Visiblement, ce monsieur ne me prend pas au sérieux. Et je n’ai pas vraiment de temps à perdre en devinettes. Je sais qu’il est lieutenant de police, et de surcroît, dépendant de la DEA. Or, c’est exactement d’un type comme ça dont j’ai besoin. D’où j’en ai entendu parlé ? Comment ais-je eu son numéro ? Ce n’est pas bien compliqué, à Boston comme ailleurs, quelques billets verts et tous les secrets vous sont dévoilés. J’aspirais, pour cette année, à fomenter un coup des plus fourbes et gracieux. Mon attachement à l’Eliot House me pousse, par instinct presque, à haïr tout ce qui est Mather. Nous avons passés pas mal de temps en petites batailles absurdes, souffrir les ragots, les coups de poings, les insultes baveuses. Ces trucs de gamins ne me satisfont plus, aujourd’hui, je suis déterminé à lancé une guerre. La vraie guerre, celle qui fera tomber la maison et avec elle, tous les énergumènes qui la portent à bout de bras. Ce n’est pas seulement ma haine qui me guide mais surtout mes valeurs, probablement archaïque, qui gagnent en intensité à mesure que Sage s’éloigne. Peut-être est-ce une manière pour moi de me détruire en détruisant précisément tout ce qu’elle aime. Je ne sais pas. Le fait est que j’ai cette confrérie en horreur, que je déteste par-dessus tout savoir Harvard baigné dans des problèmes de drogue et sa réputation salie par quelques médiocres. Vous voyez l’idée ? Ouai, je monte mon plan dans le plus grand des secrets. Absolument personne n’est au courant en dehors de moi, et bientôt ce Clay.  Je ne connais pas ce type, mais j’ai bien l’intention de le recruter et de payer grassement ses services. Nous serons tous les deux gagnants, et après tout, les règles de la déontologie ne lui permettront pas de refuser une enquête comme celle que je lui propose. Non, je ne suis pas James. Je m’agace, je souffle. Plus personne ne sait taire sa curiosité, accepter un rendez-vous dans le plus grand des secrets ? Le bouton vert.

Appel en masqué. Le téléphone sonne.


@Clay Fitz. Cooper

Deux textos évasifs de la part d'un numéro inconnu... J'ai depuis longtemps banni de mes prérogatives l'idée d'aider les gens gratuitement, surtout lorsqu'il s'agit d'heures supp'. C'est le genre d'extra qui me coute bien plus que la gratitude que je peux en retirer. D'habitude, j'aurais laissé pisser mais cette proposition d'argent facilement gagné n'est pas sans éveiller un quelconque intérêt. Dommage que je sois pour l'heure alité, entre ces murs d'un blanc dont la pureté en vient presque à m'écœurer. La petite rouquine d'à coté s'est assoupie pour le moment. Mais elle pourrait se réveiller à tout instant et palabrer de nouveau sur nombre de mes défauts qui l'insupportent au quotidien. J'aime à penser que c'est une épreuve qui l'endurcira pour le jour où elle devra partager sa vie avec un vrai gars et non l'un de ces étudiants complètement puérils ou camés qui ne pensent qu'à baiser à tour de bras.

Quelques secondes de quiétude, le téléphone à la main, à méditer sur cette blague de mauvais gout jusqu'à ce que l'appareil se remette à vibrer. Mais cette fois-ci de manière plus insistante et prononcée. C'est un appel entrant qui, a première vue, souhaite faire perdurer le canular sur une échelle à taille réelle, l'identifiant de l'appelant masqué. Un dernier coup d'œil suspect vers ma voisine pour m'assurer de son insouciance mais hélas, rien qu'aux vibrations émises, ses lèvres bougent de moitié, pincements qui annoncent qu'au prochain mot balancé, elle se réveillera en sursaut, petit animal apeuré. L'appel est pris mais aucun souffle ne traverse ma trachée, préférant écouter la respiration de mon contrevenant pendant que je me traine jusqu'à l'autre bout de la chambre, le bras en écharpe et la vision braquée sur la belle endormie qui git sur son lit.

Il ne me faut que quelques secondes pour quitter la pièce et demeurer dans le couloir déserté à cette heure de la journée puisque les visites sont depuis bien longtemps terminées.

