Je ne sais pas exactement cela fait combien de temps que je me regarde dans la glace mais cela doit se compter en minutes à présent, et non plus en secondes. En général, les gens vous diront que je suis plutôt quelqu'un qui a confiance en elle. Et c'est vrai ! J'ai foi en mes capacités, sait dans quels domaines j'excelle et n'ait, la plus part du temps, pas peur de prendre de risques. Pourtant, aujourd'hui, je suis comme paralysée, et quand je me regarde dans la glace, tout me semble... faux. Dans ma blouse blanche, j'ai l'impression de ressembler plus à une gamine de 4 ans qui se déguise avec les vêtements de sa mère, qu'à une étudiante en médecine qui sait ce qu'elle fait. En tant qu'externes, on a rarement le droit de faire quoi que ce soit sans qu'au moins un titulaire et deux internes soit sur notre dos. Ils ont trop peur que notre patient atteint d'un rhum reparte la jambe amputée. Pourtant, quelques fois, on ne sait pas trop ni pourquoi, ni comment, un miracle se produit et notre interne référent nous laisse les reines. Dans mon cas, je suis presque sûre que Nate voulait faire une sieste après sa garde de nuit et n'avait franchement pas envie de me suivre comme mon ombre pour assurée que je ne fasse pas de bêtise. Mais bon, cela doit aussi sûrement vouloir dire qu'il me fait confiance, non ?

Avec cette pensée en tête, je reprend un peu de couleur et me ressaisit autant que faire ce peu. Je peux le faire. Et puis, ce n'est qu'un check-up, une visite de routine. Il ne devrait pas y avoir de risque que je l'ampute par erreur. Pas vrai ?

J'ajuste ma blouse, pour faire un peu pro, renoue le nœud de mon pantalon et attache mes cheveux en une queue de cheval. Avec mes lunettes sur le bon de mon nez, j'ai presque l'air d'une professionnelle. Nate serait si fier, si seulement il ne ronflait pas dans la salle d'à côté. Avec une dernière grande inspiration, je quitte la salle des casiers et me rend dans la salle de consultation où m'attend ma patiente. Sur le chemin, je lis le dossier que me tend m'une des infirmière - je sais, je sais, je dois apprendre leur nom, briser le cliché qui dit que les médecins sont horribles avec elles (et eux) mais c'est dur, okay ? Quand j'arrive, je repère tout de suite ma patiente, respire une dernière fois pour faire bonne mesure et rentre dans la salle, en tirant le rideau pour le fermer.

"Mademoiselle Duncan ? Je suis le docteur Anderson. C'est moi qui vais m'occuper de vous aujourd'hui," j'annonce, fière d'entendre que ma voix est stable, ferme et ne craque pas - comme celle de Jill par exemple, qui a toujours du mal à s'adresser aux patients. Je tire une des tabourets roulants vers elle et m'assoit en face d'elle. "Alors. Dites moi tout. Qu'est ce qui vous amène aujourd'hui ?"

Tout semblait tellement froid et sans vie. Pourquoi fallait-il obligatoire que les couloirs soient si triste, du blanc, du gris et du noir. Cela manquait tellement de couleurs et d’espoirs. Je ne disais pas qu’avec un rose flashy ou un bleu turquoise la vie semblerait plus belle à l’hôpital, mais cela serait déjà moins morose.
Je me sentais déjà mal avant de venir et je devais avouer que les lieux ne faisaient pas pour me sentir mieux. Pourquoi avais-je faite cette fichu promesse ? Si je partais, il n’y avait que peu de chance que ma mère ne s’en rende compte avec un mensonge bien monté. Quoi que, ma mère savait lire en moi comme dans un livre ouvert. Il devinerait à la moindre petite intonation de voix, un regard sur le côté, ou un mauvais placement de petit doigt que je mentais. Je me devais de lui faire, et j’étais là juste pour elle.
Je patientais dans ce couloir, assise, agitant mon pied de plus en plus fort. Les joies du stress. Mes doigts jouaient avec mon bracelet, un infini offert par ma grand-mère qui m’était précieux. J’attendais que le docteur vienne me chercher. Je n’avais aucune idée de ce qui allait se passer, si j’allais y rester dix minutes, une heure, un après-midi ou encore une semaine.

