Dérangé de la plus agréable façon qu'il soit, je juge de sa tentative finement menée sans même broncher...

Il est 22h00 et nous sommes au cœur de Boston, dans un petit lounge bar à la fréquentation plus que douteuse mais ce ne sont pas tant les regards livides qui pourraient m'incommoder, mais le gérant et ses contacts plutôt haut placés. C'est un comptoir de dépôt qui garde quelques nuits de l'année les recettes des gros bonnets contre l'assurance d'une protection. Impossible de prédire à l'avance de la date où ils seront requis mais ce soir, nous avons tous été disséminés dans les troquets de la ville. Ce sera au premier qui apercevra une enveloppe bien garnie passée de main en main discrètement, un furtif blanchiment d'argent effectué derrière cette façade lavée de tout soupçon.

Elle est là depuis quelques minutes à me travailler, jouant l'hérésie de ses doigts sur sa pochette  satinée avant de se décider à attaquer. Elle a eu la délicatesse de commander et c'était plutôt bien joué mais le geste qui a suivi n'en était pas moins légèrement prématuré. Plutôt tactile et peu farouche, la blonde a déposé ses phalanges sur mon avant bras, effleurant mon derme sur lequel elle se fait inlassablement les ongles, une affection qu'une autre partie de mon anatomie trouverait plaisir à subir. Mais voilà, le seul problème est que je ne suis pas là pour çà et qu'elle ne saura faire prolonger le jeu puisqu'elle est de ces femmes qui ne trouvent satisfaction que dans le vice. J'en veux pour preuve cette alliance qu'elle n'a même pas pris la peine de cacher, le son du métal précieux tintant contre son verre faute de son impatience à vouloir se faire troncher.

J'en ai décliné l'invitation, poliment pour changer mais surtout afin de ne pas attirer l'attention. Néanmoins, son départ sera regretté parce qu'il est vrai que depuis mi-décembre je n'ai plus ressenti les courbes d'une femme sous mes doigts. Un bref regard par dessus mon épaule et mes yeux détaillent une dernière fois la silhouette élancée que j'aurais pu sans peine se faire cambrer. Dommage, je trouverais réconfort dans le verre qu'elle m'a payé. Les secondes s'écoulent et bientôt son absence est comblée par la présence d'une autre qui martèle le bois imbibé du comptoir, ce qui attire forcément mon regard... « Pris en flag. » A la place de la succube de mes envies se trouve une enquiquineuse qui devrait depuis bien longtemps être au lit. Indigné, j'en braque la tête de l'autre coté, élevant nerveusement les yeux jusqu'au plafond et soufflant sèchement mon exaspération. Ne me dites pas qu'elle a eu vent de cette opération par je ne sais quel moyen... " Qu'est-ce que tu fous là, t'es pas encore couchée... " Avant d'ajouter sournoisement, railleur, le fond de ma pensée: " Personne pour te border? "

" Tu fais pitié tout seul au bar." Elle a osé n'est-ce pas, ou j'ai mal saisi la portée de ses paroles... Entre mes doigts danse le gin sur les parois, agité tout comme le sont mes pensées à cet instant. Si je me retrouve seul ici, ce n'est pas forcément de mon seul fait mais un ordre venu d'une instance supérieure. Le mail était d'ailleurs on ne peut plus explicite quant à la manoeuvre et une fois les consignes données à toute l'équipe, il avait fallu se dispatcher les lieux visés. Alors puisque nous ne sommes assez question effectif - il faudrait d'ailleurs un jour penser à recruter - nous avons dû nous séparer, multipliant ainsi d'avantage les risques encourus par chacun. " Dit celle qui est venue.... visiblement bien accompagnée." D'un coup d'œil cette possible escorte est détaillée mais rien ne saurait retarder mon attention puisqu'elle est tout aussi seule que je ne le suis, là, accoudé à ce bar à broyer du noir. " En plus t'as fait foirer mon contrat de la soirée. J'aurai pu avoir la preuve de son adultère, à la blonde et rentrer tranquille finir ma paperasse. " Un regard de travers et mes yeux roulent de nouveau sur mon verre. " Tu m'en vois sincèrement.... désolé. " Sarcasme... Franchement, c'est vrai, j'aurais pu la sauter et me servir de mes talents pour la faire chanter mais j'ai bien d'autres chats à fouetter et c'est un service que je ne suis pas prêt à te rendre si gracieusement. " T'aurai pu faire un effort. Ça ne t'effrayait pas avant une femme mariée." Ok, le message est passé. Elle fait certainement allusion à sa mère que j'ai su faire aussi crier il y a de çà déjà des années. Mais c'est Alysse à présent que je juge de la tête aux pieds parce qu'il est difficile de croire qu'une femme comme Susan Frank a su engendrer une telle bombe de venin concentré.

