« Lady Hamilton ! Le petit maître s'est encore blessé »
La nanny anglaise par excellence, une femme forte, en tablier blanc qui amène avec elle un petit garçon brun, regardant ses chaussures.
« Je vous remercie Nanny Campbell, je vais m'en occuper »
Le petit garçon s'approche et penaud me regarde comme si j'allais lui donner une punition. Au contraire, je le soulève de terre et l'assoit à mes côtés sur le divan. Alcibiade est un enfant turbulent. Dès qu'il peut, il court partout en tout sens. Je ne sais plus où donner de la tête. Mais je ne m'inquiète pas pour lui, c'est un garçon très intelligent. Il n'a que 7 ans et déjà, je perçois en lui une flamme pleine de malice. Parfois je me demande quel homme il sera ? Un médecin ? Un avocat ? Je lui prédit un bel avenir : de belles études à Eton, une femme aimante, de beaux enfants, une belle vie.
« Que s'est t-il passer ? »
Son pantalon est troué au niveau du genou. Je lui sourit pour le mettre en confiance mais il ne semble pas me voir. Il est absent. Cela lui arrive parfois et je dois avouer que cela m'inquiète un peu.
« Alcibiade ? Tu me réponds ? »
Alcibiade. L'idée venait de moi, passionnée par l'antiquité et le modèle athénien, j'avais étudié plus jeune la démocratie grecque. Dans ce schéma, un nom avait retenu mon attention, celui d'Alcibiade, car c'était un homme comblé. Il était à la fois, orateur et général, il était propriétaire foncier, issu de l'aristocratie, à la beautée enviée et à l'intelligence acerbe. Tout ce que je voulais pour mon fils. Mon aîné.
« Je courrais et je suis tombé »
« Pourquoi courrais-tu ? »
« Je ne sais plus »
Un caractère à lui, une personnalité déjà forte. En tant que mère, je devrais me méfier mais en réalité, je suis extrêmement tentée de pousser cet enfant dans ses ambitions. Ce n'est pas son père absent qui m'en empêchera en tout cas...

Il fait chaud dehors mais moi j'ai froid. Je suis perdue. Qu'ai-je fait ? Je ne sais plus où j'en suis. Des larmes coulent sur mes joues. Je suis assise dans le salon et c'est une catastrophe. Mon mari va rentrer d'une minute à l'autre et moi je suis au bord de l'enfer.
Voila 2 mois que je suis sortie avec Adele dans un bar. Au bout de quelques verres, elle est rentrée se coucher, elle était fatiguée. Mon mari était en voyage d'affaire à l'époque. J'allais rentrer mi aussi quand un homme est venu m'aborder. Pas le genre lourd qui vous saoule, mais le genre propre sur lui, beau, en costume et riche probablement. Je ne sais même plus ce qu'il m'a dit mais je me souviens d'avoir était captivée par ses yeux, ses gestes, son allure. Il était un vrai gentleman, il ne m'a pas forcé à boire, nous avons discuté, il a commandé une bouteille très chère, et nous avons dansé. Je pensais avoir la situation en main mais tout à dérapé à la sortie du bar quand sa main a trainer sur mes hanches. Il me regardait fixement, comme s'il attendait un refus pour savoir s'il pouvait continuer. Bête que je suis, je n'ai rien fait, le contact était doux et serein. Il s'est approché, nos corps se sont touchés et il m'a embrassé. Doucement, délicatement. J'aurais pu refuser, ou m'éloigner quand je le voulais mais je ne pouvais pas. Mon corps répondait au sien et j'étais prisonnière.
J'ai passé une des plus belles nuits de ma vie dans ses bras. J'ai encore des frissons quand j'y repense. Mais je ne dois plus y penser. Je ne l'ai jamais revu. Je ne le reverrai jamais. Ce qui se passe aujourd'hui et mon lot sur cette terre. Ce sera mon secret. A moi seule.
Dans une semaine, nous partons pour le Japon, je ne peux pas tout foutre en l'air.
J'entends la porte s'ouvrir. Les clefs tombent dans le vide poche. Les pas s'approche. Il est là. Il voit mes larmes. Il ne comprends pas. Ho mon dieu, qu'ai je fait mon amour....
« Chéri, je suis enceinte ! »

