Fallait croire qu’on n’y arrivait pas. A se comprendre. A se parler… Nos corps savaient danser le même tempo, et si au lit on était parfaitement sur la même longueur d’onde, pour ce qui était de la communication c’était clairement différent. Dernière dispute en date quelques jours plus tôt. Cléo avait quitté ma cabine furieuse, suite à mon post insta, et même si elle avait pardonné mon coup de gueule online, même si l’espace d’un instant, on avait eu un échange doux et tendre, on était très vite remonter dans les tours, quand la brune me demandait de l’exclusivité alors même qu’on n’était pas en couple, qu’elle le savait très bien que j’en fréquentais d’autres, et que le fait qu’elle parte au SC quelques jours plus tard, clairement ça attisait ma méfiance. Elle voulait me faire croire quoi ? Qu’elle allait là bas pour la qualité de l’hôtellerie ? Pour le luxe ? Pour la gastronomie ? Hum hum… Pour qu’elle aille se perdre dans un endroit aussi pauvre et à l’hygiène aussi douteuse, c’était qu’elle voulait clairement faire comme tous les autres gus d’Harvard qui s’y trouvait : beuverie et sexe. Oui, je m’étais braqué et maintenant je m’en mordais les doigts parce que je recevais ce texto, son texto ‘Je pars tout à l'heure pour le Laos, ça te dérange si je laisse des affaires sur le yatch ?’ je savais donc qu’aujourd’hui, on allait réellement se dire au revoir, et au fond de moi ça ne me plaisait pas qu’on se quitte sur cette note tendue. Traversant le bâteau pour la retrouver alors qu’on venait d’accoster, je la retrouvais sur le pont, avec mon air et mon ton bougon. « Alors ça y est tu t’en vas pour le tiers monde c’est décidé ? » lançai-je en m’approchant, habité d’une furieuse envie de fondre sur elle, de l’embrasser, de lui dire de rester… Mais pourquoi faire puisqu’elle avait fait son choix ?  

Les tensions étaient à leur comble. Peut être qu’on se comprenait pas, qu’on n’y arriverait jamais. Peut être qu’on n’était plus doués pour s’engueuler que pour discuter calmement. Oui, surement parce que dès les premiers mots échangés, mon ton désagréable n’aidant pas probablement à engager la conversation sereinement, miss Strauss était sur la défensive. « Ca m’a toujours intéressé. Je ne voulais pas que tu partes. » J’avais crisé la première fois à cause de ça, quand j’avais posté sur instagram. Et en fait : « J’ai toujours pas envie que tu partes… » Malgré son ton sec, son air agacé, le fait qu’elle ait déserté ma cabine pour celle de mon cousin… Visiblement si moi je ne digérais pas cela, Cléo, elle, avait son lot de reproches à mon égard. En premier lieu, elle m’attaqua sur le fait que je pourrais faire ‘ce que j’ai à faire’ sans me cacher. Je serrais la mâchoire, mauvais : « Ouais je vais certainement pas m’en cacher. Toi aussi tu seras tranquille là bas. Me dis pas que tu vas au Laos pour les prestations offertes sur place, on sait tous que ça grouille de bestioles. Tes vaccins sont à jour au moins ? » Ouais, que voulez vous, je ne savais plus comment la retenir alors je tentais le tout pour le tout en lui faisant peur.


 

J’arrivais et j’attaquais. Je ne voulais pas qu’elle parte et pourtant voilà, ma réaction, mon ton hautain, mes insinuations, ça allait la braquer encore plus et la pousser encore plus rapidement hors de ce yacht. Mais fallait croire que j’étais vraiment nul au jeu du maintien. Plus doué pour blesser que pour cajoler, en tout cas avec Cléo qui se braquait à l’écoute de mes paroles. « Une belle histoire pour moi, une belle connerie pour toi ? C’est une jolie façon de voir les choses. Et bien voilà, sois heureuse Cléo, je ne serais pas la connerie de ta vie. Tu ne seras pas l’histoire de la mienne. » Y’avait rien de pire que de me rabaisser et me prendre de haut pour me mettre hors de moi. J’aurais mieux fait de lui envoyer un simple message pour lui dire bon vent plutôt que de venir la provoquer sur ce pont. Je sentais que les au revoir seraient électriques. Ca commençait déjà à monter. Alors quand tactique, je lui listais les horreurs qui l’attendaient dans le tiers monde laotien, miss Strauss répliquait qu’il n’y avait pas de quoi s’inquiéter, qu’elle resterait dans sa suite. Ou comment nourrir ma paranoïa quand aux coucheries que je l’imaginais enchainer là bas. « Et tu comptes faire quoi dans ta suite ? Découvrir le programme télé local ? Jouer aux cartes ? Compter les mygales au plafond ? » Y’avait surement plein d’insectes venimeux là bas, alors pourquoi pas d’horribles araignées. Mais dans tous les cas, le sous entendu de ma question c’était que j’avais vu juste, qu’elle comptait enchainer les conquêtes là bas. « Tu joues les prudes quand je joue franc jeu, quand moi je ne te cache pas que j’ai vu d’autres filles, mais en fait t’es pas mieux que moi. T’as couché avec Dim pas vrai ? » Genre c’était impossible pour moi qu’ils aient partagé leur cabine sans qu’il ne se passe rien. Attendez, c’était Cléo. Impossible d’imaginer que qui que ce soit, y compris mon cousin, ait pu lui résister.