Il faut, je crois, pour apprécier pleinement un plaisir pervers se hisser à la hauteur de ses aspirations. Les connivences et maigres remontrances qu’ont agitées l’université ces derniers temps sont tout autant de phases d’un ridicule abjecte, qui me donne allègrement envie de gerber. Une perte de temps. De la puérilité. Comme mon père me l’a appris à mes dépens : quand on veut cogner, on cogne vraiment, on ne fait pas semblant. Et je cesse de faire semblant. Je laisse aux autres les contrevenus d’adolescents, Cambridge Secret, les ragots, et tous ces trucs qui coutent plus en investissement qu’en rendement. Ce que je veux, c’est rehausser le niveau de mes expectatives, faire trembler en soubassement l’université et pointer sur la tête de mes ennemis un pistolet. J’en ai assez de contrevenir à mes démons, de retenir mes pulsions de thanatos comme s’il en allait de ma propre vie.  La réputation peut être conservée pourvu que tout se fasse en secret. Je suis un Méphistophélès, et comme il le dit, je suis l’esprit qui toujours nie, et c’est avec justice, car rien n’existe en ce monde qui ne mérite d’être détruit. Quelques pas dans les couloirs du consulat des Pays-Bas, l’endroit me parait neutre, aucune oreille curieuse ne pourra se saisir de mes mots. Ce Clay décroche, mais il ne dit rien. Je crois deviner son mouvement à l’ouïe de pas qui résonnent. Un instant, et je reprends, sans détours ni fioritures, pas de temps à perdre avec les convenances : « Cinq mois d’enquêtes. Votre prix sera le mien ».

A la lueur blafarde d'un néon qui tamise le couloir de ses éclats, j'écoute avec attention le souffle de mon interlocuteur jusqu'à ce que se fasse entendre une voix. C'est le genre d'intonation juvénile qui ne peut cacher la nature de son possesseur. « Cinq mois d’enquêtes. Votre prix sera le mien ». J'en ai le sourire nerveux suspendu aux lèvres quand j'assimile cette voix à celle d'un gamin ayant à peine dépassé la vingtaine. Pour en avoir reçu dans mon bureau lors d'entretiens, je sais les reconnaitre même si celle ci est empreinte d'une certaine marque de noblesse.

Mais c'est vrai, Cambridge est le foyer de nombreux parasites affublés de parents aux blasons dorés. On y trouve de tout: du titre princier à la con qui ne sait regarder où il fout le pied au fils à papa, rejeton de PDG en passe de devenir son noble héritier. Rien n'est naturel ici mais surfait, surjoué, manquant terriblement de maturité puisque tout leur a - et depuis toujours - été donné. Et bien que cette ouverture ne devrait pourtant pas me surprendre, l'offre me parait comme alléchante, même de trop pour être vraie. Je me laisse donc un court temps de réflexion lorsque mon regard oscille, suspicieux, sur tout ce qui m'entoure et statue sur un fait: il ira se faire mettre. Je n'ai pour l'heure plus aucun accès à mes privilèges faute de l'avoir choisie elle plutôt que de me soumettre à un ordre direct. Encore moins dans cette chambre à l'atmosphère pompeuse et désinfectée, loin de mon bourbier dont je suis coutumier. Ou bien attendre que je sorte d'ici et reprenne mes quartiers. " Je ne passe pas d'arrangement sans avoir de garantie. " Il doit forcément s'en douter, faudrait vraiment être con pour se lancer dans une telle entreprise sans avoir au préalable pris quelques dispositions de mon coté.  " Je ne travaille que pour un visage et non des mots. "

Trop habité par les amours mielleux que m’inspiraient mes nouvelles rencontres, je me suis contenu. Me braquant contre moi-même, rejetant la part de rouge qui constituait mon être. Je suis devenu le brave chien de La Fontaine, grassouillet et souriant aux caresses que lui orchestrent celles qui le tiennent en laisse. Mais voilà que dans ma peine ruminée je prends conscience d’une des raisons de ma colère. Mes exactions me manquent comme la drogue manque à un camé. Je laisse aux autres la tâche de plonger leurs mains déjà salies dans la boue, ces frasques immatures ne me comblent pas. Mes abysses s’agitent en une pulsion impérieuse, mon esprit tout entier tourné vers la destruction. Je ne peux me contenir, et aux grands damne de ceux qu’ont osé penser pouvoir transformer mon venin en miel, je fomente dans le silence de cette bâtisse consulaire le plan de nouveaux déboires. Pour les pervers, il est difficile de se passer indéfiniment de leurs frasques, leur sadisme leur procure une jouissance plus infime et subtile que tous les orgasmes superficiels de ce monde. Je suis un pervers. A trop le taire, j’ai laissé ma colère d’ordinaire constructive se transformer en une frustration immonde qui me fait suffoquer. Alors voilà. Mettant à l’abri mon image soigneusement aiguisée, je m’adresse à cet inconnu dont j’ai maintes fois entendu parler. Et si je me montre aussi assuré, c’est que je sais qu’il est difficile de résister à une telle proposition. Un sourire narquois s’esquisse à la commissure de mes lèvres, je sens par le combiné qu’il me prend pour un de ces gringalets avec qui il a l’habitude sans doute de palabrer. Et comme je n’ai pas de temps à perdre en formalité, j’ai pris soin il y a quelques heures à peine de faire transférer sur son compte 2000 dollars. De l’argent de poche pour nous autres. Et comme tout stratège avisé, je sais d’avance qu’il faut des gages de ses velléités, nul homme ne se satisfait de simples mots. Ni lui. Ni moi : « Je ne suis pas de ceux qui s’arrangent de promesses. Regardez votre compte ». Et je marque un temps de pause pensant qu’il pourrait y accéder avec son téléphone, avant de reprendre : « 23 heures, Union Street, devant le mémorial. Une voiture vous y attendra. »

