J'ai rencontré ce gars au summer camp, celui qui a fait exploser mon cœur, comme un coup de foudre putain. Ça, c'est le genre de chose que je n'aime pas vivre, comme perdre un match de hockey. Ça fait mal, ça me rend faible et je n'aime réellement pas me sentir faible. Alors du coup, j'ai fait le bonhomme, comme d'habitude. On a parlé longuement, des choses drôles de la vie, des choses volages, rien de trop sérieux sinon on s'ennuie. On s'est chamaillés, on a même décidé de se retrouver sur le campus. Il pense que je suis un bon pote, la lesbienne qui a de bon délire, qui parle sans détours, qui n'est pas prise de tête quoi. Et puis, j'ose lui dire les choses, je n'ai pas peur de le vexer et qu'il m'abandonne après une prise de bec. En gros, je suis son pote, les frères avant les putes, tout ça, tout ça. Et pourtant, il y a ce putain de cœur qui se réveille parfois, qui cogne dans ma poitrine pour lui montrer qu'il est là, qu'il existe. Du coup, je préfère laisser mon cœur parler, parfois, mais sûrement pas en face de lui. L'anonymat d'internet est merveilleux. Parce qu'en fait voilà, j'ai découvert qu'il était sur un forum de musique, et Noé la chenille devient Eve le papillon. Eve, c'est le genre de meuf que j'aurais du mal à supporter en vraie, c'est la partie de moi que je ne peux pas voir en peinture. Eve, elle est belle, elle s'attache aux hommes, elle est la petite princesse en moi. Eve, elle veut plaire, elle veut qu'on lui fasse des compliments et qu'on la prenne dans ses bras. C'est la poupée. Celle que  Noé veut détruire, mais qu'elle laisse s'exprimer à visage caché.
CONNEXION EN COURS.
Je frappe sur le clavier. « T'es là le tatoué ? » Et efface tout. Ça ressemble trop à Noé. « Bébé ? » Ça fait vraiment trop débile. Je me frappe la tête contre le coussin du canapé pour me remettre les idées en place. Et il n'y aura personne pour m'en empêcher. Il faut absolument que je trouve un colocataire... Cet immense appartement  vide me donne la gerbe. J'ai balancé quelques affaires, et entassé les meubles que mon père m'a fait livrer, mais je ne m'y sens vraiment pas comme chez moi. Bref, je repose mes yeux sur l'écran de la conversation. Je vais faire dans le basique.

Eve dit : « La rentrée s'est bien passée ? »

Il faut environ 230 kilos pour écraser un crâne, mais les émotions sont bien plus fragiles. 

