Cambridge, le 1er septembre 2012

Babushka, (= grand-mère)

Tu n’as très certainement jamais entendu parler de moi, mais je suis ta petite-fille, Tajeddigt – la fille d’Olga, cette enfant que tu as reniée à sa majorité parce qu’elle avait trouvé l’amour auprès d’un Touareg. Et bien je suis leur fille cadette et figure-toi que mon second prénom est ton propre nom, Resa. Maman me dit souvent que je te ressemble… Peut-être aurais-je un jour la chance de te rencontrer !

Je t’écris parce qu’il est temps que tu saches que j’existe. Je sais ce qu’il s’est passé entre toi et maman : elle est partie pendant l’été en Algérie et y a rencontré papa, alors qu’il était de passage à Tamanrasset, pour échanger des bijoux contre de la nourriture. Et ils sont tombés amoureux après avoir passé une semaine à se tourner autour. J’imagine facilement la scène, entre maman, sa peau blanche, ses grands yeux pâles et ses cheveux blonds, face à papa, sa peau basanée, ses profonds yeux de braise et ses cheveux sombres ! Rien à voir et pourtant, je suis là, babushka. Vingt-et-un ans plus tard, je t’envoie cette lettre de l’autre côté de l’océan Atlantique, pour qu’elle vienne te trouver jusqu’à Iekaterinbourg et t’apprendre mon existence, tout comme celle de Saden, mon frère de vingt-trois ans. Et si mon histoire t’intéresse, babushka, réponds à cette lettre. Et montre-moi que tu as une once d’amour pour tes petits-enfants…

Avec tout mon amour,
Tajeddigt.

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Iekaterinbourg, le 10 septembre 2012

Ma très chère vnuchka, (= petite-fille)

Quelle joie de recevoir de tes nouvelles ! J’avoue que, effectivement, je ne me doutais ni de ton existence, ni de celle de ton frère. Depuis notre dispute, à moi et ta mère, nous ne nous sommes plus rien envoyé. Je crois qu’il est temps que je me fasse pardonner et cela commence par apprendre à vous connaître, mes chers enfants ! Je veux tout savoir de ta vie, Tajeddigt ! Tout, même les détails les plus insignifiants !

Ta babushka

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Cambridge, le 3 octobre 2012

Babushka,

J’ai été enchantée de recevoir ta réponse ! Je te raconte donc ma vie ! Ne t’étonne pas, si certains passages sont sans aucune importance ! J’aime raconter ce qui n’a pas d’importance.

Je suis née à Tamanrasset, la ville où maman et papa se sont rencontrés. Comme tu dois sûrement le savoir, mon père s’appelle Yuften Al Kwella. Il est le descendant d’un roi touareg d’antan et fait partie de la plus haute catégorie sociale chez les Touaregs : les Imajaghan. Anciennement, ils étaient les guerriers sans pitié, féroces et redoutés. Aujourd’hui, ils sont surtout les seigneurs du désert et les gardiens de notre histoire. Et je suis sa fille ! Il a rencontré maman, comme tu le sais, il y a vingt-cinq ans. Elle l’a suivi dans le désert et ils se sont mariés, selon la coutume des Touaregs. Tunaruz, la mère de papa, ne se lasse pas de me raconter combien ils étaient beaux, ce jour-là. Mais bien entendu, il n’y a aucune photo. Cela ferait trop de choses à transporter, lorsque nous changeons de région. Pendant toute mon enfance, j’ai fait le trajet entre Tamanrasset et Timia au Niger deux fois dans l’année. Nous allions y passer l’hiver, auprès de toute la famille. Mes cousins y vivent toute l’année et c’était un véritable bonheur de les retrouver chaque hiver, pour passer trois mois avec eux. Ils sont quinze, donc je ne pourrais décemment te faire la description de chacun !

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