" Une chance que tu ais refusé j'aurai due photographier ton cul." Faudrait savoir si t'es heureuse ou pas d'y avoir échappée... Pour en revenir au sujet qu'elle a évoqué, j'en suis quelques secondes songeur. " Hmm" L'idée n'est pas pour me déplaire bien que de dos, certes, je sois facilement reconnaissable au seul tatouage qui me prend l'omoplate. " Si ce n'est que çà, tu me l'donnes ton appareil et je ferais moi-même un gros plan de son... infidélité. " C'est un thème dans lequel j'excelle d'après les dires de certaines et ce sera un tout autre membre dont tu pourras t'offusquer.

Les minutes s'égrainent à mon montre, toujours pas de passe et je suis déjà las de cette soirée bien qu'il me faille rester. C'est sans rajouter ce squattage inopiné qui va certainement m'horripiler. D'une paume fermement appliquée sur mon visage je me malaxe les traits de long en large histoire de me réveiller tout en déplorant cette triste constatation: " Dieu que ça va être long."

« Moi aussi je suis contente de te voir. Maintenant que les politesses d’usage sont échangées, on passe au vif du sujet. » Le fin de sa phrase amorce un regain d'intérêt bien que je doute qu'elle ait quelque chose de vraiment divertissant à me proposer. Pas Alysse Frank voyons... Mais là encore, mes craintes concernant l'opération en cours ne font que s'accentuer au fil des secondes que mes doigts marquent sur la cire du comptoir dans un martèlement permanent. Que Dieu m'épargne cette corvée... Elle avorte néanmoins mes doutes lorsque le son de sa voix effleure de nouveau ses lèvres.  « Comment ça a été après, à l’arbre de noël. Je crois que j’ai un peu gaffé… » Pardon ? « En même temps, une petite culotte quoi… » Mais attends là, je ne t'ai jamais dit de la lui donner après, c'était pas très fairplay de ta part que de lui montrer. Ni très intelligent non plus d'ailleurs... Pour quelqu'un qui se vante d'être pragmatique, tu repasseras, du moins en ce qui concerne le domaine de l'affectueux. " Ça t'dépasse..."

Mais qu'est-ce qu'elle y connait vraiment, trop aigrie pour s'adonner à ce genre de sentiment. D'un regard foutrement moqueur après m'être rafraichi une dernière fois le gosier, je dénote une à une les femmes présentes dans la salle et m'attarde plus particulièrement sur l'une d'entre elles.  Seule aussi mais dont les attentes sont clairement posées, vêtue d'un ailleurs qui fait voyager aux frontières du décent. Mon regard sur elle ne lui aura pas échappé et ce n'est qu'après quelques secondes à se dévisager qu'elle amorce le début de notre dialogue distancé et muet. M'inclinant vers la petite brune effarouchée, je la lui fais remarquer en lui murmurant l'image que j'en ai. " Regarde la. Elle vibre. Elle est plus fragile qu’elle ne veut le faire paraitre face aux émotions que je pourrais faire naitre. " Désorientée par la possibilité d'une histoire aussi violente qu’éphémère, à se délecter des plaisirs de la vie sans contrariétés, l'arrachant à la routine et à l'ennui qu'elle doit chaque jour que Dieu fait endurer. " Mariée ou en couple ? Quelle importance, elle ne souhaite qu'un tête à cuisses dénué de toute intellectualité, un lubrique caprice qu'elle veut dans les revers de ses chairs pour une soirée." En d'autres termes: se faire sauter. D'un battement de cils elle m'épelle le mot "fantaisie" et le réinvente, de ses ongles dévoile l'échancrure de son corsage en soie, laissant apparaitre un décolleté aux attraits mutins. " Alors si t'avais vraiment merdé ce soir là, crois-moi, je serais déjà ailleurs."