Et dès qu’il l’ouvre pour déverser sa connerie sans nom, je prends conscience de l’ampleur de la situation. Un compte en banque n’est pas une information troquée contre quelques billets et je n’ai certainement pas donné le numéro à qui que ce soit puisqu’il n’est censé n’intéresser que son légataire de droit. Le fournir à qui que ce soit relève de la fraude alors je doute sincèrement que mes conseillers et autres avisés se soient risqués à perdre aussi connement leur emploi, même pour les yeux d’un petit lord qui a voulu péter plus haut que son cul en s’offrant un onéreux passe-droit.

Le téléphone est abaissé, maintenu fermement entre mes paumes pour me laisser à un instant de réflexion quant à la véracité de ses dires et prends conscience de mon erreur. Ce chéquier perdu, ou plutôt volé lorsque je trainais au Nirvana il y a un mois en attendant Anna et pour lequel j’ai dû faire opposition. C’est çà de vouloir se payer quelques seins dénudés et boire sans modération, voilà où m’a conduit mon vice à sortir une petite somme de billets : un petit crevard m’ayant repéré en aura profité. Et puisqu’il n’a pas fini de se gausser, gorge déployée, j’éructe un rire gras et sans retenue face à cette proposition qui s’apparente de plus en plus à un ordre auquel je ne céderais.

Ça coule de sens que j’irais aveuglement me foutre dans tel un guêpier pour 2000 malheureux dollars. D’autant plus avec la perfusion me lacérant l’avant-bras faute d’être sorti d’une opération il y a quelques jours de cela. Mais si pour certains l’appât du gain suffirait, j’estime ma vie à bien plus que ce qu’il ne semble croire. Il suffisait de venir entre deux verres et danses me voir. Le Nirvana étant réputé pour ses ambiances tamisées, il aurait été plus commode de m’y trouver. Je n’irais donc pas par quatre chemins parce que le gosse a très mal choisit le moment et le moyen. «  T’as su me trouver, tu sauras jusqu’où te déplacer » S’il tient à s’entretenir ou à récupérer le fric avec lequel il a cru m’acheter.  Après tout, c’est lui l’intéressé dans cette histoire, pas réellement moi.

Il est facile de négocier, ou même d’exiger, quand on s’adresse à des gens de son âge. Nous jouons dans la même cours, il suffit de se montrer le plus sévère et le plus froid pour asseoir son autorité sur les frêles. Un terrain de jeu de type bac à sable, facile à contrôler. Mais en entendant son rire gras résonner de l’autre côté, je me rends compte que le monde nouveau que je m’apprête à fouler n’a rien à voir avec mes cours de récré. J’avais l’habitude des magouilles, connivences, et compagnie. Petit déjà, trop de fois ais-je vu mon père engraisser la patte de quelques notable pour les avoir dans la poche. L’argent paie tout, c’est ce qu’on m’a toujours appris. Les gens ne posent pas de question quand on leur offre un bon paquet, ils agissent et donneraient père et mère pour quelques billets. C’est ce que je croyais, parce que c’est ce que j’ai vu. J’appréhendais les choses avec une simplicité déconcertante, ce qui me plaçait là, tout de suite, malgré moi, dans une position inconfortable vis-à-vis de ma propre immaturité. Et je sens qu’il se moque de moi. Les dents serrées, le visage fermé, je ne dis rien. Comme un enfant vexé de ne pas avoir gain de cause. Capricieux à souhait. Un compte en banque, ce n’est rien de compliquer à dénicher. Il suffit d’un nom, d’un employeur, d’un numéro et d’un virement caché depuis un créditeur en suisse. Ça aussi, c’est mon père qui me l’a appris. Je m’offusque de son revers que j’prends volontiers comme un signe d’impertinence ou d’arrogance, me collant moi-même la gueule dans ma propre pisse. Les choses ne sont pas simples dans le monde des grands, je l’apprends à mes dépends. Il a bien compris que j’avais besoin de lui, que l’inverse était faux, et à juste titre, il mène les négociations. Sourcils froncés, je réfléchis un instant. Risquant le tout pour le tout, quand la menace ne marche pas, il faut se lancer dans la séduction pour attiser la confiance, c’est là ce qu’apprend tout diplomate en premier : « Je suis un ami de Dean. » Ancien ami, serait plus juste. Mais à cause de son départ, personnes ne sait que Dean et moi sommes en froids. Réalisant tout à coup que la cooptation n’est qu’un prémice à la mise en confiance, qu’elle ne se suffira pas à elle-même, j’ajoute : « Bien. Je viendrais vous trouver ». Et comme je déteste ce sentiment atroce d’infériorité, je m’empresse de raccrocher feignant l’impassibilité pour ne pas perdre la face.