Je le hais ! Je le hais ! Mes idées se brouillent et je n'y vois pas clair mais je le hais. Lui et sa belle gueule ! Lui et son travail ! Lui et son dédain !
« Pour qui tu te prends ? Tu n'es rien qu'un pauvre entrepreneur qui se croit le maitre du monde ! »
Je le provoque. Je le provoque toujours quand je suis sous l'emprise de la drogue. Je le hais. Il continue de faire sa valise comme si je n'existait pas. Je déteste quand il fait ça !
« Et ta fille ? Tu y penses à ta fille ? »
Il me lance un regard noir. J'ai visé juste. En plein cœur. Il l'aime la gosse, je le sais. Je souris intérieurement. Jeune comme elle est, elle ne se souviendra pas de lui peut être mais lui, il portera sa marque toute sa vie. Je sais qu'il part pour de bon. Je veux le blesser avant qu'il parte. Je veux qu'il souffre.
« Tu es un père indigne ! Pauvre type ! »
« Arrête ! Tu sais très bien que rien n'est de sa faute. Je l’emmènerais si tu acceptais mais je le sais, tu ne me laisseras jamais en paix si je ne la laisse pas ici. Alors recule espèce de droguée, tu pus l'alcool à pleins nez. Je ne peux plus vivre avec toi... »
Il est blessé, il saigne. Mais il n'a pas de genou à terre. C'est un roc cet homme, je le sais, c'est pour cela que j'en suis tombée si éperdumment amoureuse. Il peut bouger des montagnes, il a la peau dur comme du fer, c'est un protecteur hors pair. Mais cette attitude, je la vomis aujourd'hui. Il se croit plus fort que moi parce que je suis affaiblie par la drogue et l'alcool mais en vrai, c'est lui qui est faible.
« Tu te crois si fort. Mais tu n'es rien. Tu souffriras, je lui dirais tout ce que tu as fait, elle te haira ! »
Il se fige. Il me regarde. Une flamme de haine brille dans ses yeux. Son envie de meurtre est palpable. Je m'en délecte. Je sais que ce sont nos dernières paroles et qu'il les portera toute sa vie. Adieu Albiciade et je te souhaite toute l'horreur du monde...

« Albiciade, mon vieil ami ! Je suis tellement ravi de te voir à New York ! L'affaire dont je t'ai parlé a été conclu. Nous allons avoir besoin de toi à Boston dans les mois qui viennent. Mais vient plutôt boire un verre et me raconter ton voyage ».
L'homme que j'ai devant moi à un peu plus que la trentaine et déjà, sur son visage, il semble porter de nombreuses années. La maturité. J'aime ça. En affaire, c'est primordial. Je sais que c'est un négociateur hors pair. Il est diplomate et ne cède pas à ses émotions, enfin s'il en a...
« Le voyage s'est bien passé ! J'ai hâte de me mettre au travail ! »
« Ha j'aime entendre ça ! Un de mes associés t'attends demain à la gare de Boston. Il te montrera le chantier. C'est un terrain magnifique, nous allons y faire un centre commercial moderne. Précisément ce dont la population a besoin »
C'est la clé de notre travail, toujours répondre au besoin. Savoir le créer si cela est nécessaire mais toujours penser au profit. C'est ce qui permet de réinvestir et ainsi de suite. Mais je n'ai pas de doute pour Albiciade. Ce job n'est qu'un pied à l'étrier. Il volera de ces propres ailes très bientôt...