Je renoue avec mes vieux démons. Ce qui se délecte de foutre et de sang, qui manipule, annihile, détruise toute émotion. J'suis devenu plus froid que mon père. La trinité. j'ai perdu ma mère, Sage, et le bébé. La nature n'aurait pas pu mieux trouver. Sage me manque, tout le temps. Elle me manquera toujours. Même quand elle était avec moi, elle me manquait déjà. Même quand j'voulais pas plonger dans nos sentiments, elle me manquait. J'sais pas pourquoi, j'sais pas ce qu'elle m'a fait. j'sais pas non plus comment j'vais m'en tirer. J'sais qu'elle baise un connard de temps en temps, qu'elle s'amuse à s'éclipser, qu'elle me snob comme un mal propre, qu'elle a plus du tout envie de me voir. Elle trace sa route ou s'tape des traces, comme quand on s'est connu. Et le pire ? C'est que je ne la déteste pas. Je n'ai même pas de colère à exprimer, toute ma colère j'la garde pour le reste du monde. Elle, elle me manque, et j'voudrais juste qu'elle m'écrire, qu'elle me dise "viens, on fait une pause dans la guerre froide, viens on s'embrasse pour se souvenir que j'suis à toi, que t'es à moi, et que ne pas être ensemble ça ne veut pas dire qu'on ne s'aime pas". Regardez moi, j'deviens con de niaiserie et j'déteste ce mec que j'matte dans le miroir. J'ai envie de me dépecer le visage avec cette lame de rasoir. il y a Chop Suey qui hurle dans l'appartement. Rien à voir avec le genre d'endroit que j'ai l'habitude de fréquenter. Ici, c'est juste un dépotoir à mauvais sentiments. Un trois pièce dans les bas quartiers, j'ai même pas donné mon vrai nom pour la location. Un truc ou je m'éclipse et confesse mes pêchers. Y a toutes ces putes qui viennent me visiter pour passer le temps, je m'évade alors que j'suis déjà absent quand la pression devient trop forte à l'université. Pour occuper mon esprit, ne plus penser, ne plus ressentir, j'me concentre sur les frasques à venir. Les présidentielles Eliot, la haine que j'ressens envers tous ces connards qu'ont pas su voir que j'étais juste un mec triste et amoureux. Il reste néanmoins quelques traces de volupté dans mon marasme. Gabrielle qu'est sans doute aussi perdue que moi. Ivy qui, j'sais pas pourquoi, est toujours là. Et puis Noé. Noé c'est cette fille sur laquelle j'ai craqué pendant le SC. Par craquer, j'entends "tomber raide dingue d'amitié". Elle est lesbienne, j'ai même pas eu le temps d'esquisser le moindre signe de désir. J'la vois comme mon pote, mon bro, mon dude. Elle est même mieux que les autres parce qu'elle a tous les bons côtés d'une fille et tous les bons côtés d'un mec. Noé, je m'éclate avec et j'crois qu'en ce moment, c'est typiquement le genre de personne pas prise de tête dont j'ai besoin. Ouai y a Noé. Mais j'ai pas non plus lâcher le forum de musique. Là, j'peux être qui j'veux, dire ce que je veux. Personne ne me juge sur les apparences, j'parle musique parce que j'aime ça, et j'ai pas besoin de m'faire passer pour qui que ce soit. Y a ce forum et y a surtout Eve. Le contact s'est fait presque naturellement, on aime les mêmes choses, on s'marre, et des fois elle m'donne chaud à travers l'écran. Ouai y a Eve, et j'avoue, là de suite, j'parlerais bien avec elle. Il est tard, encore tard, l'heure d'une nouvelle bouteille de whisky. Je l'ouvre et m'installe sur mon canapé de cuir, baisse un peu la musique avant d'allumer mon ordinateur. Favoris, cliqué et ... au même moment je reçois son message. Un sourire attendrit s'affiche sur mon visage. Pc sur les genoux, je me laisse absorber par le virtuel. Dans le virtuel, tout va bien. En principe.

Noaaah dit : Je me connectais tout juste pour venir te parler …

Noaaah dit : La rentrée était banale. J’passe le plus de temps possible en dehors de l’université.

Noaaah dit : Au fait, tu ne devineras jamais qui j’ai vu en concert !

© charney for ilh

Je ne sais pas ce qui m'a pris de continuer de lui parler sur le forum. Quand je me suis rendu compte que c'était lui, j'aurais dû tout arrêter, j'aurais dû lui écrire : « Mec, c'est Noé, ça baigne ? » Mais ça a été plus fort que moi. Il est différent avec Eve, il est comme avec toutes les autres meufs. Il se laisse aller, il drague, il parle de tout et de rien, de musique. Et ça m'a fait mal au cœur d'avoir envie de supprimer mon compte. Alors, j'avais juste fermé la fenêtre pour me sentir soulagée de pouvoir continuer de lui parler par écran interposé. J'ai toujours peur de faire une connerie, enfin, de lui écrire quelque chose qui pourrait lui faire penser à moi. J'essaye d'être la princesse, la fille mignonne, un peu volage, qui aime la musique, qui aime draguer. Je pose l'ordinateur sur la table basse en attendant sa réponse. Je me lève pour aller me chercher un reste de pizza dans le frigo. Après cinq minutes pour la faire réchauffer, je reviens sur le canapé avec la bouffe et une bière. Il a répondu. Il répond toujours rapidement à Eve s'il est connecté. Le fait-il avec les autres ? Fait-il le chaud avec d'autres nanas sur le forum ? Je pose les yeux sur ses réponses et sourit malgré moi. Je sais très bien qui il a vu en concert, puisque c'était avec moi, mais je dois jouer l'ignorance.