« Et puis… tu ne lui as même pas parlé qu’elle est déjà prête à te montrer ses seins. Qu’est-ce que tu… » Qu'est-ce que je lui ai fait pour obtenir d'elle de telles faveurs? Rien, absolument rien, ma présence suffit à elle seule pour l'interpeller sans un mot prononcé, parce qu'elle n'est venue que dans ce but précis, cherchant la flatterie de mâles intentions pour la nuit.

Mais la détective ne comprend toujours pas, dépassée par une telle gestuelle féminine que seul un homme peut interpréter. J'en veux pour preuve ses deux paumes qu'elle me dévoile à défaut de pouvoir faire la lumière sur ce mystère qu'est le jeu de la séduction. « Qu’est-ce qu’elle t’a fait pour que tu la regardes, elle ? Pourquoi pas… l’autre là ? » Parce que c'était une femme, un vraie, de celles qui ouvrent d'un regard langoureux une parenthèse sans jamais la refermer, prête à m'offrir la musicalité de sa féminité et me jouer de grands airs teintés du rouge fusion de ses lèvres pincées.

Un sensuel que je ne retrouve chez celle qu'Alysse me prédestine, son dévolu s'étant porté sur l'une des silhouettes qui reposent non loin dans le confort traditionnel de l'une des nombreuses banquettes. La réponse est simple: parce qu'elle n'a rien d'excitant. C'est une femme-enfant, de ces jeunes demoiselles ayant perdu leur virginité dans l'urgence et qui ne s'assument pleinement, mais qui le voudraient cependant au point de se farder, gâchant leur naturelle beauté. Un manque flagrant d'expérience. La tête baissée, appuyée sur son bras, elle simule une lecture approfondie de ce que l'écran de son portable lui renvoie, un sourire béat pendu de temps en temps à ses lèvres en guise de satisfaction. " Un fruit qui manque de maturité ". Elle ne serait que d'une distraction de bas de gamme comparé à tout ce que j'ai pu connaitre. Quant à celle avec qui elle est venue se perdre dans cette endroit de débauche et de plaisirs confondus, plus discrète, le regard camouflé derrière des lunettes, grande brune élancée à la coiffure courte et aux traits anguleux, un piercing à la commissure de ses lèvres moirées d'un gloss que je devine sucré, elle pianote également mais de façon plus posée. Elle serait sans doute d'une meilleure compagnie au lit mais mon étude se clôturera ici, comprenant qu'elle m'a repéré lorsqu'elle m'affiche un regard aussi sombre que ne l'est le ricil dont elle l'a tatoué. Elle croise, décroise ses jambes, offre le supplice d'une vue plongeante sous sa jupe avant d'en rire et de se repositionner.

Les deux échangent quelques mots afin de justifier de ce soudain élan d'hilarité et je me retourne alors, résigné d'emblée par le geste insidieux que je viens d'observer: cette main qu'elle vient de glisser sur la cuisse de sa complice et marqué d'une totale sincérité. Alysse... La seule question qui s'insinue dans mon esprit pour l'heure, la main portée sur le verre que je m'apprête à vider, c'est comment toi tu as pu, sur toutes les femmes présentes ici, poser ton dévolu sur ces deux là?  " T'aurais plus de chance que moi. " Gouines à ne pas s'y tromper.  

