Il s'enlève enfin du chemin et je tourne la poignée. Pourtant, quand il parle à nouveau, je m'immobilise. À son affirmation, je recalle la porte et ma tête s'appuie contre le cadrage et j'en pousse un profond soupir. Je sais plus voir le vrai du faux. Je voulais pas en arriver là. Je suis perdu. Je pouvais passer par-dessus ce qui c'était déjà passer, mais là... est-ce que j'ai vraiment été le con, le naïf à qui on peut tout faire gober?

- Je sais pas Saël, soufflais-je faiblement. Je sais plus...

Je n'ai plus la force d'argumenter; je suis vidé. Je veux aller me coucher et oublier ce qui vient de se passer, ce que je viens de voir. Recommencer les dernières 24h et toute la semaine qui m'avait pourtant paru interminable, s'il le faut. Je veux juste plus avoir mal de la sorte. Il affirme une fois de plus qu'il ne s'est rien passé.

- Comment tu voulais l'aider? Demandais-je doucement même s'il filtre encore des reproches, je suis incapable de monter le ton à nouveau. En quoi ça justifie que je te retrouve en sous-vêtements avec quelqu'un d'autre que moi dans ton lit?

Je tourne la tête vers lui, pour croiser ses pupilles à nouveau, voir sa réaction. Est-ce qu'il peut comprendre que tout ce qui s'accumule depuis le début, tous les incidents qui se sont produits, tout ce qui a fait que j'ai du me battre, qu'on a du se battre pour être ensemble... tous ça c'est encore en train de se retourner contre nous. Parce qu'il y a encore un nouvel incident. Parce qu'il y a encore une fille de plus dans l'équation. Comme si y'en avait pas déjà eu assez! Je veux bien me battre pour lui, défendre ce "nous" qu'on a, qu'on est, mais si les coups viennent de lui, je suis censé faire comment? Voyant les larmes sur ses joues, je ferme les yeux et détourne la tête. Je veux pas le voir comme ça. Parce que je veux pas faire pareil. Et honnêtement, ça pointe.

- Je rentre, soufflais-je. J'aurais pas du débarquer comme ça...

J'aurais pu rester aveugle. On aurait moins souffert.

- Arrêtes, Saël... soupirais-je. Je veux rentrer. Allez dormir. Oublier ce qui vient de se passer. Effacer ce que j'ai vu...

S'il te plaît, laisse-moi essayer de retrouver les morceaux qui me manque dans l'abdomen. Que j'arrête d'avoir mal. Laisse-moi franchir le pas de la porte... Peut-être que ça effacera tout ça. Que je me réveillerai dans le bus pour me rendre compte que c'était un cauchemar. Que le trou que j'ai au coeur n'a aucune raison d'être et que c'était seulement le fruit de cerveau trop énervé qui m'a fait halluciner dans mon sommeil pour me calmer. N'importe quoi. N'importe quoi au lieu que ce soit ça, la réalité. Que ce soit ça pour de vrai, ce que l'on est. Que je n'en soit à douter de tes paroles. À ne plus savoir si ce tu me dis est vrai. J'aimerais me retrouver comme avant avec toi. Quand j'étais encore aveugle. Que j'étais peut-être ton jouet, mais que j'en savais rien et que j'osais croire que t'étais sincère. Alors que là, ça me tue. Que plus rien n'a de sens. Que je distingue plus le vrai du faux. Que mon bonheur s'éclate en milles fragments et que tout me files entre les doigts.  

Une dernière supplication. Mon surnom. Celui qu'il est le seul, depuis des années, à employer et qui devient si différent quand c'est lui qui le dit. Normalement, ça me fait sourire et m'apporte que du bonheur. Là, j'ai les yeux qui s'embrument et une boule qui me remonte dans la gorge. J'ouvre à nouveau la bouche, pour lui dire aurevoir, alors que j'ai finalement ouvert la porte. Trois syllabes. Trois syllables que je suis incapable de prononcer alors que je lui fais dos, mais que sa silhouette m'apparaît au coin de mon champ de vision, un peu flou alors que mes yeux s'humidifient. Je suis incapable de le dire, parce que ça voudrait dire que c'est définitif entres nous... Ça m'est irréalisable d'y mettre un terme moi-même. Depuis le début... mais là, je fuis. Je fuis la situation, passant le seuil beaucoup plus lourdement que quand je l'ai franchi en sens inverse. Refermant la porte, je redescends le chemin précédemment parcouru, la mort dans l'âme.