« Dégage, je veux pas te voir ! Je veux voir personne » fut la seule réponse qu’obtint l’aîné. Ce dernier fronça les sourcils. Son fils ne lui avait jamais parlé sur ce ton mais loin de s’en offusquer, il s’en inquiéta. « Bonaventure, je peux savoir ce qu’il t’arrive ? Hé mon garçon, regarde-moi » lui demanda-t-il en s’efforçant de garder son calme et ainsi conserver un ton doux et avenant. « Je suis pas ton garçon, je suis pas un Weasley, je suis qu’un putain de fils de pute de boulet !! Je suis qu’un étranger chez des riches, un objet de décoration, je suis rien d’autre, je n’ai aucune utilité » rétorqua le jeune garçon sous le regard effaré de son père adoptif. « Miséricorde… Que s’est-il passé mon fils ? Qui t’a fourré ce genre d’idiotie dans la tête ? » l’interrogea aussitôt Gideon Weasley en prenant son fils par les épaules pour le forcer à le regarder. « C’ est la bande du gros Tony.. Ils ont dit que je n’étais qu’un genre de chiwawa pour vous deux et que je serais jamais votre fils, car je suis adopté et vous, vous êtes pas mes vrais parents » marmonna Bonaventure qui continuait de pleurer bien malgré lui. Ses larmes se faisant écho de son petit cœur d’enfant, déjà trop durement confronté au racisme et à la bêtise humaine.
« Tu es mon fils Bonaventure ! Tu m’entends ?! Je t’interdis de penser le contraire, tu es notre fils qu’importe le sang qui coule dans tes veines, qu’importe tout ce que les gens diront. Ta maman et moi, nous t’aimons comme si tu étais issu de nous. Tu es la chaire de ma chaire et même si le sang des Weasley ne coule pas dans tes veines, tu es et tu seras à jamais notre enfant. Nos valeurs sont là, ancrées dans ton cœur. Et ça, à mes yeux, c’est bien le signe que tu es notre enfant. Mon fils. Je t’aime mon bonhomme et quoique tu fasses, ce sera toujours le cas » lui répondit son père d’un ton solennel. Il n’en fallait pas plus à l’enfant pour éclater en sanglot dans les bras de son père qui se chargea de le réconforter sous l’oeil attendri et inquiet de sa femme, venue aux nouvelles. C’était la première fois qu’ils étaient confrontés à cette situation et ils comprirent que dorénavant, il leur fallait se montrer bien plus attentifs au ressentiment de leur enfant face à son adoption. Toutefois, quoiqu’il arriverait, ils feraient tout pour que Bonaventure n’oublie ni ses racines africaines ni le fait qu’il appartenait à leur famille.
La colère et la peur d’un enfant. Bonaventure, huit ans.
« Encore cinq minutes... Bon Dieu, Bonaventure, qu’est-ce que je ne ferais pas pour toi » grogna la voix impatiente d’une jeune adolescente de dix-sept ans. Visiblement, elle trépignait d’impatience alors qu’elle se trouvait face à adolescent tout aussi impatient. « Rappelle-toi que tu m’aimes et que tu es folle de moi » s’amusa-t-il à répondre les yeux rivés sur sa montre. Les minutes se jouaient d’eux avec un certain sadisme mais bientôt, l’heure tant attendue arriva. « C’est bon ! » s’écria-t-il avant de recevoir sa petite-amie dans les bras pour un baiser sulfureux qui les laissa le souffle court. « Rappelle-moi pourquoi il fallut que tu te convertisses à l’Islam ? » grogna-t-elle à nouveau alors qu’ils se déshabillaient à toute hâte. « C’est la religion de ma mère biologique, je veux lui rendre hommage et puis, ça a son charme de te voir transie de désir pour moi » lui dit-il alors que lui-même était fou de désir pour elle. « Foutu ramadan » marmonna Lucy McRieves en reprenant les lèvres de son petit-ami.
