2002 - 01 - 18 ✎ La petite fille dans les bras, il tente de rester à la surface animé par l’instinct de survie. Il la serre terriblement fort dans ses bras comme si il s’agissait de sa propre vie. La mer est agitée, elle le secoue dans tous les sens, secoue son âme, secoue sa raison. Les pleurs de l’enfant semblent déchirer le ciel des plus orageux, la panique et son cœur fracassant sa cage thoracique animer les vagues qui semblent de plus en plus violentes. L’eau s’infiltre plusieurs fois dans sa gorge laissant un coup de feu sur son passage. Il entend des cris, il entend son prénom ainsi que celui de sa petite sœur. La voix par habitude si rassurante de ses parents est trahie par sa panique. Il tente de nager vers eux, il tente de s’approcher, de les rejoindre mais les vagues le repousse à chaque fois de plus en plus loin. Il voit leur visage rongé par la crainte, la crainte de mourir. Un nouveau pont d’eau les recouvre mais il ne remonte pas. Il attend, il se débat. Trente secondes, une minute, cinq … Son cœur s’arrache, il a l’impression que sa cage thoracique s’ouvre complètement. Il agonise de l’intérieur. Il continue de les chercher, animé par un micro-espoir déchirant mais il ne voit rien d’autres que la large étendue d'eau, des morceaux de bois, même le bateau a déjà sombré. Il confond la silhouette de ses parents avec des débris, souvent il croit entendre leurs voix hurler son prénom. Quand vont-ils remonter? Il nie la fatale réalité. La fatigue le fait halluciner, la fatigue est traitresse. Ce n’est pas les flots qui se font de plus en plus hauts, c’est lui qui coule de plus en plus. Il se débat contre cette force de la nature destructrice, il se débat mais il a déjà perdu. Une énième l’engouffre et puis, le noir complet.


Lorsque les images se firent plus claires, son corps sec allongé sur un lit d’hôpital blanc et ses sens à nouveau en vie, le noir interstellaire persistait cependant. « Comment tu t’appelles mon garçon ? » Lourd silence. Il recherchait une réponse, fouillait les tiroirs de sa mémoire. Mais tous étaient vides. Toutes les données effacées, son identité et celle de ses proches oubliée. Réflexe inconscient pour faire taire cette douleur insoutenable. « Je … » Il n’avait plus de nom, plus d’âge, plus d’anniversaire. Les souvenirs de sa vie se sont absentés, sa noyade supprimée, l’image de ses parents rayées. Huit années balayées comme si elles n’avaient jamais existées, amnésie pour le préserver. « Je ne sais pas. »








RENAISSANCE ✎ Tout reconstruire. Se voir attribuer un nom pour remplacer celui oublié, une nouvelle date d’anniversaire, de nouveaux papiers. Des goûts à réinventer, des souvenirs à recréer. Rien n’a été retrouvé, aucunes informations, aucuns souvenirs ne lui sont revenus, aucune famille à part une petite sœur retrouvée avec lui. Bien trop jeune pour témoigner mais également beaucoup moins chanceuse que lui. Réanimée à plusieurs reprises lorsqu’elle fut retrouvée, beaucoup trop de fois pour ses quelques mois de vie qu’elle possédait à son actif qui lui ont laissés de lourdes séquelles physiques et mentales. Mais cela n’a en rien empêché celui qui s’appelle Ylian depuis maintenant dix ans de s’attacher à elle. Il l’aime bien plus que sa propre vie, s’occupe d’elle comme si elle était le joyau le plus précieux même lorsque l’adoption les séparait. Tous deux placés en orphelinat après avoir été retrouvés, elle fut la seule adoptée.

Ne pouvant rejoindre lui aussi cette famille chaleureuse qui ne pouvait adopter qu’un enfant, il restait cependant le bienvenue dans ce cocon familial. Invitation dont il abusait presque, s’y rendant lorsqu’il le peut, se liant avec ces derniers malgré lui. Pourtant, il ne les considérait pas comme sa famille. Ils étaient ces personnes bienveillantes qui ont pris sa sœur sous leurs ailes. Ils n’étaient pas non plus sa famille. A son sens, ils ne sont que cette période de transition avant laquelle il ne puisse s’occuper de sa sœur lui-même. Depuis toujours, il tient à donner sa contribution humaine et financière. Une aide financière dont la famille n’a pas besoin mais qui lui tient tout particulièrement à cœur. De l’argent propre ou sale qu’il pose sur la table, tête baissée, sans le moindre mot. De l’argent que la famille ne refuse plus car ils savent qu’ils se buteraient à un mur. Alors ils le questionnent vaguement sur la provenance, obtiennent des réponses floues avant de passer à autre chose. Ils ont appris à le connaître lui aussi au fil des années. Ylian n’est pas un garçon méchant, loin de là mais passer tout sa vie à l’orphelinat a fait qu’il s’est fait tout seul, sans l’aide de personne. Il se débrouille comme il peut pour gagner de l’argent endossant rapidement un rôle de dealer puis de livreur de pizza. Mais Ylian a des rêves plus grands. Dû à l’amnésie ou peut-être pas, il est une éponge a connaissances : tout y passe, même les informations les plus futiles. Il a les capacités et l’ambition. Des traits qui n’ont pas échappés a cette famille qui l’aime même si ils ne reçoivent pas le moindre retour et qui les ont poussés à financer ses études à Harvard. Un geste généreux que le jeune homme n’a jamais été capable de remercier à vive voix. Au lieu de ça, il leur a montré qu’il était capable, il a tout donné pour montrer qu’ils ne les décevront pas en obtenant des notes excellentes au SATs. Pour sa sœur, pour lui, pour eux.









I AM WHO I AM✎ Être accepté à Harvard sonnait comme une libération. Pendant trop longtemps perturbé et renfermés par ses problèmes identitaires, tout semblait soudainement s’envoler face à la lettre. Ylian s’ouvrait subitement aux autres comme une pièce brusquement illuminée par le soleil. S’il a longtemps été perturbé par le fait de ne pas savoir qui il était avant ses huit ans, il était aujourd’hui quelqu’un. Peu importe le passé, peu importe ce qu’il a oublié, peu importe si il n’a pas de parents. Il est temps de se faire de nouveaux souvenirs inoubliables. Son amnésie mise de coté et dont il parle désormais librement, le changement fut flagrant. Bien que n’ayant rien perdu de son côté très têtu et continuant de rêver de noyades constamment sans pour autant en comprendre le sens, Ylian rit aux éclats, sort des conneries à la minute, il est devenu amusant. Il se fait de nombreux amis à qui il est extrêmement loyal, se découvre une fibre sociable incroyable. Il est devenu ce gars taquin, toujours prêt pour sortir, toujours prêt à faire un sale coup aux autres maisons. Pour la première fois, il a exprimé de la reconnaissance envers la famille d’adoption de sa sœur. Il leur rend l’affection qu’ils lui portent, les considèrent aujourd’hui comme un petit bout de famille. Il continue de travailler en tant que dealer et livreur de pizza afin de financer les besoins de sa sœur tout en étudiant très attentivement.