Les premières notes d'une balade sensuelle s'élève dans le silence. Une voix grave mêlée de désespoir et de désir s'y attache. L'ensemble imprègne les murs, les font vibrer. Le corps suant, la jeune Mitchell observe avec dégoût l'homme qui se tient à côté d'elle. Ses yeux sont grands ouverts. Son corps est somnolant. Cependant, le sommeil ne vient pas. Dormir ne semble encore pas une option ce soir. Pourtant, Blue ne rêve que de ça. Ses yeux sont déjà bleutés par la fatigue alors que ses bras sont noircis par les coups. Mais son cerveau est trop préoccupé, embrouillé par les choses de la vie. Ses idées s’entremêlent. Alors elle reste là, allongée dans un lit dix fois trop large avec cet inconnu. Elle n'a pas vraiment d'autres endroits où aller. Une maison. Rien. Elle observe le plafond, comme si les réponses à ses questions étaient écrites. Elle grogne. Elle en a marre, mais sa migraine ne fait que s’amplifier. Bordel. La jeune Mitchell recherche un certain réconfort dans sa couverture, mais les draps sont salis. Elle vient de perdre son honneur. Elle vient de donner son âme au diable. Elle a besoin d'air. De chialer. De crier. De casser quelque chose. N'importe quoi. De remplir ses poumons. De voir autre chose que ses quatre murs étouffants. Alors, la jeune femme se résigne. Elle n’a plus rien à perdre. Jetant un énième coup d’œil à l’énergumène elle tente de faire le moindre bruit. Elle se lève. Blue se sent lourde. Lourde d'émotions. Lourde de vide. Lourde de rien. Elle se sent juste ainsi. Tout doucement, elle marche jusqu'à la fenêtre. Si elle est la seule âme réveillée dans cette maison, elle n'en oublie pas qu'elle n'est pas le seule. Elle ne veut pas voir ce vieil homme la forcer à faire des choses qu'elle ne veut pas vraiment faire. À lui balancer des billets comme si c'était une pute. Mais apparemment c'est ce qu'elle est, du moins depuis ce soir. Elle s'y refuse. Elle s'était promis de ne jamais tomber aussi bas. Et pourtant. Elle avait besoin de fric pour bouffer. Son estomac criait famine. Tout lui brûlait. L’eau ne lui suffisait plus, elle avait besoin de quelque chose de bien plus consistant à se mettre sous la dent. Mais son porte-monnaie était vide. Elle ne s’était résolue à aller fouiller dans les poubelles, non elle n’était pas tombée si bas. Manger les déchets des autres, quelle humiliation. Puis cette grosse merde qui lui servait de proprio l’a encore engueulé. Elle voulait voir son argent, argent que Blue ne possédait pas. Elle ne possédait plus grand-chose. La connasse l’avait encore menacé de l’expulser. Parole en l’air que Blue avait pensé. La vieille pétasse avait cependant changé les serrures. Elle allait se retrouver à la rue. Elle s’imaginait déjà le pire. Peut-être parce qu’elle savait à quoi s’attendre. Au fléau que la nuit cachait. Alors sur le moment, elle s'était sentie prise au piège. Elle n’avait pas eu d’autre choix que d’aller faire le trottoir. Surement comme sa pute de mère l’avait fait auparavant. Aucun métier ne pouvait payer aussi bien que celui-ci. La précipitation, voilà dans quoi elle était. Se penchant contre la fenêtre, elle laisse l'air frai l'envelopper. Elle se rend compte que plus rien ne la retient ici. Elle a besoin d'une cigarette et vite. Allumant la lampe de chevet, elle en attrape une entre ses deux doigts fins. Ses doigts suspendus à quelques centimètres de son visage, sa cigarette coincée entre. Elle termine finalement son geste, coinçant le filtre orangé entre ses lèvres. Roulant cette dernière dans sa main experte, comme pour palier au stress. Ses yeux dérivent. Elle observe la nature qui l'entoure. La noirceur de la ville. L'éclairage des étoiles. Le goudron dans ses poumons semble l'avoir calmé.

