Cher journal,
« Bonjour je suis Mademoiselle Kingley, votre professeur de remplacement. » écrivais-je sur le tableau de ma craie blanche. Me voilà instit’ maintenant, à vrai dire j’étais prête à tout pour avoir de l’argent, la vie en Amérique est beaucoup plus cher qu’au Maghreb ça c’est sûr. Il est loin le temps où je vivais en Tunisie avec mon père et ma mère, ne croyant même pas en mes rêves. C’est drôle je revois encore mon père me dire que je ne suis pas assez « télégénique ». Alors je tente tous les petits boulots possibles, je suis prête à tout pour devenir une fille indépendante. Et je dois dire que ce remplacement me convient tout à fait, après tout je suis apte à enseigner la musique… Du moins je l’ai déjà fait avec mon cousin… Surtout ne pas croire que je suis raciste envers mon pays. Non c’est juste que j’aime blaguer sur mon pays, ça me rappelle tant de souvenir, entre les gâteaux de ma mère, le taxi de mon père… « Si je me trompe pas vous êtes la classe mixe… Pour travailler la voix, d’accord. » Lisais-je sur le feuille que l’on m’avait attribué le matin même. « Bon j’ai pensé à vous donner un exercice classique, mais franchement c’est trop barbant. Alors aujourd’hui on va plutôt prendre une chanson, et essayer de voir comment chacun l’accorde à sa façon. Ainsi je pourrais voir le style de chacun. » Voilà j’ai donné mon premier exercice, est j’en suis pas peu fière, je le trouve assez cool d’ailleurs, et ça a surtout l’air de plaire à la plupart du groupe. Chacun s’est mis avec fougue à me montrer comment il voyait leur chanson. D’ailleurs je dis très souvent que la plus part des chansons ou même notre style musical, peut permettre de savoir notre vie, ou même comment on prend celle-ci. Moi par exemple, je sais que mes chansons traduisent passablement ma volonté de tout contrôler. Je ne sais pas d’où vient cette envie, de tout mettre à ma soumission, c’est peut-être par ce que je trouve ça réconfortant de tout avoir à disposition bien organisé…Enfin, bref, voilà que tout le monde est passé sauf, ce jeune homme au fond de la classe, qui dois facilement avoir un peu plus de mon âge. Je feuillette mon trombinoscope et y repère sa petite frimousse. « Nicolas ? » Il releva la tête. « Tu n’es pas passé, il me semble… » Il sourit et dit « Ouais je ne trouve pas ça très inspirant votre exercice, j’crois que je préfère l’autre perruche, au moins elle nous imposait pas des trucs. » J’eus un petit rictus. Après tout je devais m’y attendre. Il était visiblement très populaire et se servait de celle-ci comme prétexte. « Ce que je trouve navrant c’est d’inventer une excuse pareil pour simplement dire qu’on ne sait pas chanter, ni même choisir une chanson. » Toute la classe regarda Nicolas, la balle était dans son camp. « Très bien, s’il faut faire votre fichu exercice pour que vous nous faisiez plus chier, allons-y ! » Dit-il en regardant les autres, montrant qu’une fois de plus, le beau et généreux Nicolas se dévouait pour son peuple. « Bon si monsieur est si sûr de soi, il ne s’oppose pas à ce que je complique la chose ? Je te propose de faire un duo sur la chanson de Michael Jackson, Smooth Criminal. Tu l’as connais n’est-ce pas ? » Il sourit et répondit : « Et avec qui dois-je la faire, mademoiselle Kingley ? » . Je mis le Cd en place, puis je me retournai vers lui « Avec moi. ».
