Le recul, c’est ce qui l’aide à remettre son refus en question. Il aurait préféré qu’Amalthia prenne en considération ses mises en garde, qu’elle comprenne que lui seul sait c’que ça fait, et qu’elle ne peut pas s’imaginer l’afflux d’émotions qui s’abattra sur elle une fois à Londres, dans cette chambre. « Ca fait cinq ans Antwan. Je ne me fais plus aucun espoir tu sais. » Il acquiesce. N’en crois pas un mot. Elle le pense. Elle ne le pensera plus. N’ajoute rien, la laisse dans ses certitudes, et accepte sa venue chez lui. « Je viens » L’espoir qu’elle se remette en question qui s’envole. Cette détermination, Ama, ca fait ton charme, mais crois-le, il faut savoir la faire taire. Il soupire, essaye de ne pas regretter sa décision et demande son numéro, amusé de la situation. Bien des années qu’elle ne fait plus partie de ses contacts, ni même de ses « amis » facebook. Plus de nouvelles, plus de photos d’elle circulant sur son fil d’actualité. T’étais tout, t’es devenue le rien. Sort son téléphone, le pose sur la table et voit le message d’Ama s’afficher. « Parfait. » Affaire réglée. La demoiselle qui vient déposer sa main sur la sienne, ce qui le pousse à relever le regard vers elle, essayant de garder des traits plus ou moins amicaux. « J’m’attarderai pas là-bas, t’as pas à t’en faire » C’est pas le fait de s’y éterniser, c’est le fait de venir. Même à l’époque où nous nous tenions la main, la maison de Londres n’était pas le lieu que je voulais te faire visiter en premier. « J’vais juste voir Emily et je reviens ici » C’est le mieux, c’est c’qu’il accepte pas un énième acquiescement. « Juste, réfléchis bien avant de prendre cet avion. Dans tous les cas, je serai sur place, mais.. enfin fait comme tu veux. » J’espère ne pas te revoir dans les prochains jours. Que ta décision sera sage. On ne s’attarde pas à cette table, prenant gobelet et portable, pour retrouver l’air extérieur.

[…]

Bel été à Londres avec cette pluie. Mais la température est correcte, de quoi profiter d’un peu de fraicheur avant de se rendre sur les plages asiatiques. Il est là depuis plusieurs jours, a déposé ses affaires dans sa chambre d’adolescent et s'est mis a bouger dans tous les coins de la ville, retrouvant amis du lycée. Aujourd’hui, celle qu'il va retrouver est Amalthia. Il lui a envoyé l’adresse de sa maison, profitant qu’il n’y ait personne si ce n’est la femme de ménage. Message auquel elle lui a donné une heure d’arrivée. Un verre de sortie, rempli, vidé. Deux fois. Et ceci devant le large écran télévisé, comme si son attention pouvait se porter sur autre chose que l’arrivée de son ex dans sa maison. Ca sonne, il ouvre. « Bienvenue à Londres. » Large sourire, surfait. « Je pensais que tu prendrais la bonne décision. »

Selon moi, il y a une différence entre essayer de me décourager à venir et m'empêcher de venir. Depuis toutes ces années, Antwan m'a toujours empêché d'aller voir Emily et je l'ai toujours détesté pour prendre cette décision à ma place. Je ne suis pas bête, je me rends bien compte que c'est quelque chose de difficile, que ça risque de me faire beaucoup de mal mais je sais que j'en ai besoin pour tourner la page une bonne fois pour toute. Et s'il pense que je vais me défiler, il a carrément tord. « Juste, réfléchis bien avant de prendre cet avion. Dans tous les cas, je serai sur place, mais.. enfin fait comme tu veux. » On part chacun de notre côté et je n'ai pas besoin d'y réfléchir plus que ça, car je sais que je ne me défilerai pas. Depuis le temps que je lui demande de venir avec lui, je ne reculerai pas.