Petite, sa mère lui disait toujours que le ciel était un voile tout noir et qu'il y avait des petits trous dedans. Mais c'était normal, car à travers ces petits trous on pouvait y entrevoir la lumière provenant du paradis. C'était avant qu'elle commence à se droguer, et qu'elle décide de se suicider laissant une gamine de quatorze derrière elle. Une gamine qui ne connaissait même pas son père. La jeune Mitchell ne semblait décidément pas assez bien pour ce monde. Oh non. Vilain petit canard qu'elle est. Bonne à rien. Elle avait toujours su que quelque chose comme ceci allait se produire. Elle avait été aux premières loges. Assistant sans rien faire à la descente de sa mère en enfer. Enfer qui ne semblait qu’attendre la petite Blue à bras grand ouvert. C’est ainsi que les services sociaux ont pris son dossier en main. Trouvant la gamine enfermée dans l’appartement. Seule. Sale. N’ayant probablement rien mangé depuis des jours. Pratiquement morte à attendre une mère qui ne reviendra jamais, les larmes déjà asséchées. Le regard de la gamine est vide de sens, comme si elle savait qu’il n’y avait plus qu’elle. La vie est un fléau. Une pute qui aime la voir souffrir, la voir supplier. Une vision surement délectable pour certains qui aiment se nourrir de la peine et de la douleur des autres. Son père vient la chercher. Enfin l’ homme qui se proclame comme tel. Au premier abord, on aurait pu croire qu’il était content de la retrouver. De la voir. De la prendre dans ses bras. Mais tout cela n’est qu’une pièce, un spectacle sans spectateurs. Blue peut presque toucher cette illusion de ses doigts glacés. Il lui explique qu'il ne savait pas que sa mère était enceinte. La petite ricane. Elle en pleure presque. Pourtant, elle se souvient très bien lorsqu'elle avait trois ans, et que le connard qui se tenait devant elle les avait abandonnées. Elle ricane encore en se remémorant toutes les fois où il lui avait interdit de manger pendant plusieurs jours car elle était "trop grosse." Pauvre gamine, mais à l’époque elle souhaitait juste se sentir aimé. Tous les soirs avant de se coucher la petite blue regardait le ciel et demandait au créateur du monde pourquoi elle était tombée dans une famille pareille. Si c’était son destin. Lui demandant pourquoi sa maman ne l’aimait pas. pourquoi son père semblait la haïr à la traiter de tous les mots. Mais la jeune Mitchell n'a pas le choix dans ses temps obscurs,elle doit le suivre. Les adultes ne veulent rien entendre, ne veulent pas écouter ses cris de détresses. Ses cris du cœur. Tout le monde semble penser que c’est la chose à faire. Que dans ce nouveau foyer, elle y trouvera le bonheur. Le bonheur d’une famille éclaboussée. Si seulement ils savaient la triste vérité. Qu’au lieu de la sauver, ils viennent de sceller son destin. De la donner à un monstre.

Six ans plus tard, le papa Mitchell l’a frappé. Fort. Très fort. Comme toujours. Un coup pour chaque jour que Blue s’est trouvée sur son chemin. Il l'a butté, il a sali son visage avec un putain de rouge hideux. Il l'a frappé, il l’a butté, et elle est tombée. Elle retombe. Encore et encore. Elle a beau se relever, lui glisser des je t'aime un peu trop faux dans l’espoir de le calmer, sa tête restera toujours baissée. Pourquoi elle le laisse mutiler ses veines, ses pensées, sa liberté, son cœur ? Son père s'est juste énervé. S'époumonant qu'il n'avait jamais voulu d'elle, que même morte sa tarée de mère arrive encore à l'emmerder. À enculer sa vie. Mais Blue n’y ait pour rien, elle tente de lui expliquer. Elle pleure, des larmes sillonnant son si beau visage. Un visage meurtri. Aux yeux du père Mitchell, Blue n’est qu’un cadeau empoisonné. Une pomme pourrie tombée trop près de l’arbre. C’est pour ça qu’il l’a frappé. C’est pour ça qu’il ne s’est pas arrêté malgré le fluide rouge qui dégoulinait de ses mains. Il ne s’arrête jamais. Elle commence à s’habituer à la douleur, à ses muscles endoloris. Elle se demande toujours si elle va pouvoir être capable de voir la lumière du lendemain. De cacher ses nouvelles marques avec du fond de teint à la date périmé. C’est aussi pour ça qu'elle lui crie de se casser. De hurler qu’elle n’a pas besoin de lui, qu’elle ne reste pas ici de son propre choix, mais qu’on la force. Parce que dans la vie Blue veut pleins de choses mais pas de son père, pas lui bordel. Ni personne. Oh mais qu'elle n'aurait pas dû. Cet élan de courage va se retourner violement contre elle, ça va encore faire mal. Elle aurait pourtant dû le savoir, ne jamais dire à un père ce qu'il doit faire sans en subir les conséquences. Le padre. Le dirigeant. Le chef sous ce toit. Elle n’est qu’un asticot sous ses pieds. Le père Mitchell regarde sa poupée frigide encore étalée sur le lit. Elle ne semble être que l’ombre d’elle-même. Son teint cireux ressemble à celui de la mort. Peut-être qu’elle va enfin lui faire un cadeau et se suicider. Comme sa mère. Il lui lance un dernier regard empli de haine et de rancœur. Pour une fois Blue s'est laissée aller dans son étreinte, dans ses coups, elle n'a pas tenté de s'enfuir, elle ne sait pas débattu. Elle espérait qu’en lui faisant plaisir, il frapperait moins fort. Qu’il n’y aurait plus de jeu face au manque de résistance. Quel doux rêve, le père Mitchell ne mâche jamais ses gestes.Petit bête fragile qui part pour l’abattoir voilà ce qu'elle est. Il lui lance un regard froid, calculateur, se demandant combien de temps elle va rester là à lui polluer son air, à l’empoisonner avec sa présence, avant d'entrer dans la salle de bain. L'eau coule dans ses oreilles, mais il l'entend bien le bruit de la porte de sa chambre qui claque et désigne la fin d'un chapitre. Cela fait trembler les murs. Le début d'une absence difficile. Le recommencement de quelques pages. Il hurle "sale pétasse revient" tout en courant dans le salon. Le regard de Blue se dirige vers lui, à la recherche de réponses. Les yeux explosés, c'est à peine s'il comprend exactement ce qu'il vient de leur arriver. Blue a juste claqué la porte, ce doit être du bluff, elle va revenir, comme toujours. Elle va revenir et s'excuser d'avoir été si impulsive. Le père Mitchell tente de se persuader. Pourtant l'histoire semble se répéter, la dernière des femmes Mitchell lui offre un magnifique doigt d'honneur. Elle l'emmerde. C'est une femme forte. Elle peut se débrouiller toute seule maintenant qu'elle a plus de dix huit ans. "j’te préviens ne revient plus ici salope." qu’elle entend au loin, alors que ses jambes courent le plus vite possible le long des pavés. Elle s’enfuie. Elle prend son envol.

