Les escapades, visitées guidées, ce genre de choses, ce n’était pas trop le style de Jules mais bien plus celui de sa petite amie. Alors évidemment, puisqu’ils profitaient de ce voyage principalement ensemble, le mather n’avait pas trop le choix que de l’accompagner en balade. Pas que les temples laotiens ne soient ni assez beaux pour lui ni intéressants, c’est juste que… il y avait plus fun quoi. Mais il était là cet après-midi, au beau milieu d’un temple situé lui-même au beau milieu d’une forêt quelque part au Laos alors plus question de faire demi-tour. Coincé entre quatre murs, Jules n’avait plus qu’à se prendre au jeu et faire mine d’être intéressé. Voire même s’y intéresser carrément plutôt que de faire semblant. Suffisait simplement pour ça de quitter le petit groupe et de s’organiser sa propre visite. Il y avait des tas d’endroits devant lesquels ils étaient passés sans s’arrêter et qui attisaient la curiosité du jeune homme. À commencer par cette pièce ronde tout au bout d’un couloir dans laquelle il s’engouffra après avoir enfin réussi à retrouver le chemin qui y menait. Et visiblement, quelqu’un d’autre avait eu la même idée que lui puisqu’une silhouette féminine se dessinait de l’autre côté. De dos, Jules n’y prêta pas plus attention que ça, occupé à admirer les lieux, baignés d’une lumière turquoise qui donnait une ambiance toute particulière à la pièce. Cinq minutes ou peut-être plus s’écoulèrent ainsi avec pour seul bruit de fond le silence lui-même. Cinq minutes durant lesquelles toute l’attention du mather fut captée par la beauté de l’endroit. Jusqu’à ce qu’il ne se retourne et ne croise son regard. Jusqu’à ce que ses membres et son esprit ne se figent. Jusqu’à ce que le temps ne s’arrête. Des perles émeraudes qu’il aurait reconnu entre toutes et qu’il avait autrefois contemplé sans jamais s’en lasser. Un fantôme du passé qu’il n’espérait plus revoir, après tant d’années. Sept ans putain. Sept ans de silence radio, sept ans sans la moindre nouvelle et la voilà, juste devant lui, pour de vrai. Dana. Bien sûr qu’il ne l’avait pas oubliée, il n’aurait pas pu, pas elle. Mais la surprise était telle que Jules n’osait prononcer le moindre mot ni faire un seul mouvement, sans doute de peur de la voir disparaître. Était-elle seulement réelle ou bien tout cela n’était que le fruit de son imagination ? Un rêve de son subconscient désireux de lui faire passer un message peut-être ? C’était tellement peu probable de la revoir, de la retrouver maintenant, surtout au Laos, loin de tout, loin du reste monde, qu’il ne savait même pas quoi penser. Alors il ne bougeait pas, ses yeux verts plongés dans ceux de la jeune femme, il ne faisait rien, ne disait rien. En cet instant précis, il n’y avait qu’elle. Encore plus belle que dans ses souvenirs. Dana. Juste Dana. Et elle seule comptait.

Les doigts caressant les murs du temple, tu contemplais chaque parcelle, chaque écriture ou chaque dessin qui passaient sous tes yeux. Tes amis n'étaient pas bien loin mais, comme à ton habitude, tu avais décidé de faire chemin à part, préférant ne dépendre que de toi-même plutôt que d'un groupe. Quand soudain, une main se posa sur ton épaule, te forçant à te retourner. « Vous ne devriez pas aller par ici mademoiselle, il n'y a pas grand chose. » dit le jeune homme tout en te montrant sa petite pancarte le désignant comme guide. Un sourire déforma tes lèvres et tu hochas la tête, comme si tu avais bien compris et que tu allais suivre son conseil. Mais une fois son dos tourné, tu levas les yeux au ciel et t'enfonças dans le couloir sombre. Le brouhaha provoquait par les touristes ne venait plus te parasiter, te plongeant dans un calme apaisant. Une grande bouffée d'air vint remplir tes poumons en même temps que tu fermais les yeux, appréciant ce moment. Ton téléphone n'allait sûrement pas tarder à sonner pour manifester l'inquiétude de tes potes mais peu importe, tu les retrouverais plus tard. Plus tu avançais, plus tu oubliais le chemin que tu avais fait pour venir jusqu'ici. Tu pénétras dans une pièce ronde où la lumière d'un doux bleu venait éclairer les détails dans la pierre. C'était si beau, si différent de ce que tu avais pu voir jusqu'ici. T'étais comme coupée de tout, de ton quotidien, de la ville, tout. Absorbée par ces œuvres traditionnelles, tu ne fis pas attention aux pas qui retentirent dans la pièce, créant un petit écho perturbateur du silence si reposant. Ton portable vibra dans ta poche, te forçant à