" Un fruit, hum? Ca veut dire qu'en te regardant je pourrais te juger en tant que légume? Le poireau me paraît approprié. " Une remarque amusante mais pas vraiment dénuée de sens quoique tout compte fait, je préférerais rester dans la gamme des fruits.

Ce n'est qu'une fois ma remarque faite sur les gestes implicites des deux sauvageonnes dans notre dos qu'elle réagit sans pour autant s'insurger. Merde je l'ai presque traitée de gouine et elle ne semble pas vraiment vouloir se rebiffer. " On se complique quand même bien la vie avec ton truc..." Je n'y peux rien, ce n'est pas moi qui ai écrit ces quelques codes et subtilités. Je n'ai fait qu'apprendre sur le tas, à mes dépends, pour décrypter les gestes annonciateurs de dérive. " De toute façon, j'ai personne à draguer" C'est sûr qu'avec un tel caractère, ils ne doivent pas se bousculer à ta porte..." pis même si je voulais... j'espère bien ne pas ressembler à ça. Fruit mûr ou pas, je préfère avoir un goût pimenté que sucré... Je ne ressemble pas à ça? Hein?" Pour le moment il est évident que Mademoiselle Franck reste un mystère pour bon nombre de ses collègues masculins, moi compris d'ailleurs. " Ressembler à çà, peut-être pas. " Parce que je me l'imagine déjà deux décennies plus tard, femme d'affaires respectable mais sans aucun port d'attache si ce n'est un petit loft au tout dernier étage d'un building, compilant les nombreuses info qu'elle aura trouvées, installée tranquillement devant une large baie vitrée à s'imaginer ce qu'aurait pu être sa vie si tant est qu'un homme y soit rentré. La vision n'est pas sans me ravir un sourire que je tends à faire disparaitre au fond du verre que je tiens, entre mes doigts, nectar doux et délicat à la robe ambrée qui trouve refuge une seconde fois dans mon gosier. "Je ne pensais pas qu'elle serait ton genre de femmes en faite. Je te voyais vivre plus dangereusement." Laquelle? La femme mariée ou celle que tu m'as par défis présentée? Toutes deux sont l'occasion de gouter à la clandestinité, l'une sollicitant plus d'efforts que l'autre. Le verre n'est pas encore terminé qu'il se détache de mes lèvres pour soudoyer mon regard de ses reflets moirés. " Je suis las de ce genre de relations " après avoir couché plus d'un an avec une mondaine de noble réputation et destinée à un autre. Ces aventures n'ont que peu d'intérêt, temporaires, pour le plaisir de me satisfaire sur l'horizon de leur sensualité. Mais comment Franck pourrait-elle le concevoir puisqu'elle n'a d'après ses dires personne à qui plaire, ce que j'ai quand même du mal à croire.

Alors accusant les vapeurs sur un palet bien sec à présent, je pivote vers elle légèrement afin d'éclaircir quelques points sombres de sa vie affectueuse. " Personne... C'est parce que tu ne le veux pas. " Quand on cherche, on trouve toujours même si la qualité n'y est pas. Ce n'est, à mes yeux, qu'un problème qu'elle ne veut résoudre par crainte de se voir plongée dans une histoire qu'elle ne contrôlera pas. " Des complexes peut-être? " Pourtant à la voir, il n'y a pas lieu d'en avoir. Peut-être pas la plus élégante ni la plus raffinée mais Alysse pourrait et j'en suis sur en faire grimper plus d'un. Vient alors cette idée saugrenue qui bourgeonne jusqu'à se manifester dans un murmure amusé: " Ne me dit pas que tu..."Vierge. Et petit à petit cette notion étrange de chasteté à son sujet explique bien des choses, illuminant mon visage sous des traits moqueurs pour éclater à gorge déployée. " Tu l'es! " C'est la meilleure de la soirée, Alysse Franck pure sous presque toutes ses coutures.