Eve dit : Tu te connectes juste pour moi maintenant ? Je me sens importante !

Je ne réponds pas sur sa rentrée. Je sens que c'est un sujet un peu tabou et préfère ne pas lui poser de questions. Je sais que sa vie ne suis pas le cours qu'il aurait voulu, et je ne veux pas ternir la conversation. Les embrouilles, on les envoie valser quand on est ensemble, pas besoin de se prendre la tête quand on sait que la vie peut disparaître d'un claquement de doigts.

Eve dit : Tu as vu qui ??? Raconte moi tout.

Eve dit : Vu la façon dont tu me l'annonces, je suis certaine que je vais être dégoûtée !

Il faut environ 230 kilos pour écraser un crâne, mais les émotions sont bien plus fragiles. 

Ouai, dans ma vie y a Eve. J'sais pas à quoi elle ressemble, j'sais pas qu'elle est sa voix, j'sais pas quelle taille elle fait, sa couleur de cheveux, ses tics, ses mimiques, ou la manière dont elle déforme sa bouche pour parler. J'sais rien d'elle, et pourtant elle me plait. Parce qu'Eve elle est simple, le contact est facile, on s'marre sans s'prendre la tête, on a les mêmes gouts, on a toujours quelque chose à se dire. Par dessus tout, elle ne m'juge pas. Peut-être parce qu'elle ne sait pas non plus à quoi j'ressemble. Mais de l'intérieur déjà, elle ne m'juge pas. Et ça veut peut-être dire que je ne suis pas tout entier à jeter. Pt-être qu'il y a des choses en moi qui peuvent plairent sans que je ne force les gens à me détester pour me protéger du rejet. En fait c'est ça. J'ai une confiance aveugle en Eve. Moi ? Confiance ? Je vous l'accorde, c'est pas le mot le plus présent de mon vocabulaire, la confiance c'est ce qui fait les cocus, j'me le suis assez répété. Seulement là, j'l'ai pas empêché, j'l'ai pas non plus retenu. J'fais naturellement confiance à Eve et c'est peut-être pour ça que j'y suis autant attaché. J'ressens un truc que je n'ai jamais vraiment ressenti pour quique ce soit en dehors de Gabrielle : l'intime conviction qu'elle ne pourra jamais me blesser, qu'elle ne me fera jamais de mal. Assis sur mon canapé, je n'ai qu'une hâte, lui raconter ce que j'ai vécu. Ce concert dément que m'a permis de voir Noé, j'sais qu'Eve aime Radiohead presque autant que moi :

Noaaah dit : Rien que pour toi !

Noaaah dit : J'pouvais pas attendre avant de te raconter ça

Noaaah dit : Une très bonne amie bosse dans un bar la nuit. Elle m'a demandé de la rejoindre, m'a dit qu'elle avait une surprise pour moi et ....

Noaaah dit : BOUM

Noaaah dit : Radiohead en concert !

Noaaah dit : J'étais à même pas deux mètres de Thom, tu t'rends compte ?

Noaaah dit : C'était juste trooooooop ouf (et j'me rends compte que j'aurais dû prendre une vidéo pour toi :/)

Noaaah dit : (Qu'est ce que tu fais encore réveillée ?)

