« Une pomme par jour éloigne le médecin
mais à condition de bien viser. »

Rendez-vous régulier à l’hôpital. Je m’en fiche. Je m’en fous. Je m’en suis foutu depuis le premier jour où j’avais appris pour cette foutue maladie. Sauf qu’à ce stade, on peut pas s’en foutre longtemps. Sauf qu’à un moment donné, soit on prend ses précautions pour espacer les rendez-vous à l’hosto, soit on tombe dans les vapes. Non, je n’étais pas tombé. Et non, je n’avais pas pris mes précautions non plus. Ce qui fait que maintenant, j’avais mal au cœur. Pas envie de vomir, juste envie de tout recracher. Je savais pourtant que mon anomalie génétique et rare – comme si une maladie tout court ne suffisait pas – pouvait être fatale si je ne faisais pas attention… Mais j’aimais tellement ça. L’escalade, la vitesse, les sports de contact… Et puis merde, fallait bien que je prenne soin de mon corps non !! J’avais déjà de la chance de ne pas prendre de poids même en mangeant une tonne, ce que je n’avais soit-dit en passant, jamais fait, puisque la nourriture avait toujours manqué dans mon environnement, mais les médecins russes m’avaient expliqué un jour que ma constitution était celle d’un gosse qui n’aura pas tendance à grossir même en mangeant pour trois. Quoiqu’il en soit, aujourd’hui, je me tenais les côtes, en faisant mon possible pour ne rien laisser paraître, et j’avançais comme un papy de quatre vingt ans à travers le couloir principal de l’hôpital, jusqu’à l’accueil de la salle des soins d’urgence. La secrétaire me pose des questions stupides – comme c’est nouveau ! – et me « propose » de m’asseoir le temps qu’un infirmier vienne me chercher pour m’examiner, tout en s’exclamant devant mon impatience qu’il y avait encore deux patients avant moi. J’ai dû me retenir de ne pas me jeter sur elle pour l’étrangler. De toutes façons, dans mon état je n’aurais pas pu. Bon, s’asseoir – ou plutôt s’allonger à moitié sur un siège, c’est fait. Patienter en respirant avec difficulté, c’est en cours. J’espère au moins que je n’aurais pas droit aux seringues, je hais les seringues !

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« Une pomme par jour éloigne le médecin
mais à condition de bien viser. »

C’était qui mon médecin traitant déjà ? Pizdec, je me souviens plus du nom ! Ah non c’est bon, je l’avais jamais rencontré. Ca faisait qu’un mois que j’étais sur le territoire américain et me dégotez un médecin traitant n’avait pas vraiment fait partie de mes priorités. Non, je devais remercier la sollicitude du service de l’infirmerie de la faculté pour ça. Pfff, abruti ! J’espère au moins que c’est une doctoresse et qu’elle est bien roulée, parce que me taper un vieux de soixante balais à qui le dentier menaçait de tomber à chaque fois qu’il ouvrait la bouche, non merci ! P’tinnn, ça faiiit maaaallleuhhh ! Promis, c’est la dernière fois que je prends un pack de bière sans l’autorisation – que je n’aurais jamais – du médecin. « QUOII !!? » hurlai-je presque en grognant, furieux qu’on vienne me déranger dans ma douleur alors que je relevais les yeux vers l’impertinente – si c’est encore cette fille à l’accueil, je lui saute dessus ! – qui avait osé m’interpeller. Ah non, c’est pas la fille de l’accueil. Celle-ci porte une blouse blanche plus…affirmée. Elle a un regard plus expressif, moins stupide, et…c’est quoi ce… ET elle a un dossier entre mes mains. Un dossier qui porte mon nom. Génial, c’est mon tour, youpi ! Bon, au moins c’était bien une femme, et elle était…aarrrr…si je n’étais pas occupé à me tenir les côtes, elle aurait probablement déjà senti mes mains se balader. « C’est Sachka. » soupirai-je comme à chaque fois qu’on apposait un « monsieur » à côté de mon nom de famille. « J’suppose que j’ai pas vraiment le choix, hein ? » soufflai-je à moitié en peinant à me mettre debout. « Bon bah on y va, vous attendez quoi ? » Impoli ? Sans gêne ? Insolent ? Grossier ? Il n’y aurait pas suffisamment d’adjectifs sur Terre pour qualifier ma conduite.

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« Une pomme par jour éloigne le médecin
mais à condition de bien viser. »

J’ai pas eu peur. A peine avait-elle osé prétendre qu’elle m’avait effrayé que mes sourcils se froncent, bien que je daignais la suivre à petits pas. Pff…moi, peur ? C’est peu me connaître, docteur. Bon ok j’aime pas les papillons, c’est vrai. Et le premier qui rit je lui mets mon poing dans la figure, c’est clair ? Ah, et les seringues aussi, pas trop mon truc. J’espère qu’elle n’a pas l’intention de me piquer avec. Oui, ça peut paraître bizarre pour un type dont le corps est recouvert de tatouages, mais croyez bien que je ne les avais pas fait de gaïeté de cœur. C’était uniquement pour cacher mes cicatrices, trop nombreuses. Non pas que le regard des autres me gênait, parce qu’en général je me fichais comme d’une guigne, mais c’était leurs questions qui me posaient problème. Pourquoi j’avais ces marques, comme si on m’avait fouetté jusqu’au sang à la base de la colonne vertébrale ? Pourquoi j’avais des cicatrices roses qui semblaient toujours ouvertes ? Pourquoi ceci, pourquoi cela…avec les tatouages au moins, ça se voyait beaucoup moins et j’avais la paix plus facilement.

