Ploc, ploc, ploc. Et tu es là, le cœur serré, la gorge en feu. Et tu es là, l’observant du coin de l’œil, alors que sa main dépasse de cette immense baignoire blanche. L’eau a la couleur du sang, le carrelage arbore une tache rouge qui s’étend doucement, mais sûrement vers tes pieds. Et toi, tu es là, gisant sur le sol, te tenant les genoux d’un air apeuré, perdu. Tu l’attends lui, parce que tu ne sais pas quoi faire d’autre. Tu n’as que quatorze ans, pourtant, ton univers semble s’être écroulé en quelques secondes. Ploc, ploc, ploc. Tu comptes les secondes qui s’écoulent, tu te demandes pourquoi. Oui, pourquoi avoir fait ça ? N’était-elle pas heureuse ? Elle qui arborait sans cesse un sourire tendre sur son visage, elle qui venait te bercer le soir, t’embrassant amoureusement sur ton front enfantin. Ton regard se rive sur les quelques gouttes qui quittent son corps, ne laissant qu’un bruit sourd, qu’une mélodie que tu n’oublieras jamais. Tu la vois cette lettre posée près de l’évier, tu sais qu’elle est là, mais tu ne veux pas la lire. Elle n’a pas d’excuse, elle n’a pas de raison valable pour te faire ça. Comment vas-tu vivre sans elle ? Elle qui était ton centre, elle qui était ton tout. Tremblant, tu ramènes tes jambes contre toi, alors que le liquide rougeâtre te rattrape, menaçant de toucher tes chaussures. Click,click,clik. Le verrou semble s’agiter à l’entrer, mais toi, tu ne bouges pas, tu es incapable de faire le moindre geste. « Jerekiel ? » Prénom qui sonne, qui gronde, alors qu’enfin, il daigne rentrer. Il t’appelle à plusieurs reprises, mais toi, tu restes muet. Et là, ses pieds foulent enfin la pièce alors qu’un grand « Oh mon dieu, Béatrice ! » Retenti, se répercute contre les murs de la salle de bains. « Jerekiel, appel une ambulance ! » Il parle à un mur, tu ne l’entends pas. Tu cherches une raison pour cette fatalité, tu cherches une cohérence dans ce qui se propage devant tes yeux. Vous étiez heureux…c’est ce que tu croyais du moins. Pas de soucis d’argents, une grande maison à Paris, tes parents étaient tous les deux dans la médecine. Alors, tu cherches le point sombre, tu cherches le sens caché de cette douleur. Il crie, tu laisses ta tête reposer sur le mur. Il finit par abandonner, par se déplacer pour lui-même faire ce qu’il t’avait demandé. Ploc,ploc,ploc. « Maman…Réveille-toi. » Murmure, prière qui jamais ne sera réalisé.


Tic,tac,tic,tac. Assis sur les marches de l’escalier, tu l’observes, tu le dévores des yeux alors qu’il est là, allongé sur ce canapé, inconscient. Une fois de plus, l’alcool a eu raison de lui, ne lui laissant que sa bave comme ami. De plus en plus, il s’enfonce dans ce liquide divin et grisant, comportement qu’il t’inculque, qu’il te transmet. Ton regard glisse sur l’horloge qui annonce dix-neuf heures trente…c’est son heure, bien qu’en général, il tarde plus à s’effondrer. Tes jambes se déplient, tes pieds se mettent en mouvement et tu approches. Prédateur devant sa proie, fauve devant une biche inoffensive, blessée. Ta main se lève et se dépose délicatement sur son front. La vie, depuis son départ, tu ne l’as plus jamais vue comme avant. Innocence envolée, de nombreux psychologues avaient tenté de déchiffrer les méandres de ton esprit. Tu t’enfermes dans ta bulle, dans ton univers. Vos chemins se séparent avec le temps, avec les années, pourtant, tu es encore là, à veiller sur son corps meurtri par la peine. Bzzzz, bzzzzz, bzzzzz. Portable qui vibre sur cette table en verre posée non loin de lui. Il grogne, il gigote et tu prends doucement la bouteille de ses mains. Le portable, tu le coupes, tu le sais incapable d’aller travailler, de répondre sereinement à un quelconque appel. Et tu remontes te poser sur ces marches, posant tes lèvres sur le bord de cette alcool vicieux qui finira également par t’emporter. Une gorgée, puis une autre. Tu as l’âme meurtrie, tu as le cœur émietté. Tu la revois sans cesse allongée dans cette baignoire, tu entends encore ce bruit lors des lourds silences. Ploc,ploc,ploc. Son presque rassurant. Dernier vestige de son visage, de son regard encore ouvert fixant le plafond sans vie. L’enfant n’est plus, il ne sera plus jamais. Tu as perdu ton innocence dans cette salle de bain, dans cette ancienne maison qui vous abritait autrefois. Non, le gamin il est mort avec sa mère, laissant place à l’adolescent instable aux sentiments trop changeant. Ta tête se penche sur le côté alors que tu laisses tomber la bouteille, vide à présent, qui glisse sur les escaliers. Et tu te lèves, et tu t’enfuis hors de cette habitation que tu trouves étouffante, bruyante malgré le silence. Et tu prends le volant, ne craignant pas l’alcoolémie qui coule dans ton sang. Et une fois de plus, tu vas retrouver un inconnu, tu passeras la nuit avec lui, avec elle. Tu tenteras d’oublier, tu tenteras de ressentir une quelconque émotion pourvue qu’elle soit douce.