décrocher tes iris du temple et portas ton attention sur le message qu'un mec de ta bande venait de t'envoyer. Il te demandait où t'étais et tu ne trouvas rien de mieux à répondre qu'un simple dans ton cul avant d'activer le mode silencieux et de renfoncer le cellulaire dans ta poche de short. Mais même avec ça, tu savais qu'ils étaient tous en train de t'agresser de messages et rien qu'à cette pensée, tu soupiras. T'aurais dû te perdre seule dans la forêt, un joint à la bouche, ça aurait été plus tranquille. Peu désireuse de voir la police alertée par ta soit-disant disparition soudaine, tu te retournas, prête à emprunter la sortie. Mais tes pieds restèrent collés au sol. Ta gorge devint sèche alors que tes yeux se brouillaient. Le souffle coupé, tu fixais droit devant toi, n'y croyant pas une seule seconde. C'était comme voir un fantôme. C'était comme le voir après toutes ses années à ne rêver que de lui. Tes perles parcouraient ses traits comme s'ils n'étaient pas réels, comme s'il n'était que le fruit de ton imagination, le fruit de tes souvenirs. Jules. Un prénom que l'on t'avait interdit de prononcer, un visage que l'on t'avait interdit à remémorer. Lui aussi semblait figé et presque incrédule. Sept ans sans vous voir et voilà que vous tombiez l'un sur l'autre, seuls. Comme un besoin de savoir si tu hallucinais, tu réussis à décoller tes talons et à faire les pas qui vous séparaient. Quand soudain, tu le poussas, pensant qu'il allait disparaître, que t'avais juste trop fumé. Mais à son simple contact, ta peau s'électrisa. C'était comme avoir été sevré pendant des années et retomber, succomber à nouveau. Tes yeux s'humidifiaient alors que tu réalisais ce qui était bien en train de se passer mais tu le regardais, toujours perdue. Sans plus réfléchir, tu te jetas contre lui pour le prendre dans tes bras, nichant ton visage dans le creux de son cou. Si tes narines retrouvaient la douceur de son parfum, tes mains retrouvaient la chaleur de sa peau. « Je pensais ne plus jamais te revoir. » dis-tu d'une voix si faible que l'on avait l'impression que la pièce était toujours plongée dans un silence de plomb.

Jules n'en croyait pas ses yeux. Des retrouvailles après tant d'années, il en avait vécu, plusieurs même mais une semblable à celle-ci, jamais. Rien n'était comparable à sa relation passée avec Dana, rien du tout. Tout avait été si intense, si chaotique, si... sincère. Elle avait été la première et même la seule à qui il avait dit "je t'aime. Pour de vrai, oui. Et ça ce n'était pas rien. Et si Jules ne savait plus ce que ça signifiait aujourd'hui, à l'époque il l'avait su. Puis elle avait dû partir. Puis on la lui avait enlevée. Parce que personne ne les avait jamais soutenus. Eux contre le reste du monde, voilà ce que ça avait été. Ils n'en demandaient pas plus parce qu'être ensemble leur suffisait. Ils se déchiraient, se détruisaient pour ensuite mieux se retrouver. Une habitude qui lui avait manqué mais que Jules avait fini par oublier. Sa relation actuelle avec Anastasia était complètement différente, peut-être parce qu'il avait changé, sans doute un peu, avec le temps. Mais les souvenirs, eux, restaient les mêmes. Dana restait la même. Du moins, l'image qu'il se faisait d'elle. Difficile de vraiment se faire un avis là-dessus pour le moment. Mais peu importe, elle était bel et bien là, devant lui. Tout aussi surprise. Bien que plus expressive. Ça, ça n'avait pas changé. Alors qu'il ne bougeait pas d'un centimètre, l'esprit complètement chamboulé, la brune prenait les devants et le poussait légèrement, comme pour vérifier qu'il était réel. Que c'était réel. Et en la voyant agir de la sorte, Jules se retrouvait propulsé sept ans en arrière. Elle avait cette même manière de le bousculer, comme lors de leurs nombreuses disputes. Sauf que cette fois, aucune once de colère ne pouvait se lire à travers son regard. Il y avait bien des sentiments, mais certainement pas de la haine. Et Jules ? Jules ne bougeait toujours pas, fidèle à lui-même, tel une statue de marbre. Inexpressif ou presque, puisque ses yeux parlaient pour lui. Puis elle le prit dans ses bras, puis elle se blottit contre lui, comme avant. Ils n'étaient plus dans ce temple, ni même au Laos. Juste dans leur bulle, à eux. C'était étrange, parce que le mather n'y était vraiment pas préparé. Si quelqu'un lui avait dit qu'aujourd'hui, ou même cette année, que Dana allait réapparaître dans sa vie, il n'y aurait pas cru. Pourtant il la tenait dans