© charney for ilh

Je ne sais pas si ça me plaît qu'il parle du concert avec une autre. Parce qu'en fait oui, c'est une autre nana la Eve ! Et je joue ce jeu dangereux des deux identités. Noé et Eve. Eve et Noé. Et je sais qu'un jour, la vérité éclatera et que je risque de le perdre à tout jamais. Et encore plus si un jour mon secret éclate : le fait qu'en fait, je ne suis pas réellement lesbiennes, et que j'aime bien plus les hommes que je ne le montre. Mon cœur paraît lourd, mais la moindre lumière sur l'écran qui me prouve une réponse de la part de Noah me redonne du plaisir. Son « rien que pour toi » me donne chaud aux joues, même si sa phrase n'est pas réellement pour moi. Et la vérité m'explose à la tronche, oui, je ne suis qu'une très bonne amie, basta. Il va falloir que je le fasse partir de mes pensées celui là, j'ai trop peur que cela se termine comme avec le russe. Je secoue la tête pour faire partir le visage mal rasé et la chevelure blonde russe. Quel con... Enfin, ce que je préfère retenir de la conversation, c'est surtout qu'il a vraiment apprécié le concert, et c'est ce que je voulais. Noé c'est la meilleure, va te rhabiller Eve, t'es pas à la hauteur ! Je joue la surprise. Je me rappelle cette petite bouille quand il l'a vu sur scène, quand il l'a entendu chanter, quand son esprit était complètement ailleurs dès les premières notes.

Eve dit : La chanceeeee !!! Ça devait être génial franchement !

Eve dit : Et ils ont joué Creep ??

Eve dit : Ne me dis pas oui, je vais hurler !

Eve dit : Pas grave pour la vidéo... (J'suis dégoutée que tu n'aies pas pensé à moi :'( )

La salope ! Jamais je n'aurais pu lui dire ça. J'ai parfois l'impression d'être schizophrène, truc de fou !

Eve dit : (J'ai du mal à dormir, tu sais, quand ton cerveau tourne et retourne tout à l'intérieur de ton crâne ? Eh bien voilà ce qu'il me fait. Et un cerveau qui danse, ça empêche de trouver le sommeil. J'ai besoin d'un câlin...)

Il faut environ 230 kilos pour écraser un crâne, mais les émotions sont bien plus fragiles. 

J'suis comme une puce sur mon clavier, le sourire niais, à taper la nouvelle pour l'envoyer à Eve. J'suis con, j'aurais dû prendre une vidéo, au moins lui faire partager un peu c'moment. Mais j'sais pas, j'y ai pas pensé. Peut-être parce que j'étais avec Noé, et sans m'en rendre compte, chaque fois que j'suis avec Noé j'pense plus trop au reste, j'suis avec elle, elle m'fait marrer, et c'est tout. Elle a un sacré potentiel hypnotique ma russe préférée. J'souris aux réactions d'Eve et enchaine.

Noaaah dit : Alors .... Apprête toi à hurler ....

Et j'repense subitement à la manière bizarre dont j'me suis senti quand au moment de cette chanson, j'avais remarqué que Noé n'était plus là. Ma déception, ma petite peine, et puis elle sur son bar, et ses bras autour de mon cou quand elle m'a insulté de pauvre con.

Noaaah dit : J'ai même dansé dessus avec une des meilleures filles du monde !

J'le pense sincèrement, que Noé est une des meilleures filles du monde. Seulement, voilà, j'me rends compte qu'en disant ça à Eve, j'fais peut-être une boulette, que ça pourrait être mal interprété.

Noaaah dit : (Elle est lesbienne, y avait strictement rien d'érotique dans notre danse ^^)

Noaaah dit : Mais j'suis désolééééé :/ Peut-être qu'un jour on pourra aller les voir ensemble ?

Noaaah dit : (Pourquoi ton cerveau tourne et retourne ? Qu'est ce qui te préoccupe ?)

Noaaah dit : (Viens, je te fais une place à côté de moi là ...)

Graou. Bon. Stoppons les pensées sensuelles, allumons-nous une clope. Et c'est ce que j'fais, en fixant cet écran, l'air un peu niais.

charney for ilh

Aaaaaaaaaaaaaahhhh nooooon ! C'est une blague ?! Dis moi que tu rigoles ? J'suis trop déçueeeee !

Eve dit : Mais je suis contente pour toi aussi.