Une fois dans la salle, m’installant sur la table en jetant des regards suspicieux sur chacun de ses faits et gestes – j’avais déjà longuement détaillé la salle avant d’y pénétrer quelques minutes plus tôt – je fais de mon mieux pour ne pas reculer lorsqu’elle s’approche avec son stéthoscope. Ok, mon cœur bat trop rapidement, je suis déjà au courant. « Ah, parce que j’ai le choix ? » répliquai-je en grognant à sa question. « Ouais c’est ça, contrôle de routine. » grimaçai-je en fronçant les sourcils. « Et non, je suis pas votre traitement. » Voilà, c’est dit. Mais vu mon état, elle devait sûrement s’en douter. « Je le trouve trop contraignant. » dis-je en guise de justifications avant de fermer brièvement les yeux en prenant une plus forte inspiration alors que mon cœur refaisait des siennes. « Donnez-moi juste un truc contre la douleur, ça ira ! » m’exclamai-je en la repoussant fermement, sans pour autant lui faire mal.

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C’est ça. Plus vite on ira, comme elle le disait si bien. Résistant à l’envie de lui arracher son fichu stétho…oh et puis merde son appareil qui était en train d’écouter les battements de mon cœur vu que j’ai en horreur qu’on me touche sauf si c’est dans l’intimité d’une chambre – encore que ses doigts n’étaient pas si désagréables, je fulmine de l’intérieur, regardant à droite et à gauche l’ensemble du matériel de la salle pour me calmer mes nerfs pendant le temps qu’elle m’examine. Rendez-vous ? Comme ça rendez-vous ? Mais j’ai jamais pris de rendez-vous, qu’est-ce qu’elle me raconte ? Fronçant les sourcils en pestant contre la contrainte des lois et règlements américains, je réplique aussitôt. « Parce qu’il faut avoir un rendez-vous quand t’as mal pour voir un médecin dans c’pays ? Pizdec ! » En russe, c’était plus ou moins une insulte qui ne lui était pas adressée et voulait dire « merde » ou « putin » selon le contexte. « Par-don ?!! » Non, j’avais sûrement mal compris. « C’est quoi une résidente ? » Ou en tous cas je pensais avoir compris mais j’espérais vivement que non. Attrapant furieusement son poignet et serrant fermement, je l’oblige à me regarder en face et à lâcher son foutu appareil mesureur de cœur. « Me dis pas que t’es étudiante ? T’es bien médecin hein ? T’as ton diplôme ? » Manquerait plus que je manque de me faire charcuter par une gamine encore sur les bancs de l’école en plus ! « T’as quel âge ? T'es majeure au moins ? » repris-je à nouveau, bien décidé à ne pas la libérer tant qu’elle n’aurait pas répondu à mes questions.

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« Une pomme par jour éloigne le médecin
mais à condition de bien viser. »

Bon, je reconnais que j’avais exagéré. Mon but n’avait pas été de lui faire mal, pas même de la brutaliser. Mais bon sang, ce que je détestais les docteurs, les hôpitaux et tout ce qui s’en rapprochait ! Pas de ma faute si j’avais eu une brève mais réelle crise de panique à l’idée que cette fille ne soit qu’une étudiante en première année de médecine ! « En fin d’année d’études. » répétai-je pour moi-même en avisant la sortie comme si j’étais en train de peser le pour et le contre. J’avais trop mal pour bouger, et j’étais trop chieur pour qu’un « vrai » médecin veuille perdre son temps à m’expliquer en long en large et en travers ce qu’il comptait me faire subir. Et puis cette étudiante presque doctoresse était mignonne comme tout. D’accord, je reste. A condition qu’elle me promette que ses seringues ne viendront jamais s’approcher d’aucune partie de mon anatomie. « Je vous donne les raisons par ordre chronologique ou alphabétique ? » grinçai-je en lui jetant un regard noir. Un : tu es une fille, donc forcément plus incompétente qu’un homme. Deux : tu n’as pas fini tes études donc tu n’es pas médecin. Trois : on s’connait pas alors j’te fais pas confiance. De toutes façons, j’ai confiance en personne. Quatre : ….et ça peut continuer pendant des années. « Parce que vous l’connaissez vous mon médecin ? » répliquai-je en plissant les yeux suite à l’assaut d’une nouvelle vague de douleur contre mon torse. « Vu que je n’en ai pas, ça m’étonnerait ! » C’était une façon de me rassurer ou est-ce qu’elle s’était foutue de ma tête là ? Difficile à dire. « Et je vous connais pas alors pourquoi j’aurai confiance en vous ? » ajoutai-je en fronçant un peu plus les sourcils. Qu’est-ce qu’elle…oohhh, c’est joli ça. C’est tout blanc, c’est rond, c’est lisse, ça donne envie de mettre son nez dedans. Délaissant ses yeux, libérant sa main et tout le reste, mon regard se consacre maintenant avec attention à sa poitrine découverte, tandis que mes lèvres affichent un sourire qui en disent long sur mon état d’esprit présent. « On peut faire un marché ? Légalement, vu que vous êtes presque médecin, vous êtes obligé de me soigner. Tatata, dîtes pas non, je connais le règlement des hôpitaux, c’est partout pareil. Donc, si j’ai toujours mal en sortant de cette salle et en criant devant les autres patients, vous risquez d’avoir des problèmes, on est toujours d’accord ? » résumai-je en ayant l’audace de glisser une main sur son épaule, main qui descendait lentement le long de son bras. « Donnc, je vous laisse faire tous les examens que vous voulez, si vous me laissez…disons…profiter un peu d’être avec un aussi charmant médecin dévoué à ses patients. » susurrai-je à son oreille. « Je vous rassure, je vous ferai rien de déplacé. » repris-je aussitôt pour éviter qu’elle ne me prenne pour un obsédé sexuel prêt à lui sauter dessus dès qu’elle me tournerait le dos.

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