Alors, même si elle a réussi à échapper à son passé étouffant, elle se retrouve encore dans la merde. La merde qu'est la vie. Et si elle a bien compris une chose, c'est qu'elle ne peut compter que sur elle-même. Voilà comment on peut se retrouver quatre ans plus tard, au même point mort. À offrir son corps au plus offrant, à se détester, à se mutiler la peau. La fin heureuse, Blue n’y a jamais cru et jamais elle n’y croira. C'est à ce moment -là qu'elle entend les draps bougés, alors la jeune Mitchell sort de ses pensées. L’inconnu en tenu d’Adam commence à lui parler, à lui chuchoter des mots doux. Elle fait la sourde. Elle tente de ne pas dégueuler. De vomir ses intestins. Parce que ce mec ne le sait pas, mais il la répugne au plus profond d’elle. Il lui rappelle presque son père à vouloir la dominer, à vouloir décider pour elle. Mais la gamine Mitchell a bien grandi. Elle assume ses courbes et son sale caractère. Si ses hommes la veulent, ils doivent embrasser tout le package. L’un ne vient pas sans l’autre. « C’est bon a baisé, c’était putain de merdique alors on ne va pas en parler toute la journée » expliqua Blue très agacée. L’inconnu qui en n’était plus vraiment un se lève et se colle à elle. Il passe ses bras autour de sa taille et commence à l'embrasser dans son cou. Elle soupire. Merde elle a oublié son prénom. C’était quoi déjà mike ? marc ? mason ? matt ? Putain elle sait que ça commence par un m. Ou peut-être pas d’ailleurs. Elle a fait exprès de l’appeler autrement, pour créer un écart. Elle ne compte pas le revoir. Il n’était pas du genre très intelligent, et au lit c’était à peine un 5. C'est bien pour cette raison qu’elle ne préfère pas dormir après une bonne partie de jambes en l'air. Elle regrette d'avoir cédé. Le mec allait croire qu’ils allaient se marier et avoir des enfants. Elle aurait dû être ferme et quitter son appartement tout de suite après. Mais pourquoi n'acceptent-ils pas de la laisser partir ? Pourquoi demandent-ils toujours plus ? Qu'on la laisse tranquille. Tout le monde lui veut quelque chose. Putain. Ne comprennent-ils pas que c'est sa vraie nature ? Qu’elle se lasse simplement rapidement de la compagnie des gens? Elle se pousse avec force tentant de lui faire comprendre que ce nouveau contact n’était pas le bienvenu. Passant une main dans ses cheveux fins, elle attrape le fric posé sur la petite table. C’est le sien, elle vient durement de le gagner. Cela devrait suffire pour couvrir ses frais. Du moins jusqu’à la prochaine fois. Elle faut qu’elle se trouve un vrai job, et au plus vite. Pas un qui la fait travailler comme une esclave pour rien. Le jeune homme ne la lâche pas du regard, comme si son refus ne l’attirait qu’encore plus. Con comme elle vous le disait. Les hommes ne semblent jamais comprendre le message, comme s’ils pensaient qu’ils étaient tous des dieux grecs et qu’ils lui faisaient une faveur en la séduisant. « À plus jamais. » Elle enfile sa robe et claque la porte encore pied nus. Le pauvre brun n'a même pas le temps de la regarder avec un regard éberlué. Elle jette un coup d'oeil à sa montre. Voilà qu'elle est en retard pour le boulot. Elle soupire à nouveau, laissant le soleil briller sur son visage, réchauffer son petit corps. Blue se mordille la lèvre inférieure, elle a oublié son sac à l'intérieur. Elle se tape violemment la tête avec sa main. Parfois elle est vraiment stupide. Pas grave il n'y avait rien de très important à l'intérieur, à part du vide, son rouge à lèvre channel (piqué à une salope friquée dans les wcs). Elle avait oublié son portefeuille chez elle. C'est comme ça qu'elle avait rencontré ce pauvre homme, il lui avait acheté une bière. Puis une autre et une autre. Et voilà où elle en était arrivée. Elle ne prend même pas la peine de courir. Son boss connait bien ses horaires.