Puis je voyais une personne s’avançait vers moi avec une blouse blanche. La première chose que je remarquais chez elle, c’était qu’elle ne devait pas être beaucoup plus vieille que moi. L’inquiétude pouvait se lire dans mon regard. Avait-elle les compétences pour pouvoir s’occuper de moi ? Ne fallait-il pas plus d’années en médecine que celle pour s’occuper d’une personne ? Loin d’être du genre à juger, je ne reconnaissais pas mon comportement. Mais je remarquais sa démarche pour venir vers moi, elle avait de l’assurance, et elle semblait savoir ce qu’elle faisait. Juste dans sa façon d’être ça se ressentait. J’espérais. « C’est bien moi. » répondais-je brièvement quand elle questionna pour savoir si c’était bien moi. Je marchais avec derrière, jetant des coups d’œil par-ci par-là, comme si je pouvais m’échapper par un endroit.
J’arrivais dans un petit bureau de consultation, assise, face à celle qui allait être mon docteur. Quand elle me demandait ce que je faisais là, j’hésitais un instant, imposant un silence assez lourd. Après quelques secondes, je prenais enfin la parole, regardant mes genoux ou le sol. Tout sauf les yeux de la jeune femme. « Je… Enfin ma mère… Elle est malade, et son médecin lui a dit que je peux l’avoir aussi. » En une semaine, je n’avais jamais prononcé le nom de la maladie de ma mère, le nom de son cancer n’était jamais sortie de ma bouche. Il fallait que je le dise, une boule se formait pour la énième fois dans ma gorge. « Elle a un … un … elle a un cancer du sein. » Je m’y reprenais à plusieurs reprises, et une larme coulait le long de ma joue que je tentais d’essuyer le plus vite possible. « Je suis là car je lui ai promis de faire le nécessaire pour que j’aille bien. » Je ne regardais toujours pas miss Anderson dans les yeux. J’avais peur de craquer encore plus, de lire dans son regard une chose que je ne serais pas en mesure d’accepter. Ma santé, je m’en moquais, je voulais juste que ma mère aille bien, qu’elle guérisse. Je n’avais qu’elle et je ne supporterais pas un instant de la perdre.

Je tente un nouveau sourire, censé être rassurant et chaleureux, quand je remarque que ma patiente semble stressée. Je peux la comprendre. Les hôpitaux n'ont jamais été des lieux très apaisant et je sais que pour certaines personnes, venir ici, c'est carrément une torture. En plus, il m'est assez facile de deviner que mon apparente jeunesse ne doit pas non plus la mettre en confiance. J'ai l'habitude de faire face à des patients qui refuse catégoriquement que je m'occupe d'eux, pensant que j'ai zéro expérience et que donc, je vais leur amputer la jambe par erreur - sérieusement, les gars. C'est juste impossible que ça arrive ! - et même la présence de mon interne ou de mon titulaire ne peut les faire taire. Bien au contraire, en général, leur présence leur laisse entendre que j'ai besoin de supervision, ce qui n'aide en rien. Je fais donc toujours tout pour détendre mes patients au mieux.

Quand Mlle Duncan m'explique les raisons de sa venue, j'écoute en silence, j'acquiesce quand il le faut, et je prend des notes. Quand elle a finit, je pose ma main sur son épaule. "Vous n'avez rien à craindre. Je vais commencer par vous poser une série de questions, toutes bêtes. C'est un simple contrôle de routine, auquel vous devez simplement répondre le plus honnêtement possible. Il n'y a pas de bonnes ou de mauvaises réponses, c'est juste pour savoir d'où on art. Ensuite, on va faire quelques petits examens et on aura terminé. Vous devriez avoir les résultats assez rapidement." Après ça, je lève les yeux au ciel - intérieurement bien sûr - parce que tout cela semble bien trop distant et froid. Il est clair que cette jeune femme est terrifiée. "Et je suis vraiment désolée pour votre mère, Erin. Je peux vous appelez Erin ? Vous pouvez bien entendu m'appeler Joy. On doit pas avoir des âges très différents. Sachez en tout cas que le diagnostic veut dire qu'on sait ce qu'elle a et que ses médecins sont dans les meilleures conditions pour la soignée afin qu'elle soit en rémission. Et puis, sachez aussi qu'aujourd'hui, le taux de guérison d'un tel cancer varie entre 80 et 90%. Alors je sais que vous ne me connaissez pas et que tout ça c'est facile à dire pour moi, mais sachez si vous avez la moindre question, je me ferais un plaisir d'y répondre." C'est déjà un peu mieux.