 

 Aigri et énervé, voilà l’état dans lequel j’étais, et forcément, malgré mon envie de la voir rester, les piques fusaient et comme à mon habitude, je m’y prenais comme un manche pour tenter de la faire changer d’avis, obtenant l’effet inverse. Ainsi, quand elle parlait de moi en tant que ‘connerie’ évitée, j’étais encore plus vexé et sur la défensive. Elle, elle gardait son calme me renvoyant à la figure mes nombreuses aventures. « Je ne me suis jamais caché de ça. » Mon côté homme à femme, cette réputation, ça me collait à la peau, tout le monde le savait sur le campus que j’étais ce genre de gars. A ne jamais rentrée seul de soirée, à finir dans des draps et des bras différents chaque nuit, à apprécier plus que de raison la compagnie des femmes… Ouais j’avais ce côté sulfureux, excessif, volage qui n’était un secret pour personne… « Mais ce n’est pas parce que c’est ce que je fais que c’est ce que je veux… » Une collection de petites histoires qui ne menaient à rien, c’était drôle, c’était un passe temps sympa, temporairement… Bien sûr qu’en vérité j’aspirais à quelque chose de plus ambitieux. Quelque chose de plus grand. Le genre d’histoire qui vous transporte, vous chamboule, vous grandit… Peut être que je devrais lui dire que c’est ce que je veux avec elle. Peut être. Mais j’étais trop énervé et plus occupé à la jouer tactique en essayant de la dégoûter du Laos. Quand elle évoqua son intention de rester dans sa suite exclusivement, ça raviva ma jalousie, bien qu’elle justifia cette envie de squatter l’hôtel autrement. « Tu les fuiras plus efficacement en restant ici. Sur le yacht. » répliquai-je, cinglant. Mes accusations eurent pour effet de la pousser à se dévoiler plus, s’approchant, valise en main, se plantant devant moi, Cléo m’expliquait noir sur blanc, qu’elle n’avait pas couché avec Dimitri, ni personne d’autre d’ailleurs, depuis qu’on se fréquentait. Un inexplicable sentiment de soulagement me gagna, soulagement qui s’amplifia et fit naitre un sourire sur mes lèvres lorsqu’elle expliqua que c’était moi qu’elle avait voulu. Elle conjuguait au passé, néanmoins, preuve probablement qu’avec mon comportement je venais de tout foutre en l’air. « Prouve le moi alors Cléo. Prouve le moi en restant. » la défiai-je alors, en la scrutant, en la détaillant intensément pour essayer de repérer tout signe qui trahirait un mensonge de sa part.


 

  Quoi ? J’assumais oui. Je pourrais lui mentir certes. Je pourrais lui faire croire qu’il n’y avait eu qu’elle. Mais la vérité c’était que quelques jours plus tôt je m’étais réconcilié de manière charnelle avec ma meilleure amie. Qu’il y avait eu aussi ce dérapage incontrôlable avec Lucky dans le jacuzzi du spa… Alors j’avais choisi de ne pas dissimuler cet aspect de ma personnalité, de ne pas la bercer de mensonges quant à mes nombreuses aventures, et ça, ça la repoussait encore plus dans ses retranchements. Bien sûr qu’il y avait des tas de filles, qu’il y en avait toujours eu, qu’il y en aurait toujours. Peut être que j’aurais du dire à Cléo que par contre, quand j’étais en couple, quand je me posais vraiment, quand je m’engageais, c’était autre chose. Que je n’étais plus ce mec volage, que j’étais quelqu’un sur qui on pouvait se fier, et que jamais, malgré le tumulte de mes histoires passées, jamais je n’avais trompé aucune de mes anciennes petites amies, malgré de nombreuses opportunités. J’aurais du lui dire ça, j’aurais du me faire rassurant. C’était surement cette tactique mieux que la provoc’ qui nous aurait apaisés, qui m’aurait permis de sauver les choses, de la faire rester peut être aussi… Là, elle s’énervait de plus belle, m’accusant d’être l’auteur de mes propres choix avec un agacement certain, se plantant devant moi pour m’assurer qu’elle, elle n’avait voulu que moi. Je voulais qu’elle me le prouve en restant. Chantage, marchandage, manipulation. Again and again. Technique que je maitrisais tellement mieux que la franchise ou l’aveu de sentiments…  C’est fini. Trois mots. Huit lettres. Et ça suffit à faire disparaître mon sourire sur le champ. Déglutissant avec difficultés, gardant la tête haute malgré l’immense gâchis qui était en train de s’opérer, je repris, voix dure, visage fermé, regard sombre : « Casse toi de mon bateau alors. »