Bonaventure et elle se fréquentaient maintenant depuis un an après avoir passé une enfance à jouer aux meilleurs amis. Ils étaient jeunes et insouciants, s’aimant comme si demain étaient le dernier jour. Lucy avait amené sa folie à Bonaventure. Il était bien trop sérieux et travailleur pour elle, mais elle s’en incommodait tout comme il faisait avec son tempérament volcanique et ses tenues fantaisistes. Ils étaient le Yin et le Yang, se complétant à merveille. « Je te préviens, tu n’iras manger qu’après m’avoir dévorée toute crue sinon je te largue en beauté Weasley » lui dit-elle sur le ton de l’humour. Le jeune homme ne prit guère le temps de lui répondre, fondant sur elle comme un aigle sur sa proie pour la dévorer. Lucy était son premier amour, sa première fois également. Ils avaient fait les quatre cents coups ensemble avec leurs bandes d’amis. Grâce à elle, il s’était senti aimé, désiré, intégré. Ses parents l’adoraient en prime !
Le jeune couple d’adolescents firent l’amour fiévreusement comme à leur habitude depuis le début du ramadan. Une façon de rattraper leur journée à ne pouvoir se toucher ou s’embrasser. Puis, une fois la passion apaisée, ils purent finalement reposer dans les bras l’un de l’autre. « J’ai oublié de te dire ce que j’étais venue te dire à l’origine » soupira-t-elle en se blottissant contre son torse. « Ah ? Je savais que je te faisais perdre la tête mais pas à ce point-là » se moqua-t-il légèrement comme à son habitude. Bonaventure avait développé une certaine tendance à l’ironie pour se défendre des attaques des autres mais celle-ci restait toujours tendre envers ses proches. « Crétin ! Je voulais simplement te dire que j’ai adoré ton dernier article pour le journal du lycée, celui sur la délinquance… Tu sais, je suis certaine que tu arriveras à entrer à Harvard, tu es fait pour la criminologie et ils passeraient à côté de quelque chose s’ils ne te prenaient pas » ronronna-t-elle sous ses caresses. Harvard, Bonaventure rêvait d’intégrer cette université depuis qu’il était gosse. Son père et sa mère s’y étaient rencontrés et aimés. Il voulait suivre cette tradition familiale même s’il avait conscience que Lucy ne pourrait jamais le suivre sur cette voie. « Merci… J’aurais tant aimé que tu puisses venir » regretta-t-il tandis qu’elle se redressait sur un coude pour plonger son regard dans le sien. « Hey je compte bien te suivre… bon ok je vais devoir me trouver un petit boulot, mais je te laisse pas partir sans moi ! Rêve pas… Hors de question qu’on me vole mon bon parti ! Je compte bien que tu m’épouses dans quelques années et que tu m’entretiennes » plaisanta l’adolescente tandis que son vis-à-vis grognait quelque chose qui ressemblait vaguement à : espèce de vénale.
Un couple, un choix d’avenir. Bonaventure, dix-sept ans.
[Je suis désolée, je ne peux pas. C’est au-dessus de mes forces] Un simple mot griffonné sur une feuille de brouillon et c’était tout un monde qui basculait vers le néant. Bonaventure, les traits tirés, se laissa glisser le long de son fauteuil roulant, image vivante du désespoir. Il aurait aimé pouvoir hurler mais ses cris restèrent prisonniers de sa gorge tout comme ses larmes. Elle l’avait quitté en dépit de toutes ses promesses, en dépit de tout ce qu’ils avaient vécu. Il se sentait trahi, abandonné lâchement alors qu’il avait tant besoin d’elle. Le jeune homme qu’il était devenu aurait du la haïr, mais il n’y arrivait pas. Il était sous le choc, totalement perdu. Il n’avait pas mérité cela, c’était comme une seconde punition. Bonaventure porta son regard sur le fauteuil roulant qu’il venait de repousser puis sur ses jambes immobiles. La fureur le gagna alors comme lorsqu’il avait huit ans. Il tapa sur ses cuisses, ses genoux, il frappa encore et encore comme s’il cherchait à ressentir la douleur mais rien ne vint. Et rien ne viendrait, il le savait. Ses jambes ne lui répondaient plus depuis cette foutue paralysie.