ses bras, tellement proche qu'il pouvait sentir son souffle contre sa peau, sentir son odeur, comme il n'avait pas pu le faire pendant trop longtemps. À l'intérieur, c'était une véritable explosion, une rafale de sentiments qu'il se prenait en pleine face. Son passé, tout ce qu'il avait été contraint de condamner, enfoui au plus profond de son être... resurgissait là, maintenant. "Moi aussi." prononça-t-il, aussi faiblement qu'elle, sans s'extirper de son étreinte. Ils restèrent ainsi, encore un instant, comme pour vérifier une dernière fois que tout ceci ne se passait pas dans leur tête. Incroyable. C'était le mot parfait pour définir cette rencontre. Leurs retrouvailles. "Qu'est-ce que tu fais là ?" finit-il par demander en s'écartant légèrement pour contempler chaque trait de son visage. Oui, comment était-elle arrivée ici, au Laos. Ici, dans ce temple. Ici, dans sa vie.

T'avais pleuré. Pleuré votre séparation. Pleuré la distance. Tu t'étais vidée de toutes les larmes possibles te renfermant et rejetant l'affection de tes parents. Parce qu'ils te l'avaient enlevé, ils n'avaient jamais voulu de Jules. A cette époque t'étais jeune, et furieuse, faisant tout ce qu'ils ne voulaient pas que tu fasses rien que pour les emmerder, pour les faire payer. Mais rien n'avait suffit à atténuer ta colère. Ta rancœur grandissait jour après jour et tu crachais sur leur bonne foi. Ils soutenaient l'idée que tu avais changé et c'était vrai. T'avais changé. T'avais pris en caractère, tu t'étais affirmée. Tu vivais pour te détruire. Ressentant ce manque constant, t'avais cherché à recontacter Jules, même après des mois de séparation, t'avais continué à le chercher sur les réseaux sociaux. Mais non seulement celui-ci n'était pas le plus actif dessus, mais en plus tes parents te mettaient des bâtons dans les roues. Jusqu'à ce que tu arrêtes. Jusqu'à ce que tu ne prennes même plus la peine de chercher à lui envoyer un message. T'avais abandonné sans jamais l'oublier. Et voilà que pendant ton voyage au Laos, tu le recroisais. Tu le retrouvais. Le souffle coupé, tu t'étais approchée de lui pour vérifier qu'il était bien réel, ou même que tu n'étais pas en plein rêve. Tu te voyais déjà te réveiller, en larmes tellement tout ceci te semblait réel. Mais une fois dans ses bras, t'avais l'impression de respirer à nouveau. Son contact t'apaisait et te réchauffait, il te faisait toujours autant d'effet après sept années loin de l'un et de l'autre. Le jeune homme avait sûrement changé, grandi, mûri, comme toi, mais putain tu pouvais pas t'empêcher de vouloir rester là dans ses bras, à retrouver une certaine proximité. Tu ravalas tes larmes et affichas un fin sourire lorsqu'il t'avoua avoir pensé ne jamais te revoir un jour non plus. Comme quoi, la vie était à la fois bien et mal faite. Vous aviez prié pour vous revoir pendant des mois, sans succès. Et maintenant que tu avais fait une croix sur lui, ou tout du moins l'idée de le revoir, tu tombais nez à nez avec. Les secondes passaient et tu n'arrivais toujours pas à le lâcher, profitant de vos retrouvailles. T'en avais rêvé jour et nuit de ces retrouvailles, mais jamais tu ne les avais imaginées se passer ainsi. Quand, enfin, il s'écarta légèrement pour pouvoir te regarder, tu te tenais toujours à quelques centimètres de son visage, les yeux brillants par l'humidité qui les avait touché un peu plus tôt. Sa question te fit doucement sourire et, gardant tes mains sur ses hanches, tu répondis « Je te retourne la question. ». C'est vrai, t'aurais bien eu du mal à imaginer Jules venir dans ce pays. Puis tu retiras tes mains, les laissant tomber le long de ton corps avant de chopper ton téléphone qui affichait dix nouveaux messages. Tu te pinças les lèvres et, après réflexion, le verrouillas. Tant pis, tes potes allaient encore te chercher longtemps. « Je suis venue pour quelques semaines en vacances avec des amis. Je suis arrivée y a même pas une semaine en fait. Et toi ? » demandas-tu en le contemplant. T'étais pas franchement discrète mais tu t'en fichais : tu le dévorais toujours autant du regard. Il était plus grand, plus musclé qu'à l'époque où tu l'as connu. Vous n'étiez que des adolescents, bien sûr que vous aviez eu le temps de changer physiquement. Et t'en revenais pas d'avoir cette discussion aussi banale avec lui. On dirait que vous étiez de vieux amis qui se retrouvaient alors qu'en réalité, t'avais juste envie de rattraper le temps perdu loin de sa chaleur, loin de son coeur.

