« Let’s have an intelligent conversation here: I’ll talk, and you listen. »
ft. HAPPY & CLAY

Elle a pris place dans ce siège en face de moi il y a 10 bonnes minutes déjà, à m'assurer qu'elle pourrait le reconnaitre parmi les cinq étudiants que nous allons lui proposer. Recevoir des plaintes n'est pas très orignal dans ce métier mais l'affaire a pris subitement de l'ampleur lorsqu'il a été question de drogue et de viol. Elle? La cinquantaine bien tassée et qui, d'après ce qu'elle porte au cou et aux doigts, a les moyens de se laisser aller. Pour avoir côtoyé quelques spécimens de cette société, je sais  pertinemment de quoi ils sont capables: aucune considération pour ceux qui ne présentent pas les mêmes avantages fiscaux.
" Venez." Ils sont fins prêts les gamins convoqués dont un Winthrop vu le dossier, celui-là même qui est suspecté. Un certain Happy Gainsborough, 25 ans, type caucasien, américain, le présumé auteur de ce viol. J'ai encore bien du mal en la regardant s'approcher de la vitre sans tain à croire qu'un gamin de son âge soit tenté de s'y frotter. Mais après tout, certains ont des penchants assez insolites. " Faites les rentrer. "

Aussitôt se présentent en file indienne les six étudiants dont cinq triés sur le volet. " Prenez votre temps " , parce que ce ne sera pas une décision anodine, il en va de l'avenir d'un gamin du quartier. Si elle choisit mal, le dossier sera classé mais malheureusement ses yeux se déportent bien vite sur le troisième de la rangée et hoche de la tête dans un murmure prononcé. " Lui ".  Elle semble si sûre d'elle que lui reposer la question serait vain. J'en referme le dossier et souffle déjà à l'idée de la paperasserie qu'il va falloir compiler:" Bien. " Elle est conviée par l'un de mes disciples à prendre le chemin de la sortie lorsqu'à mon tour, je rentre dans la pièce voisine face aux gamins. " Monsieur Gainsborough, je vous prie " pour, d'un geste de la main, l'inviter à me suivre. C'est pas ton jour de chance on dirait petit...

Happy, être accusé de viol. Un mot était de trop dans cette phrase lorsque l’on connaissait bien le jeune homme. Sauf que non seulement une cliente insatisfaite l’avait fait accuser auprès de la police, mais sciemment reconnu parmi quatre autres suspects, après avoir donné son nom, sa description et tout ce qui était nécessaire pour qu’il soit bien entendu intercepté. Dans l’histoire, le future véto avait perdu l’un de ses deux appareillages auditifs, et entendait fort mal tout ce que l’on avait le malheur de lui dire. Aussi, il mit un temps considérable à comprendre de quoi on l’accusait. Jusqu’ici, il n’avait jamais eu à faire à la police dans son existence toute entière… après tout, être gigolo, il ne s’en vantait pas, agissait en douce et ses clientes changeaient très régulièrement pour ne surtout pas que les autorités puissent en avoir vent. Une fois n’est pas coutume, il était tombé sur l’exception confirmant la règle, la folle parmi les folles, ayant décidé de lui pourrir la vie, lui n’ayant un tel boulot nocturne pas parce ça lui plaisait, mais plutôt pour payer des factures colossales d’appareils auditifs, d’hôpitaux pour le coma de sa mère, de prêt étudiant en tant que Winthrop à Harvard, et j’en passe et des meilleures. En somme, il n’existait pas plus honnête que l’américain, se retrouvant actuellement dans le bureau d’un lieutenant, complètement paumé, incapable de desserrer les mâchoires. Qu’était-il censé dire, au juste ? Bonjour, je m’appelle Happy Gainsborough mais ça vous le savez déjà, je suis innocent mais ça vous allez avoir du mal à le croire, par contre je suis futur sourd, j’ai perdu l’un de mes appareils alors pitié parlez super fort si vous voulez que je vous entende ? Ou mieux… écrivez ! Non, il allait l’étriper avant la fin de l’interrogatoire… « Je dois prendre un avocat je suppose ? Mais je n’ai rien fait, c’est juste une folle insatisfaite qui s’est vengé sur moi ! »

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Assis dans le modeste local que ces foutres de flics d'Etat m'ont cédé depuis deux ans déjà, je détaille tout autant le dossier ouvert sur le plan de mon bureau que l'étudiant patientant sagement en face de moi. « Je dois prendre un avocat je suppose ? Mais je n’ai rien fait, c’est juste une folle insatisfaite qui s’est vengé sur moi ! » Il n'est donc pas muet, c'est rassurant mais je ne lui ai encore rien demandé. Il n'aura le droit qu'à une œillade malavisée avant de me replonger dans la copie de la plainte, d'étudier les faits pour mieux savoir par où commencer. Un avocat lui serait en effet très conseillé parce que son histoire contredit ce qui a été déjà couché sur papier. " Si vous n'en avez pas les moyens, un avocat vous sera commis d'office, "  bien que ce ne soit pas gratis comme beaucoup se laissent l'entendre dire. Et peu choisissent cette dernière option même si l'aide juridictionnelle soulage d'une bonne partie des honoraires. Je n'aurais pas une once de clémence pour ce délinquant et aussi rapidement qu'il a été ouvert, le feuillet est refermé, son histoire, son passé, tout ce qu'il a été et est. " Madame Bulkeley vous accuse d'un crime aggravé et sans preuve du contraire, c'est votre parole contre la sienne. " Dans ce genre d'histoire, on donne plus facilement de crédit à la victime et neuf fois sur dix le gars se retrouve écroué pour une peine de 15 à 20 ans, sans parler de l'amende de laquelle il doit s'acquitter. On parle d'une jolie somme, frisant les 15 000 dollars en règle générale mais c'est aux regards de la victime et de son avocat qu'elle est estimée. " Le fait est..." ou problème devrais-je dans son cas souligner, " que d'après le rapport du médecin, elle présente des traces de... Par soucis du détail les feuilles sont de nouveau parcourues de long en large pour retrouver le stipulé des marques observées sur ses poignets "...Brutalité. Et en attendant les résultats de l'analyse d'ADN, je dois prendre votre version des faits.  " Après tout ce n'était peut-être qu'un jeu entre eux qui s'est très vite transformé, ou peut-être dans le pire des cas se les ait-elle faites elle même après avoir été sautée.