Lorsque sa crise se calma, il se rampa péniblement vers le canapé où il s’écroula de tout son long. La télécommande en main, il commença à zapper. Toutes les chaînes ne parlaient que de ce qui s’était passé à Harvard. Les attentats faisaient encore la une des journaux, plus de deux mois après les faits. Anéanti, il coupa le son et ferma les yeux. Des larmes coulèrent silencieusement le long de ses joues. Bonaventure avait tout perdu durant ces attentats : son meilleur ami, ses jambes et maintenant sa petite amie. Lucy n’avait pas supporté de le voir paralysé, de le voir diminué. Elle l’avait quitté comme cela, profitant de son séjour à l’hôpital pour prendre ses affaires de leur appartement. C’était un acte lâche et pourtant, une part de lui la comprenait. Plus rien ne serait comme avant. Comment pourrait-il reprendre sa vie d’avant ? Il n’était plus qu’un infirme traumatisé par le fait de devoir se rendre à nouveau sur les bancs d’Harvard. Il était terrifié à l’idée qu’un autre attentat s’y déroule. Il avait tout perdu ! Un SMS perturba son apitoiement. Il venait de la fédération américaine de basketball qui lui annonçait le déroulement des prochains championnats d’université. « Quelle journée de merde » jura Bonaventure en soupirant. Il n’avait pas le cœur à se désinscrire, il ne voulait pas renoncer à tout le même jour. Sa vie venait de prendre un tournant décisif, il le savait. C’était ce genre de carrefour qui pouvait mener à une vie de merde ou au contraire à une vie brillante. Avancer ou reculer ? Aller à gauche ou à droite ? « Demain…Je verrais ça demain » marmonna-t-il en cédant les armes face à ce sommeil qui le gagnait. Il était épuisé de ce combat incessant. Est-ce qu’un jour, il allait pouvoir mener une vie douce et calme ? Il n’en avait pas la moindre idée car après avoir lutté et lutté contre le racisme, il allait devoir combattre le handicap. Oui, il ferait ça demain. Pour l’heure, il voulait juste oublier et se bercer d’illusions que Lucy allait changer d’avis et lui revenir. Sa Lucy. Son premier amour.
A l’aube d’une nouvelle vie. Bonaventure, vingt-et-un ans.
« La vache, tu as pulvérisé ton regard ma couille ! » s’exclama l’un de ses meilleurs amis tandis qu’il s’approchait, un grand sourire aux lèvres. Voilà deux ans que les attentats avaient eu lieu et sa vie en était ressortie bouleversée. « Je te l’avais dit que je me sentais en pleine forme » lui répondit Bonaventure avec un sourire heureux. Il était fier du chemin parcouru depuis lors. Sa joie de vivre l’avait grandement aidé mais surtout, il avait pu compter sur le soutien de ses proches et de sa famille. Ses parents l’avaient tenu à bout de bras durant de nombreux mois après sa sortie de l’hôpital, l’aidant à gérer sa dépression nerveuse. Ce fut contre toute attente que Weasley Junior avait remonté la pente. Un beau jour, il en avait eu assez de se morfondre, assez de s’enliser dans ses pensées négatives. Il avait quitté sa chambre d’étudiant pour se rendre au gymnase. Il l’avait ressenti comme un appel furieux. Ce soir-là, il s’en souvenait comme si c’était hier, un groupe d’handicapé s’entraînait sur le terrain et il était resté là, à les observer longuement. Cela lui avait mis une claque salvatrice. Ce soir-là, il avait compris que son handicap ne l’empêchait pas de vivre ni même de remporter des défis. Tout était une question d’adaptation.
Bien sûr, il n’avait pas changé du jour au lendemain. Cela avait été un travail de longue haleine pour se reconstruire. Encore aujourd’hui, il éprouvait des difficultés à regarder son fauteuil roulant. Ce dernier faisait partie intégrante de sa vie mais il lui arrivait par moment de souffrir de sa présence. Bonaventure n’arrivait pas à l’assumer bien qu’il prenait soin de sa forme physique. Son manque d’assurance l’empêchait d’ailleurs de se tourner vers les femmes. Il avait eu quelques histoires mais rien de bien sérieux, rien de bien sexuel. Il n’arrivait pas à passer à l’acte sans compter qu’aucune femme ne semblait trouver grâce à ses yeux. Lucy continuait de l’obséder ou plutôt son départ continuait de le hanter. Comment retrouver l’amour alors qu’il était mutilé dans sa chaire et dans son cœur ? Il n’avait toujours pas trouver la réponse.
En attendant, il continuait de mener de front ses études et le handisport malgré les drames qui ne cessaient de se dérouler autour de lui. Heureusement, il n’avait eu aucun autre malheur dans sa vie malgré les récents événements. Le hasard du calendrier a fait qu’il était à l’hôpital à ce moment-là, à cause d’une mauvaise chute à l’entraînement.
Se reconstruire. Bonaventure, de nos jours.