Deux têtes qui s’opposent, voilà mon état d’esprit avant que je commence. Nous étions tous les deux déterminés à ne pas se voiler la face devant la classe. L’enjeu était de taille, si j’y arrivais j’avais le respect de la classe et donc le clame jusqu’à ce que la « perruche » refasse surface, lui de son côté allait ajouter un point de plus à sa popularité. La chanson commença, nos deux regards ne se lâchent pas. Il commença, je le rejoins ensuite sur le deuxième refrain. Nos pas suivirent le rythme de la chanson et de notre ferveur. Si bien qu’à la fin de la chanson, nous étions là l’un face à l’autre. Proche, très proche, tellement proche que je sentais son souffle. Ses yeux cherchèrent les miens. Nous restâmes quelques secondes dans cette position. Puis je me décollai de lui, il fallait que je reste lucide, et avant que je ne dise quoi que ce soit la cloche sonna. Tous les élèves commencèrent à sortir, pendant que je rangeais petit à petit le matériel que j’avais sorti. Tous sortirent, oui tous sauf lui. Je senti sa présence derrière moi. Je ne bougeai pas d’un pouce. « Oui Nicolas, la leçon d’aujourd’hui ne t’as pas suffi ? » En tout cas moi elle m’avait bien suffit. Je n’avais pas à fleureter avec mes élèves. Si quelqu’un nous avait vus, je me serais surement retrouver à la porte. Derrière moi Nicolas parlait. J’étais tellement entrain de penser à la scène qu’il s’était joué il y a quelques secondes que je ne l’écoutais même pas. Lorsque je me retournai je fis mine de comprendre ce qu’il me disait, mais j’étais absorbée par ces yeux. Ces yeux n'avaient rien d’exceptionnel, mais ils avaient une sorte de profondeur dans laquelle on pourrait lire qu’il avait vécu. Vécu ces évènements de la vie qui font de vous ce que vous êtes vraiment. Et puis c’était si agréable de se plonger de ce regard, que je me laissai embarquer lorsque ces lèvres touchèrent les miennes, lorsque ces mains frôlèrent mes hanches. Oui c’était si agréable.
En amour j’ai toujours pris en mains mes relations. A vrai dire je ne crois pas ces contes de fée, où ces princesses s’éprennent d’un prince charmant. Mes relations ont toujours été pour moi un jeu. Le lendemain, lorsque je retrouvai la classe, je m’amusais ouvertement devant Nicolas, à faire preuve de favoritisme pour certains autres garçons de la classe (beau ou hideux) ou voir même à me jeter dans leur bras ou à les interpeler pour me montrer comment marche le lecteur CD. Et ce qui était drôle c’est que je sentais Nicolas me fusiller du regard, il ne parlait plus ou même m’esquivait à chacune de mes apostrophes. Mais Nicolas était aussi bon joueur et dans les jours qui précédèrent ce cour, il se montra aussi au bras de n’importe quelles filles, tout en me souriant. Ce jeu ne nous empêcha pas pour autant de nous retrouver dans la salle de répétions chaque fois que l’autre envoyer un SMS. La bas on prétextait écrire des chansons, sauf que la plus part d’entre elles étaient complètement niaises. Pourtant un jour, il m’en joua une très belle, elle s’appelait « Just the way you are ». Oui tout allait bien jusqu’au jour où mon remplacement pris fin. Ce jour-là je ne laissai qu’un mot sur sa table « Désolée, game over. ». Je n’eus même pas l’occasion de le revoir. Ce qui était fou dans cette aventure c’est que je croyais vraiment que Nicolas allait être comme l’un de ces innombrables garçons que j’ai connu, que j’allais vite oublier. Sauf que j’eus tords. Nicolas restait là, comme gravée dans ma mémoire ainsi que sa stupide chanson. Il m’arrivait même de ressentir l’empreinte de ces lèvres, de sentir son parfum, d’entendre l’écho de son rire ou même de revoir son sourire. Non je l’avais quitté, me disais-je à chaque fois que j’y pensais. Et c’est là que je découvris le vrai sens du mot aimer. Je n’aimais plus cette personne pour mon propre amusement mais pour vivre. Alors j’essayais chaque soir de lui envoyer un message, mais je ne reçus rien. Aucune réponse. Alors j’envoyais encore et encore. Mais rien. Mon dernier message comportait la chanson “With Ur Love”:

Cause you got me Flying, with ur love
Shining, with ur love
Riding, with ur love
I feel like I'm on top of the world with ur love
One hit, with ur love
Can't quit, with ur love
So sick, but so what I feel like I'm on top of the world
With ur love.

De toute ma vie, je n'ai jamais eu d'obstacle, mes parents sont toujours ensemble, j'ai presque réussi tout ce que j'entreprenais mais là... Non il faut que je me rebooste, bientôt je rentrerais à Harvard, et je montrerais de nouveau qui je suis.