Ton regard glisse sur les bancs, alors que les élèves se bousculent, rient, s’amusent et font connaissance. Un nouvel univers s’offre à toi depuis quelques semaines déjà, t’éloignant de cette existence qui a toujours été la tienne. Bon élève, possédant les notes suffisantes pour entrer à Harvard. L’argent ne te fait pas défaut, pouvant ainsi te payer les nombreux frais scolaires qu’engendre une telle université. Tu te souviens encore de l’entretient où tu t’es vendu, où tu as fait bonne figure sous tes sourires, sous tes belles paroles. Alors, tu avais intégré cette université prestigieuse et connue avec dans l’idée de devenir médecin. Tu veux briser cette routine, tu veux réussir là où il a échoué. Tu veux réussir ta vie, parce que lui, il détruit la sienne tout en détruisant également la tienne. L’intégration fut relativement facile vu ton caractère. Amis, connaissances, il est évident que tu devais te faire un nouveau cercle qui ne verront en toi que l’homme drôle, souriant, trop charmeur peut-être. Et tu t’entêtes à ne rien montrer, et tu t’entêtes à porter ce masque en intégrant une confrérie connue pour comporter des étudiants aussi obstinés que toi. Parce que la vie est ainsi faite. Tu dois avancer, tu dois aller de l’avant, tu dois réussir tout simplement.

Boum…boum…boum… ça résonne, ça fait mal. Tu sens la douleur caresser ta peau, léchant tes entrailles comme une bête assoiffée de cette énergie vitale que tu possédais. Le parking. Tu pensais que c’était un endroit tranquille, un endroit sans histoire. Ton regard glisse sur le sol, alors que ta vision se trouble à cause de l’hémoglobine qui coule le long de ton front. Tu la cherche elle…Où est-elle ? Où est cette princesse qui t’accompagnait en ce jour, riant encore quelques secondes auparavant. Les cris résonnent. Pleure, désespoirs, souffrances. Tu suffoques, tu ne bouges pas. Tu corps meurtri ne semble plus vouloir répondre, ton crâne tambourine tel une mélodie fracassante. Finalement, tu l’as voit, elle est là. Étendue sur le sol, le regard fermé, un filet de sang ruisselant le long de ses douces lèvres que tu avais tant de fois embrassées. Tu te traînes, tu rampes. Sa main dans la sienne, tu essayes de la réveiller. Le sommeil semble l’avoir emporté, un sommeil éternel qui te semble familier. Et la peine, elle revient en courant. Non, non, non. Voilà ce qui traverse tes lèvres, ce que tu murmures en cherchant une foutue raison à ce drame. Encore une fois. Tu n’étais qu’un étudiant parmi tant d’autres, elle aussi. Vous n'aviez rien demandé, grandissant comme deux abrutis, vous livrant à des jeux, à des rires. Pourquoi ? Cette question te hantera toute ta vie.


Ils ne savent pas. Non, ils ne sauront jamais qu’au final, tu es juste un jeune homme brisé. Sous tes sourires, sous tes blagues, ton air charmeur, ton air dragueur. Ils ne savent pas que tu crèves à petit feu, que tu t’enfonces dans la débauche pour oublier, pour tenter de panser tes plaies devenues bien trop profondes, bien trop béantes. Alors, tu continues à avancer, tout en faisant du sur place. Tu passes de main en main, de lit en lit. Tu te tais, tu laisses le ploc,ploc,ploc résonner dans ta tête le soir, dans ta chambre. Tu laisses le tic,tac,tic,tac te harceler encore et encore, alors que les visions ne cessent de te revenir. Mais surtout, tu laisses le boum,boum,boum résonner dans ton être, te faisant vibrer, te faisant chavirer. Tu perds pied, tu fléchis, tu craches sur la vie pour t’ouvrir à la douleur. Oui, tu cherches, tu provoques le destin. Tu veux la ressentir, cette douleur, elle te rappelle que tu es encore vivant, que tu peux encore ressentir quelque chose. Pauvre petit être déchu que tu es, tu te renfermes, cachant ce renfermement sous des faux-semblants. Et eux. Oui eux, ils ne voient rien, ils pensent juste que tu es un coureur. Ils pensent juste que tu ne sais pas te poser, que tu est-ce que l’on nomme un être infidèle. Ils ont raison, ils ont tort. Ils sont aveuglés par ce que tu veux bien leur montrer. En réalité, tu n’es rien.

THE END