C'était si étrange, si incroyable, irréel même que Jules ne trouvait pas les mots. Sept ans s'étaient écoulés depuis la dernière fois qu'ils s'étaient vus, parlés, embrassés... Alors qu'était-il censé faire, là, tout de suite ? Comment devait-il réagir ? De toute évidence, c'était bien elle et non un mirage alors inutile de lui poser cette question. Juste la prendre dans ses bras, comme elle le faisait et lui avouer qu'elle aussi, lui avait manqué. Voilà la seule chose qu'il pouvait faire. Parce qu'il n'y croyait toujours pas, il ne réalisait pas. Comment tout cela était-il possible, sérieusement ? Depuis quand il avait de la chance, lui ? Depuis quand la vie avait décidé de lui faire des cadeaux pareils ? Ici, dans un temps, bordel. Ça le ferait presque rire. Même si c'était lui qui était ridicule là, avec sa question à deux balles. D'accord, c'était assez logique qu'il s'interroge sur sa présence ici mais vu la situation, ses paroles paraissaient un peu... insignifiantes, dénuées d'intérêt. Preuve supplémentaire que Jules était loin d'être doué avec les mots et encore moins lorsqu'il y avait des sentiments et une histoire derrière tout ça. Des sentiments oui, vous avez bien lu. Parce qu'il l'avait aimée cette fille et elle le savait. Il le lui avait dit, avant qu'elle parte. La seule à avoir eu cette chance. Dana était spéciale et bien sûr qu'elle le savait, il n'en doutait pas un seul instant. Les souvenirs étaient trop forts pour que la brune puisse penser le contraire. Et lui aussi. Une relation qu'on pouvait qualifier de tout sauf parfaite mais ça leur important peu. Ils étaient jeunes, naïfs surement, à la recherche d'adrénaline. Et aujourd'hui, ils étaient juste deux âmes perdues entre le passé et le présent. Elle venait tout juste d'arriver au Laos, pour des vacances. Réponse typique mais combien y avait-il de chances réellement pour qu'ils ne se retrouvent au même endroit, au même moment ? La jeune femme n'étudiait pas à Harvard alors ça réduisait les probabilités. Et pourtant... elle était là, à quelques centimètres de lui seulement. "En vacances aussi. Comme les trois quarts des étudiants d'Harvard pour le summer camp." Répondit-il calmement alors qu'un sourire amusé se dessinait au coin de ses lèvres. Il avait omis de préciser avec qui précisément il était en vacances, puisqu'il y avait ses amis certes, mais surtout sa petite-amie. Information que Jules ne voyait pas trop utile de préciser pour des retrouvailles. Fallait pas lui en vouloir mais c'était hors sujet là. Si ça se trouve Dana aussi était maquée mais peu importe, ce n'était pas ça qu'il avait en tête à l'heure actuelle. Trop concentré sur le moment présent pour laisser son esprit divaguer ailleurs. Le mather n'avait même pas capté qu'il venait de parler d'Harvard alors que la demoiselle devait sûrement le croire encore en France. Il était chamboulé, ce n'était pas sa faute. Au moins, il avait réussi à faire une phrase correcte constituée de plus de trois mots, c'était déjà pas mal. Se perdre dans son regard émeraude était beaucoup trop facile. Elle n'avait vraiment pas changé. Et la façon dont elle l'observait non plus, n'avait pas changée. L'expression sur son visage était toujours aussi douce et sa peau, qu'il avait caressé tant de fois, devait l'être aussi. Des bribes de souvenirs qui lui revenaient petit à petit et qui étaient restées longtemps enfouies au fond de sa mémoire. Trop longtemps.