Plom plom plom. Assise tranquillement à l'une des tables du Luna Caffe, je dessinais en silence, totalement concentrée, sur l'une des pages de mon épais bloc à esquisse. Un crayon de couleur spécial dans une main et mon boisson froide à la vanille dans l'autre, je bougeais mon poignet d'un geste précis et élégant, épousant les formes de mon croquis. Sur ma feuille, l'on pouvait apercevoir un modèle assez détaillé d'une tenue d'hiver sur un mannequin sans visage, totalement personnalisé à ma sauce. Yep... C'était mon travail bimensuel pour mon cours de Design de mode cette fois-ci. Le thème ? Une tenue hivernale remixée à notre sauce. Du coup, moi, j'étais partie sur un oufit totalement inspiré par les vêtements traditionnels russes et y avait ajouté ma touche personnelle spéciale loufoquitude... Genre, l'Alien style, tout en restant dans des tons bleu glace, blanc et noire. Pour le coup... j'étais assez fière de moi et il me tardait déjà de le coudre et de le rendre vivant. Même si j'avais eu un peu de mal au début vu que je m'inspirais d'un pays dont je ne connaissais pas trop l'univers vestimentaire, finalement j'étais... genre plus que satisfaite du résultat.

Toute contente, un sourire apparut sur mon visage et je bus une nouvelle gorgée de mon milkshake vanille. Aussitôt, mon portable dans mon sac se mit à sonner faiblement, me prévenant d'une notification ou d'un message... Je savais pas trop franchement qui pouvait vouloir me joindre actuellement. Happy-chou peut-être ? ... Bref, je me baisse un peu vers mon sac au sol pour prendre mon cellulaire mais au même instant, un mouvement violent secoua la chaise à côté de moi, suivit d'un son étouffé. Surprise et ayant peur de ce que j'allais découvrir malgré moi, je relevai la tête et découvris avec horreur le tableau... si je pouvais dire ça comme ça. Omg. OMG. Mon croquis. Mon dessin. Noyé. Com-plè-te-ment noyé sous une montagne de bouffe. Non. NON. NOOOON ! Bouche bée, j'enlevais toute cette merde de salade de fromage et j'en passais de mon projet... que je devais accessoirement rendre la semaine prochaine. Mais malheureusement, y'avait plus rien à sauver... Il était tâché de sauce, de mélasse, de salade... Foutu. POURRI. Tout était à refaire. Fais chier... putain...

Plutôt sensible quand il s'agissait de mes créations, je sentis des larmes me monter aux yeux, qui s'embuèrent très vite. En colère, j'observais le type qui m'avait fait ça. Un débile qui savait pas marcher droit. Un idiot qui me mettait dans l'embarras. Ne sachant pas trop comment m'exprimer, je lui hurle dessus dans mon anglais imprégner de mon accent chinois, de ma voix d’ordinaire si fluette.

« NOOOOOON, MON DESSIIIIIIIN ! JE BOSSAIS DESSUS DEPUIS DES JOURS, NOOOOOOON ! T'AS TOUT FOUTU PAR TERRE ! T'AS TOUT GÂCHER ESPÈCE DE CANCRELAT !!! »

Toute ma frustration déversée, je l'observai et le maudissait en silence, toujours les larmes aux yeux. Alors là, il avait INTÉRÊT à bien se racheter. Mais bon déjà... je lui avais bien foutu la honte l"incriminant devant tout le monde... !

« La chaise... la chaise ! C'pas la faute de la chaise c'est la tienne Monsieur-J'ai-Un-Sandwich-Mais-Je-Marche-Comme-Un-Pingouin-Manchot... ! Grrr... J'te préviens, tu vas devoir trouver un moyen pour te racheter ! Cette oeuvre, je bossais dessus depuis des jours... Tellement de travail... Alors, tu vas faire, quoi, hein ? J'attends ! »

Pour me calmer un peu, j'inspirai profondément et tentai de reprendre mon calme. Dans la foulé, j'avais même pas remarqué que je m'étais levée de ma chaise. D'un air las, comme si j'avais plus d'énergie, je me relaissai tomber dessus avec de cacher mon visage avec mes mains et de pleurnicher comme la gamine que j'étais. Super. Chouette mercredi. Horoscope de merde qui m'avait menti le matin.