Encore un dîner mondain. Depuis que le projet de tours de bureaux en pleins centre de Boston à trouver preneur, je suis officiellement le promoteur immobilier le plus rentable de l'état et cela m'ouvre des portes inattendues. Aujourd'hui au Museum of Fine Art pour un vernissage. Un artiste contemporain peint d'horribles toiles et le gotha de Boston est venu lui taper dans le dos. Je discute avec mon associé quand une vision m’apparaît. Une silhouette enroulée dans un drap de soie bleu nuit me tourne le dos. Une cascade de cheveux roux dévale ses épaules. L'une est visible et selble exquise. Son dos m'est découvert et les lignes sont si harmonieuses que mon regard y reste accroché. Elle se retourne, doucement. La soie glisse sur son corps. La courbe de ses hanche, celle de sa taille puis celle de ses seins m’apparaît. Soudain, je rencontre son regard. Je reste sous le charme, elle me sourit, je crois.
Puis en un instant, elle a disparue.
« Qui c'est la rousse en robe bleue près du buffet ? »
« C'est Erin Yates ! Elle est journaliste au Boston Globe, elle vient de recevoir le pullitzer pour avoir dévoiler l'affaire des lobby. »
Erin Yates. Journaliste au Boston Globe. Prix Pullitzer. Ca me revient, ce sourire je l'ai vu en une du  journal la semaine dernière. Erin Yates. Enchanté moi c'est Albiciade Hamilton...

« Alcibiade, tu as deux minutes ? J'ai des papiers à te faire signer pour le dossier d'adoption »
« Oui entre pas de soucis »
Voila plusieurs mois que je me charge d'un dossier particulier pour mon patron. D'ordinaire, c'est pour solder des litiges lors de ventes de propriétés mais là, c'est pour une adoption. Il a décidé d'adopter les deux enfants de sa seconde femme. Erin, je crois. Une femme bien, le peu que je l'ai vu, elle a l'air agréable. En tout cas, toute la boite s'accorde à dire que le patron est plus serein depuis qu'elle est là et que c'est du sérieux entre eux. Il est plus posé.
Je lui tends deux papiers et il les parcourt rapidement.
« Tu penses que ca peut passer devant le juge quand ? »
« D'ici un mois si on obtient les derniers certificats à temps »
« Un mois ca serait super ! »
Il me fait un sourire. Un truc qui n'arrive jamais en temps normal. Il n'est pas austère mais c'est un homme ténébreux, il est paraît froid au premier abord. Même par la suite d'ailleurs mais là, je sent qu'entre nous se tisse quelque chose. Je crois que je suis l'acteur d'un des plus grands moments de sa vie et ca me plait...

Il est assis en face de mon bureau. Ce n'est pas la première fois qu'il est là. Je le connaît bien, c'est un ami proche. Récemment, son cœur a pris un coup. Son rythme n'est plus régulier et je m'inquiète un peu. Je lui ai dit de lever le pied au travail mais en vrai c'est le reste qui le ronge.
« Ca va mieux, il faut que tu continues à y aller doucement. Tu ne peux plus faire le cabri comme si tu avais 20 ans »
« Je sais, mais c'est dur en ce moment. Alaska est retombé enceinte. Je ne sais plus quoi faire avec elle. Elle me rend dingue. »
« Tu dois mettre de l'ordre dans ta famille où ça va s'aggraver. C'est le stress quotidien qui affaiblie ton cœur. Il faut que tu prennes du recul. »
Dieu sait que c'est vrai. Ce pauvre homme a vécu quelques années de pure bonheur après l'adoption des enfants d'Erin mais depuis l'arrivée d'Alaska, il ne sort plus la tête de l'eau.
Ca va bien mieux que lorsque qu'elle lui faisait du chantage. Mais entre les accidents de voiture, la drogue et la fausse couche, son âme de père est mise à très rude épreuve. Cette gamine abîme en profondeur son père mais ni lui, ni elle ne semble en avoir conscience.
« Tu as parlé à Erin de tout ça ? »
« Vaguement, elle sait que je viens ici et ca l'inquiète. »
« C'est une femme bien, tu peux te reposer sur elle. »
« Je sais, mais ce n'est pas son fardeau, elle n'a pas à en souffrir »
« Je pense que c'est à elle d'en décider... »