[…]

Le temps ici à Londres reflète bien mon état d'esprit. Je suis un peu stressée, j'ai peur bien sûr. Parce que même si je sais dans quel état elle est, la voir, ça sera différent. Mais j'ai hâte aussi. Hâte qu'elle puisse entendre ma voix, qu'elle ne pense pas que je l'ai oublié ou abandonné. Mes parents m'ont prêté un jet pour que je puisse rejoindre Londres assez rapidement et me voilà en Angleterre, prête à rejoindre Antwan qui doit encore se dire que j'ai fait une erreur en venant ici. Je sonne à la porte de la grande maison à laquelle l'adresse que m'a donné Antwan m'a mené. Je l'imaginais comme ça et ça me fait sourire alors que j'attends que mon ex m'ouvre la porte. « Bienvenue à Londres. » Je lui rends son sourire et je grimace un peu,«  Je ne sais pas comment on peut supporter autant de pluie. » Surtout quand on sait qu'il peut très souvent comme ça ici. Je suis habituée à la Californie et son temps chaud et humide. Je trouve déjà qu'il fait trop souvent froid à Boston alors ici, c'est encore pire. « Je pensais que tu prendrais la bonne décision  » Je me pince la lèvre et je m'avance pour le faire reculer afin que je puisse entrer dans la maison. Je ferme le parapluie et je le laisse dans l'entrée, frottant mes pieds contre le paillasson pour ne pas salir toute la maison. « Et je sais que tu me connaissais mieux que ça », que je réponds en ouvrant mon manteau trempée pour l'accrocher au porte manteaux comme si j'étais chez moi. Je me tourne vers lui en frottant mes mains afin de me réchauffer et je regarde autour de moi. « J'imaginais exactement cette maison comme ça quand tu me l'as décrivais. » Je lui souris tendrement, histoire qu'il se détende un peu.

Elle avait dit qu’elle viendrait et lui s’est mis sur son canapé en attendant qu’elle s’exécute. Dieu seul sait à quel point il a voulu s’emparer de son téléphone, trouver une excuse, prendre sa voiture et se barrer à des kilomètres de Londres. Antwan est là, se tient devant l’invitée, ne s’arrête pas avec ses remarques concernant l’attitude de la demoiselle. Si Amalthia a fait le chemin jusqu’ici alors sa décision ne changera plus. « Et je sais que tu me connaissais mieux que ça » Ce n’est même pas une surprise de la voir ici. Il ne suffisait que d’un effort de l'homme pour qu'elle rentre dans cette maison. Antwan était la dernière barrière. « J’ai jamais su si ta détermination était une qualité ou un défaut. » Tétue. C’est ce qu’elle était et reste encore aujourd’hui. Elle retire sa veste, la dépose à l’endroit adéquat, ce qui fait sourire Wayans. Pas besoin de jouer les hôtes attentionnés. Après tout, ce masque de l’eliot parfait a fini par disparaitre avec elle. Ce n’est plus nécessaire de le remettre en sa compagnie. « J'imaginais exactement cette maison comme ça quand tu me l'as décrivais. » Il jette un bref regard autour de lui, comme s’il ne connaissait pas bien les murs, l’emplacement de chaque meuble ou objet. « Un véritable havre de paix. » tout en balayant la pièce principale d’un geste de bras. L’ironie dans la voix. Même s’il n’était pas le genre de mec a parler constamment de sa famille, elle sait que rien n’a jamais été facile ici. Du petit frère drogué à l’oncle intolérant. « A l’époque, je ne pensais pas t’inviter ici dans de telles circonstances. » Les rares demoiselles qui sont venues dans cette maison sont les filles d’associés de l’oncle. « Est-ce que tu veux boire quelque chose ? » Un minimum de convivialité.