Et je l'arrête nette, comme si la salope d'Eve était un peu vexée qu'il danse avec une fille. Mais quand on sait à quoi ressemble la fille, ça aide direct à retrouver le sourire. D'ailleurs cette nuit, je ne ressemble à rien. Le sweat trop grand sur un tee-shirt blanc trop court, les cheveux lâchés, mal coiffés, les cernes sous les yeux. Parce que oui, à force de travailler les nuits entières et faire du sport toute la journée, je commence à être fatiguée. Je crois même que j'ai encore un soucis avec le décalage horaire, qui me donne faim à 3h du matin sous prétexte qu'il fait jour en Russie. Ou alors c'est mon père adoptif qui m'envoie des ondes de son café bouillant et mon père biologique cette bonne odeur de croissant chaud. J'engloutis la part de pizza si rapidement qu'il faut que j'aille m'en chercher une deuxième. J'ai la dalle. Et quand je reviens, je considère que j'ai laissé assez de temps à Eve pour faire la gueule. Parce que ça va, il se défend en annonçant mon orientation sexuelle, du coup, elle se sent mieux. Et oui, il n'y avait rien d'érotique, du coup tu fermes ta gueule et tu peux reprendre ta drague doucement.

Eve dit : Un jour, tu m'inviteras oui. Je traverserai le pays pour toi et Thom, même si je dois faire de l'auto-stop avec un énorme routier dégueulasse !

Qu'elle est idiote celle là... Je lui ai déjà dit que j'étais sur la côte ouest du pays, pour qu'il n'est pas trop envie de prendre la voiture pour venir voir Eve si elle était un peu trop proche.

Eve dit : (Le passé et le présent, les souvenirs et les actions. Et puis il y a ce mec.)

Eve dit : (Mais je n'ai pas trop envie d'en parler...)

J'essaye de me rattraper comme je peux. Parce que même si je lui mens parfois pour qu'il ne me démasque pas, je n'aime pas ça. Et si je dois lui parler de notre situation, j'ai peur qu'il ne le remarque trop rapidement. Et puis, toutes les filles comme Eve ont des peines de cœur fréquentes non ?

Eve dit : (Si tu me laisses une place, ça va finir mal encore une fois. On va se donner chaud, et mes sens m'empêcheront de m'endormir...)

Mais elle joue quand même.

Eve dit : (Tu es dans ton lit?)

Il faut environ 230 kilos pour écraser un crâne, mais les émotions sont bien plus fragiles. 

Je ne peux m'empêcher de me demander ce que donnerait une rencontre en vrai. Entre Eve et moi. Est-ce que ça serait comme quand on se parle sur internet, naturel, amusant, réconfortant ? Est-ce que je serais gêné, est-ce qu'elle serait déçue de moi ? Déçue, bien sure qu'elle serait déçue, tout le monde est déçu de moi, tout le temps, à chaque fois. Alors même si l'idée de la voir en vrai me torture, de la regarder, de la sentir, de la respirer, je ne peux cesser de croire cette idée selon laquelle les choses sont mieux ainsi. Au moins, par internet, je ne prends pas le risque de la perdre, je ne prends pas le risque de la voir me détester, je peux être moi-même sans danger. C'est foutrement érintant comme double frustration, ne pas savoir ce qu'on veut, se dire que comme ça c'est mieux. Pour ne pas y penser, j'enchaîne les clopes devant mon écran, impatient de lui raconter, de discuter avec elle. Je ne regrette pas du tout d'avoir vu le spectacle avec Noé, loin de là. Mais j'avoue qu'une certaine partie de moi aurait aimé, peut-être, échanger un premier baiser incertain, incensé, avec Eve devant ce concert. Je me pince la lêvre en y pensant.

