On imagine volontiers que cette connasse avec ses airs supérieurs, son sourire sournois et ses manies moqueuses a dû tirer son caractère exécrable d’une enfance, austère, stricte et sans joies. Une chose est certaine, Gabrielle est ce qu’elle est par pur choix, parce que les nuances obscures lui vont mieux, parce qu’elle préfère écraser que d’être écrasée et parce qu’au fond, le monde extérieur la terrifie au point d’enterrer son cœur sous une tonne de merde. Il n’y a rien de triste et d’austère dans son enfance, elle a vécu dans une bulle que beaucoup d’enfants envieraient, ses parents étaient aimants, attentionnés et malgré leur responsabilité et leur manque de temps, ils n’ont jamais cessé de lui faire sentir à quel point ils l’aimaient. Elle a été l’enfant prodige, la seule qu’ils aient jamais désirés et l’amour qu’ils lui portaient, dépassait l’entendement.

Gabrielle a appris à manipuler son monde, à dire ce qu’il fallait quand il fallait pour être certaine d’obtenir ce qu’elle voulait, comme si elle avait déjà assimilé que manipulation et paraitre étaient les piliers du milieu dont elle est issue. Lorsqu’on a grandi dans une bulle dorée, ou le mot « non » n’avait pas sa place, rien ne prépare à la perte, à la désillusion et au chagrin alors quand ceux-ci ont frappé à sa porte, au lieu de se servir du bonheur qu’elle avait connu pour soigner ses blessures, elle a laissé la peur l’envahir, lui donnant cette aura destructrice que lui connait aujourd’hui, aux yeux de Gabrielle, la loi du plus fort prime … et comme elle se sait faible, elle piétine tous ceux qui l’effraient, avant qu’ils ne la piétinent, elle.

C’est le 7 Janvier 2013, à 2h02 que son monde s’est envolé, son père a toujours été un peu trop zélé dans son travail et le juge avait décidé de poursuivre les mauvaises personnes, malgré les menaces dont il était la victime. Il n’avait jamais pris tout ça au sérieux, Carter Ferguson était censé être intouchable et qui serait assez fou pour s’en prendre à un juge fédéral ? Ni son statut, ni son argent, ou encore sa connaissance parfaite du droit n’ont suffi à le protéger lui et sa famille, ils voulaient sa peau et ils l’ont eu, alors que sa femme a été ce qu’ils appellent, un dommage collatéral. Gabrielle n’a pas pleuré, sans doute parce qu’elle n’a pas eu la force de le faire, seules les personnes assez courageuse pour laisser parler leur douleur sont capables de le faire et elle, elle est tout sauf courageuse. Alors elle a continué de prétendre que tout allait bien avec ce trou béant dans la poitrine et comme le monde lui faisait peur alors elle a décidé de faire peur au monde.

Gabrielle elle était vide, vide de sens, de buts et d’aspirations concrètes, elle se contentait de vivre sans vivre jusqu’à ce que son regard croise celui de Noah dans l’amphi bondé du cours de droit. Ce n’était pas un coup de foudre, c’était un tonnerre constant, un amour qui grondait continuellement. Leur relation n’avait rien de charnelle, mais c’était une amitié ancrée dans un romantisme profond, pour Gabrielle, Noah était et restera l’amour de sa vie. Il n’y avait plus de Gabrielle sans Noah et quand Noah a disparu durant l’été 2017, Gabrielle a commencé doucement à s’éteindre.

Le mois d’Aout est arrivé sans qu’elle ne s’en rende compte, Noah avait emporté le temps avec lui et puisqu’elle ne pouvait se raccrocher à rien et que ses appels restaient sans réponses, elle a commandé un taxi en direction de l’aéroport. Ses escarpins ont à peine eu le temps de frôler les marches de sa résidence vers 23h, qu’un mouchoir posé sur son nez lui a fait perdre connaissance.
Une Lloyd-Ferguson ça vaut cher, assez cher pour demander une rançon et sa captivité aurait pu être bien courte si les Lloyd n’avaient pas été aussi radin. Son oncle a fait trainer les négociations, refusant de payer les dix millions demandés, espérant sans doute mettre la main sur ce qui devait lui revenir de droit, l’entreprise familiale. Elle est restée 1 mois et 2 jours enfermée dans une petite pièce insalubre d’un appartement mal éclairé, elle était nourrie mais rabaissée continuellement, elle dormait assez mais ses nuits étaient faites de cauchemars, celle qui ne laissait personne avoir d’emprise sur elle, qui refusait de perdre le contrôle, s’est vu imposer un rythme de vie qui n’était pas le sien. Ce mois a semblé être une éternité, sans jours et sans heures, la rançon a fini par être versée et elle a été comme convenue remise à sa famille. Bien trop peureuse pour se retrouver face à elle-même et affronter ses démons, elle a décidé de retourner tout de suite à Harvard, de prétendre encore une fois que tout allait bien, qu’elle ne sursautait pas au moindre bruit, que l’idée de se retrouver seule dans son immense appartement ne la terrifiait pas. Elle n’a pas changé en apparence, elle reste cette même connasse que vous avez croisée quelques mois plus tôt, avec ce même sourire moqueur, ce même dédain et cette même démarche pleine d’assurance, mais elle est en train de s’effondrer intérieurement, Gabrielle, et refusant d’être confrontée à ses blessures, elle ne réalise pas qu’elle ne pourra tenir bien longtemps en continuant sur cette pente.