Je pense que c'est une de ces choses qui ont fait que le courant a tout de suite bien passé entre Antwan et moi. On vient tous les deux du même milieu social, ce qui nous a permis lui comme moi de ne pas avoir à porter un masque quand on est ensemble. On laisse le "nous" riche qui doit être parfait lors des soirées mondaines au placard et on peut être entièrement nous même. Si les gens pensent que les gens riches sont hautains et froids de nature, ils ont tord. On doit tous porter ce masque, parce que c'est comme ça les conventions sociales de notre milieu. « J’ai jamais su si ta détermination était une qualité ou un défaut. » Un sourire se dessine sur mes lèvres et j'hausse les épaules. « J'ai toujours pas trouvé la réponse à cette question. » Parce que si parfois c'est bien d'être aussi têtue que moi, je sais que ça a aussi ses inconvénients dans la vie de tous les jours et ça n'est pas toujours perçu comme une bonne chose. Mais ce trait de caractère, je le dois à ma mère qui m'a toujours apprise à me battre pour ce que je veux et à ne jamais rien laisser au hasard. Je regarde autour de moi la maison : si Antwan ne m'en a pas souvent parlé, les seules fois où il l'a fait, je l'imaginais exactement comme ça. Le bruit de la pluie Londonienne claquant contre les vitres de cette grande maison typiquement Anglaise.  « Un véritable havre de paix. » Je sais que c'est ironique et ça m'arrache un sourire alors que je croise les bras au niveau de ma poitrine, « A l’époque, je ne pensais pas t’inviter ici dans de telles circonstances. » Je me pince la lèvre, même plusieurs années après, je reste nostalgique de cette époque. Celle pendant laquelle on était heureux lui et moi, où Emily était là aussi. Il me tire de mes rêveries en me demandant, « Est-ce que tu veux boire quelque chose ? » Et je réponds par un hochement de tête, suivit d'un « Un verre d'eau s'il te plait. » Je le suis jusqu'à la cuisine, curieuse de voir chaque pièce de cette magnifique maison et je l'observe me servir mon verre d'eau avant de demander. J'peux te poser une question ? Une question qui n'est pas forcément agréable à entendre, une question à laquelle il n'aimera pas répondre, mais j'aimerais avoir son avis là-dessus. « Qu'est-ce que tu penses du fait qu'ils la gardent ici..? » La garder "vivante". Vivante entre guillemets parce qu'on sait tous qu'elle respire grâce à cette machine mais que plus rien ne se passe ailleurs. J'attrape mon verre d'eau et je trempe mes lèvres pour boire une petite gorgée afin de me rafraichir la gorge.

« J'ai toujours pas trouvé la réponse à cette question. » Tout dépend du contexte, il dirait. Amalthia n’a jamais eu le don pour choisir les meilleures situations pour montrer à tous sa ténacité. Des exemples, il en a plus plusieurs lors de leur courte idylle. Ca faisait le charme de la belle. Ca lui donnait encore plus d’importance. Aujourd’hui encore, qu’il le veuille ou non, elle reprend une place dans sa tête en venant arpenter le sol de sa maison. En venant dans sa ville. En retournant dans le passé, et par ce fait, l’y obliger également. Se plonger dans des souvenirs qui n’étaient pas si mauvais que ça. « J'peux te poser une question ? » Hausse les épaules en signe d’approbation. « Qu'est-ce que tu penses du fait qu'ils la gardent ici..? » Tout d’abord choqué que son oncle la laisse en vie, dans un hopital puis dans la maison, c’est essayer de ne plus aller la voir qui a entravé ses certitudes. Antwan a perdu ses arguments contre la machine. Au contraire. Lui va dans la chambre et lui parle comme si elle était en vie. Dans un coma duquel on pourrait la sortir. Entretenir la part d’espoir du cousin qui s’en veut de ne pas avoir pu la sauver. « C’est humain. » qu’il repond en tendant le verre rempli d’eau à Skoll. « L’espoir c’est l’une des pires choses qui puisse exister. » Un fin sourire sur les lèvres. « Il faudrait la débrancher. » Ce qu’il a voulu faire plusieurs fois. Il a cette possibilité. Appuyer sur un bouton et c’est terminé. Il n'a jamais eu ce coup de speed qui lui a permis de le faire. « Faut croire que tout le monde en est incapable. » Faire le deuil à nouveau. Devoir organiser des funérailles. La voir descendre sous terre. « Faut que tu montes les escaliers. C’est la dernière chambre à droite. » Regarde la demoiselle, gardant son verre dans la main. « Tu veux y aller seule ? »