Noaaah dit : C'est le plus beau cadeau qu'on ne m'ait jamais fait ! Je regrette un peu que tu ne fusses pas avec moi mais ... je compte bien t'inviter un jour à un concert en tête à tête

Noaaah dit : (Je ne te laisse pas le choix, puis la côte ouest, ce n'est pas si loin)

Et là, plus rien. Elle ne dit rien. Est-ce que je vais trop loin ? Est-ce que c'est le fait que je lui fasse comprendre que j'ai très envie de la voir en vrai qui la refroidit à ce point ? J'enchaîne les lattes de ma clope, me ronge l'ongle du pouce, secoue frénétiquement ma jambe, impatient. Je ne comprends pas, ça me peine ce silence, pourquoi elle fait ça ? Et l'air de rien, la voilà qui revient.
Noaaah dit : Oh non, pas l'énorme routier ! Je refuse qu'il te matte pendant tout le trajet
Sans doute encore très maladroit, mais tant pis, c'est parti. Ce mec ? Ok, je l'admet. J'ai eu un énorme pincement au coeur. Je sais bien que nous ne sommes que de vagues connaissances l'un pour l'autre mais ... je ne sais pas. J'crois que ça me déplait l'idée qu'elle ait quelqu'un, et quelque part, ça ne me dérange pas de ne pas en parler. Je ne contrôle pas ma jalousie, même quand elle n'a pas lieu d'être. J'écrase mon mégot dans le cendrier et reprend après quelques secondes de latence.

Noaaah dit : Mieux vaut que ce soit l'excitation qui guide tes insomnies plutôt que ces questionnements inutiles ...

Noaaah dit : (Non pas que ton mec soit inutile hein)

Ouai, je n'ai pas pu m'en empêcher.

Noaaah dit : (Sur le canapé, tu peux venir)

Noaaah dit : (J'ai très envie que tu viennes en fait)

charney for ilh

Je suis certaine que le silence d'Eve l'agace, comme une frustration, l’incompréhension. Il doit tirer sur sa clope, stressé peut-être qu'elle ne réponde pas, qu'elle fasse la gueule comme une adolescente. Son impatience est presque palpable, et je crois que j'aime bien l'imaginer devant son ordinateur, se comportant comme s'il parlait avec une « vraie » femme. Parce que j'ai l'habitude de l'observer avec les autres, et que comme je suis son pote, il ne réagit pas de la même manière avec moi. S'il savait... Il serait déçu de la confiance qu'il m'a accordée, j'en suis sûre. Et il finirait par ne plus avoir envie de me voir. La confiance en amitié et comme partout, c'est sûrement ce qu'il y a de plus important. Il va m'en vouloir. Je secoue la tête de droite à gauche pour faire partir ses idées qui ne sont pas à l'ordre du jour et qui ne le seront jamais. Eve disparaîtra de sa vie peu à peu, sans qu'il ne s'en rende compte, et Noé restera la bonne copine. C'est écrit !

Eve dit : S'il ne fait que regarder, ça m'ira parfaitement.

Serait-il jaloux du gros camionneur ? Ou est-ce de l'humour ? Je regrette à ce moment là qu'il ne soit pas en face de moi pour pouvoir décrypter ses sentiments. Mais je comprends vite qu'il y a une pointe de jalousie. Pourquoi est-il comme ça avec Eve ? Il la connaît à peine, il ne sait même pas à quoi elle ressemble, il ne sait pas qui elle est. Et quand je le lis, « l'excitation », mon cœur réchauffe mon corps entier. Je me couche sur le canapé et dépose l'ordinateur sur mon ventre.

Eve dit : Tu le penses que mon mec est inutile, tu peux le dire franchement. Tu voudrais m'avoir pour toi tout seul...

Et c'est reparti pour un tour de piste. La bouffée de chaleur me monte aux joues.

Eve dit : Je sais ce que tu es en train de faire là... Je vais m'installer sur ton canapé, on va se frôler, on va chercher à éviter le regard de l'autre tout en voulant au plus profond de nous que nos yeux se retrouvent. Parce que ce sera le signal du départ. Parce qu'on se sauterait dessus pour s'embrasser et pour faire l'amour sur ton canapé. Et je sais que tu ne m'épargneras pas, malgré la fatigue, ça durera toute la nuit, et même après le lever du soleil, si tu ne t'es pas endormi avant.

Eve dit : Et j'ai déjà trop chaud pour subir ton imagination, de tes mains et ta bouche sur moi, et du reste aussi...