alors que je sais très bien qu’il y en a. » Et pas des glorieuses, je pense, à en voir le regard que certains qui me sont totalement inconnus me lancent dans les rues de Boston ou les couloirs d’Harvard.

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