Le lieutenant en face de lui ne paraissait pas prendre particulièrement parti pour la cliente d’Happy, ou même pour l’américain d’ailleurs. Ce n’était donc ni gagné ni perdu d’avance. Le jeune homme se mit à trembler aux mots « avocat commis d’office » car oui, il n’avait pas les moyens de se payer un ténor du barreau, lui qui peinait déjà à garder un toit sur la tête et à conserver sa mère dans le service des soins intensifs de l’hôpital où elle séjournait depuis plus d’un an maintenant. Aussi, le futur vétérinaire n’en menait pas large, essayant de se pincer pour se convaincre qu’il ne vivait là qu’un cauchemar, avant hélas de se rendre compte que la réalité lui péter au nez en même temps que les paroles suivants du lieutenant de police, dont il n’avait pas pensé à regarder le nom. « D’un crime quoi ? » redemanda-t-il en triturant son oreille, tentant de monter le volume de son seul appareillage encore présent. Il ne manquerait plus que ce dernier soit défaillant et Happy courait tout droit à la catastrophe. Pourtant, l’étudiant ne se moquait de personne, n’ayant jamais ô grand jamais été arrêté par les autorités avant. Ça, cela devait être vérifiable par celui qui l’interrogeait à l’heure actuelle, n’est-ce pas ? Alors, pour toute solution, il énonça finalement : « parlez doucement, je vais essayer de lire sur vos lèvres… » bafouilla-t-il, pas franchement fier d’avoir à demander une telle faveur dans un moment pareil. Mais c’était ça ou lui demander de signer et le monde entier ne connaissait pas la langue des signes, hélas. Par chance, en lisant effectivement sur les lèvres du flic, le jeune homme parvint à comprendre en mettant bout à bout les informations récoltées. Il ne fallait pas avoir un doctorat en Physique Quantique pour se rendre compte que cette fameuse Madame Bulkeley se vengeait bassement de ce qu’elle n’avait pu obtenir de lui… « Écoutez… ses traces de brutalité dont vous parlez, je n’en suis pas la cause, pour la simple et bonne raison que nous ne sommes pas allez jusque là. Madame voulait, elle le voulait même énormément, c’est moi qui n’ait pas voulu. C’est sa parole contre la mienne bien sûr, mais vous ne retrouverez pas mes em… empreintes c’est ça ? Sur elle ! Je l’ai éconduite avec douceur, et elle ne l’a pas supporté. Je n’aurais jamais porté la main sur une femme, jamais. Vous... vous entendez bien ce que je dis ?? »

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« Parlez doucement, je vais essayer de lire sur vos lèvres… » Compte là dessus... S'il se fout complètement de la gravité de sa situation et préfère en plaisanter, j'vais pas le louper. A l'entente de ma demande, il fige mes lèvres comme un niais mais je ne prendrais parti pour sa comédie et continue à mon rythme. « Écoutez… ses traces de brutalité dont vous parlez, je n’en suis pas la cause, pour la simple et bonne raison que nous ne sommes pas allez jusque là. »  Et mes yeux s'abaissent de nouveau, sans mot dire, pour relire silencieusement ce que le médecin a constaté: lésions traumatiques décelées durant l'examen gynécologique, traces ecchymotiques au niveau des avant bras et poignets, présente un état général de dépression. Deux versions différentes mais une seule de vraie et le seul moyen d'en venir à bout est d'attendre les résultats de prélèvement. Mais par acquis de conscience, il me faut l'écouter et coucher sur papier tout ce qu'il pourra apporter de clarté sur cette affaire. « Madame voulait, elle le voulait même énormément, c’est moi qui n’ait pas voulu. » Non sérieusement... Quel homme refuserait une telle opportunité? Même si cette femme n'est plus de la première fraicheur et refaite de la tête aux... pieds. «  C’est sa parole contre la mienne bien sûr, mais vous ne retrouverez pas mes em… empreintes c’est ça ? Sur elle ! »  De mes lèvres s'échappe un rire étouffé. Des empreintes? C'était bien pensé mais ce sont sur les murs et les meubles que nous aurions pu en retrouver si la femme de ménage de ce luxueux hôtel n'était déjà passée. « Je l’ai éconduite avec douceur, et elle ne l’a pas supporté. Je n’aurais jamais porté la main sur une femme, jamais. Vous... vous entendez bien ce que je dis ?? » " Inutile d'élever la voix. Ça ne vous servira à rien. " Éconduite.... Bah voilà, quand il veut, à se donner un genre avec son vocabulaire de p'tit prétentieux. Finalement il a bien refoulé la femme avec plus ou moins de douceur, et pourquoi pas le pousser à la faute en le faisant répéter un peu? " Éconduite? Pour être plus rudement empoignée après " , faisant déjà mine décrire ma propre version de son plaidoyer.