Mes larmes aussitôt séchées, je retentais en vain de sauver ce qu'il restait de mon dessin avec des gestes pas vraiment convaincus. Non, y'avait vraiment plus rien à faire là et je pouvais même pas essayer de parader pour le remettre au goût du jour. Fichu de chez fichu..., j'allais être obligé de recommencer mon travail. Franchement... Heureusement que j'aimais dessiner, hein ! Sinon, ça aurait été la corvée du siècle, là ! M'enfin : je suppose que c'est le genre de pépin que rencontrera toujours un artiste dans sa vie et durant sa carrière. Ces petits accidents de la vie qui s'imposent comme des freins d'une voiture à réparer. Raaaah... j'aime teeeeeellement ma vie parfois. Bouh... quelle merde ça. Vraiment agaçant.

« Pardon... ? Qu'est-ce tu viens de dire là... ? »

Je levai de nouveau les yeux vers l'homme inconnu lorsque j'entendis ses paroles. Non mais une minute. UNE MINUTE ! Il était sérieux là ? Il comptait ne rien faire ? Bon okay : pour ma part, je reconnaissais que ma phénoménale esclandre avait été un petit peu trop... excessive. Mais là... ce regard de je m'en foutiste qu'il avait, ce dédain, cette façon de me prendre de haut... et même pas une simple petite excuse pour se rattraper et apaiser ma colère et ma détresse ! Sans rire, ce genre de personnes qui n'assumaient rien et se prenaient pour plus grands ne l'étaient me tapait sur les nerfs. Et lui, ça ne lui faisait ni chaud ni froid, comme si c'était normal. Pff pov' type. Je vais pas m'arrêter là, crois-moi. Je suis bien connue pour avoir le don de faire chier mon monde quand j'y mettais du cœur. J'vais le faire comprendre un peu à celui-là qu'il ferait mieux de descendre de sa tour d'ivoire genre immédiatement.

« Dis donc, toi. T'as été élevé où et surtout par qui ? Quand on est responsable de ce genre d'accident, la moindre des choses, c'est de s'excuser. La politeeeeesse, quoi. Tu sais ce que c'est ? »

Mon ton était très contrôlé et calme, pour le moment. Le regard sérieux et prête à en découdre, j'attendais ses explications. Voyons voir ce qu'il va me sortir. Bon sang, on dirait beaucoup de ces Eliots du campus qui se prenaient pour Dieu, Jésus ou la Sainte Vierge. Mais dommage, moi, je suis bouddhiste et ça prend pas avec moi ces conneries.

Bah là... Je crois que ce n'est même plus la peine. Inutile de gaspiller mon oxygène et mon temps pour tenter de faire en sorte que ce gars répare son dommage. C'était pas croyable... On aurait dit un de ces Eliots complètement péteux, snobinard et surtout vaniteux de l'université... ceux qui se prenaient limite pour Dieu. Toujours aussi frustrée et en colère, je fulminai intérieurement jusqu'à ce qu'il me sorte cette phrase sur ses parents. Là, sans me retenir je lâchai un bruyant soupir avant de m'exclamer :

« Oh non...! Dites-moi que je suis pas tombée sur un foutu gosse de riche qui se sent obligé de se comporter comme un rustre irrespectueux et snob juste parce que "maman" et "papa" étaient pareils ! »

Ce genre de personnes me tapait vraiment sur les nerfs. Okay, certains avaient des obligations familiales. Mais est-ce que ça voulait également dire traiter les autres comme des moins que rien ?! Huh je crois pas, non. Donc, le coup du plein aux as qui joue le merdeux parce que papa et maman ont foirer son éducation, stop. Juste stop, quoi. Ah bah tiens, voilà qu'il commençait à me donner des ordres c'ui-là maintenant. Pff, pauvre type. Tu vas voir si je vais me taire. Tu vas repartir d'ici avec un beau souvenir de ma création.  

« Héééé. Je vais te donner un conseil : tu ferais mieux d’atterrir tout de suite mon vieux et d'arrêter de te prendre pour le Roi. Ça pourrait te coûter cher à l'avenir. Franchement, je plains tes proches et ta famille. Quelle honte j'aurais à leur place. Et visiblement, tes parents ne t'ont pas assez donner de claques pour t'apprendre le respect. Oh, et puisque tu n'as pas l'intention d'au moins t'excuser... et bah tiens !  »

D'un geste rapide, je m'emparai de mon milk-shake non-terminée et lui balançai à la figure. Le liquide vanillé coula alors sur tout le reste de son corps, saccageant ses "supers" vêtements au passage et faisant d'énorme tâches dégoûtantes. Voilà ma juste rétribution, imbécile.

« Maintenant on est quitte. Et tout comme tu m'as conseillé de reprendre mon travail, moi je te conseille de filer au pressing si tu veux sauver ce qu'il reste de ta tenue en passant par la case "maison de correction". Allez ciao. »

D'un air ravi, je rangeais mes affaires dans mon sac mais attendit quand même de voir ce qu'il allait me répondre.