J’écoutais attentivement celle qui allait être mon docteur. J’avouais que tout s’embrouiller dans ma tête donc je ne comprenais réellement qu’un mot sur deux, mais je faisais des efforts tout de même. Pas de bonnes ou de mauvaises réponses. Et pourtant j’avais cette sensation que je n’avais pas toujours fait les bons choix dans cette vie. Au contraire. J’avais surement dû donner ces mauvaises réponses aux mauvais moments. Mais j’avais cette impression d’en payer le prix fort aujourd’hui. Cette jeune femme m’inspirait quand même confiance. Dans ces explications, elle semblait bien maîtriser son sujet, ce qu’elle faisait, ou juste même ce qu’elle disait. Il en fallait pourtant plus pour ne pas retirer ce nœud qu’il y avait à ma gorge, mais elle avait au moins eu le don de ne pas faire couler les larmes. Des larmes qui coulaient sans cesse tous les jours depuis que ma mère m’avait appris la nouvelle. « Je n’ai rien a caché, j’ai un mode de vie sain, bon d’accord, je ne suis pas sportive pour deux sous, mais j’ai une vie correcte. Je répondrais à tout ce qu’il faudra. » déclarais-je un peu solennellement à cette jeune médecin. Mais après tout c’était vrai, j’avais pris ma première vraie cuite cet été, un peu de fast food de temps en temps. A côté de ça, je ne fumais, je ne buvais pas, ma nourriture était relativement correcte. Alors pourquoi cela devrait-il m’arrivait… Pourquoi cela était-il arrivé à ma mère ? La vie n’offrait vraiment pas tous ces cadeaux aux bonnes personnes.
Joy, maintenant je connaissais son prénom, que je trouvais très joli au passage, me donnait un léger sourire. « Bien sûr que vous pouvez m’appeler Erin. Je pense que vous allez me connaitre encore mieux que ma mère alors bon. » Je supposais que dans ses questions, il y allait y avoir des sujets que je n’aurais jamais osé aborder avec ma maternel, et effectivement niveau âge, on ne devait pas être très loin. Puis elle me parlait de ma mère, et je sentais une montée de larmes dans mes yeux. Jusque maintenant, j’avais réussi à tout canaliser, mais cela devait dure au fur et à mesure de cette visite. Avec ma mère, nous avions juste parlé du traitement, de la chimiothérapie qu’elle allait commencer. Jamais le sujet du pourcentage de réussite qu’elle guérisse. « Cela me parait encore trop peu. » 80 voire 90% cela faisait encore une à deux personnes sur dix que ne s’en sortait pas. « Je... Enfin elle va commencer la chimio la semaine prochaine… Pour l’instant, mes médecin sont favorables, mais la chance est rarement de notre côté. » avouais-je comme un besoin de me confier. Une larme coulaient sur ma joue que je tachais d’essuyer assez rapidement. Je n’avais plus que ma mère, et pour rien au monde je ne souhaitais la perdre. « Je vous fais confiance Joy. Faite de votre mieux, c’est tout ce que je demande. » Je lui parlais comme à une amie, personne n’était au courant. Et c’était ce que j’avais besoin dans le fond, une amie à qui je pouvais en parler librement, sans filtre.

Je n'arrive pas à retenir le léger sourire en coin qui apparaît sur mes lèvres quand Erin me dit que je vais sûrement la connaître mieux que sa mère. je sais très bien ce que c'est de ne pas toujours se sentir en confiance avec ses parents et de ne pas pouvoir se tourner vers eux avec certains problèmes. Mes parents étant tout des très croyants - mon père protestant, ma mère catholique - j'ai jamais été très à l'aise quand j'avais des questions ou quand j'avais besoin de parler de certains sujets sensibles. Ils ont toujours accepté ma bisexualité mais ce n'est pas non plus un sujet qu'ils aiment aborder en profondeur. "Ne vous inquiétez pas," je tente encore de la rassurée. Je peux comprendre qu'aborder des sujets comme sa sexualité avec son médecin n'est pas forcément une tâche facile. "Tout ce que vous direz restera confidentielle. Et je ne suis absolument pas ici pour vous juger mais pour vous aider." Avec un dernier sourire et une main sur son épaule, je commence à poser les questions. C'est un test de routine, qu'on nous encourage à faire au début de chaque consultation.

"Pratiquez vous une activité physique régulière ? A quel fréquence ?"
"Consommer vous régulièrement de l'alcool ? A quel fréquence ?"
"Consommer vous régulièrement du tabac ? A quel fréquence ?"
"Consommer vous quelconque autre substance ?"
"Avez vous des allergies ?"
"Etes vous sous traitements ?"
"Avez vous des antécédents médicaux ? Dans votre famille ?"
"Avez vous des rapports sexuels réguliers ? A quel fréquence ?"
"Quel moyen de contraception utilisez vous ?"

Après ça, je la pèse et la mesure pour vérifier son IMC. "Vous pouvez vous rasseoir, je lui indique une fois que j'ai tout pris en note. "L'examen va être assez simple. Vous n'entrez pas dans la catégorie de femmes qu'on juge à haut risque donc l'examen va rester assez léger. Je vais faire un toucher mammaire et une mammographie. Je vais aussi vous prescrire une prise de sang, juste au cas où." En vérité, c'est l'examen le plus poussé que je puisse lui offrir, plus serait trop peu nécessaire. Un simple touché et peut être une mammographie devrait suffire mais je vois bien qu'Erin est réellement nerveuse et cette batterie de tests devrait lui prouver qu'on ne prend pas ses inquiétudes à la légère que je veux tout faire pour la rassurer.