Norrington évolue en eaux troubles depuis quelques semaines. A quoi se raccrocher ? Il ne sait pas vraiment et puis la création soupire. Il n'y a qu'elle pour lui permettre de sortir la tête de l'eau. Qu'elle qui peut lui permettre d'oublier le tumulte qu'est devenue sa vie ces derniers temps. La culpabilité en fardeau. Le Peintre erre dans les lieux familiers d'Harvard. Un carnet en main. Comme un fantôme dans un sentiment de trop loin. Machinalement, ses pas le mènent à la salle de danse. Son sujet de prédilection, le corps en mouvement, les danseuses, la grâce à l'état pure. Sans artifice, la perfection à ses yeux. Le Brun se désigne un coin en retrait de l'espace immense. Les Artistes ne lui prête guère attention, bien trop habitués aux allers et venues. Il reste ainsi quelques instants alors que les cours s'enchainent sans qu'il ne s'en rende compte. Son papier griffonne frénétiquement. Et puis, l'éclat au milieu des ténèbres. La lueur d'or ressort parmi les Anonymes. Norrington ne peut décrocher ses yeux de cette jeune femme, de ce qu'elle dégage, de cette fraîcheur et spontanéité. Il voudrait dessiner son visage mais elle est trop lointaine. Elle lui échappe et la frustration le gagne. Il amasse les détails, rassemblent ce qu'il peut d'Elle. Puis profite d'une pause du groupe, pour se rapprocher d'elle. « Salut. » lui glisse-t-il avec un sourire sincère. « Tu danses magnifiquement bien. » déclare le Maudit honnête en lui tendant la main. Espérons simplement qu'elle ne prenne pas peur de l'égaré tourmenté qu'il paraît.

Les cours de danse c'était ce que tu préférais au monde. Ta passion, ta vocation. Peu importait les mots que tu pouvais placer, ça n'en restait que magique. Puis t'en avais besoin. L'échappatoire, le second souffle. Tu laissais la musique infiltrer chaque parcelle de ta peau et les mouvement venaient eux même. L'improvisation, c'était ce que tu préférais. Laisser ton corps et tes émotions donner eux même la cadence. Danser, tournoyer et arrêter de respirer pendant quelques minutes. T'enfermer dans un nouveau monde sans complexe, sans difficulté. C'était l'art que tu préférais parce qu'il était le seul à te permettre d'oublier. Oublier la peine, la déception et ce morceau de femme briser que tu pouvais être. Oublier les trahisons, les disparitions et tout ce qui constituait ton mal être. C'était ton tour et tu pouvais déjà sentir ton esprit quitter le monde réel pour partir sur des choses plus saisissante. Plus enivrante. Danse. La musique qui démarre et la perte de contrôle. T'empile les gestes, t'accumule les pas et c'est comme si plus rien n'existait autour de toi. Rien. Juste toi et la musique. Juste cette fascination pour ce nouveau monde que tu crées à chaque fois. T'es bien là. Et puis vint la fin. Retour à la réalité, toujours aussi brutal. Tu peux rien contre tout ça et pourtant, tu voudrais recommencer encore et encore sans jamais t'arrêter. T'attrape une bouteille d'eau et tu reprends doucement ton souffle te mettant à l'écart des gens. C'est ton monde à toi, t'aimes pas laisser les gens s'immiscer mais on vient te parler. Ce n'est pas un danseur, ce n'est pas une connaissance. Il semble gentil, torturé mais gentil alors tu souris. Tu tends la main à ton tour empoignant la sienne avec légèreté. Les compliments c'est toujours plaisant. « C'est gentil.. Tu es ? »

Il a bien conscience que d'aborder une inconnue de la sorte peut paraître effrayant, pathétique ou tout simplement bizarre. Mais le Marginal se raccroche aux lambeaux de ses pulsions, il n'a tout bonnement plus rien à perdre. Le rejet n'est plus une notion qu'il redoute, mais qu'il a plutôt apprivoisé. Toutefois, concernant la Jolie Blonde, il n'y a pas de rejet à observer, du moins pour le moment. Elle lui tend la main, la glisse dans la sienne, sourit, tout simplement parfaite. « Aidan. » rétorque-t-il avec le même sourire, comme une embrasure dans la carapace, laissant apercevoir la lumière qu'il portait jadis au travers du rideau de noirceur. « Je suis Peintre. » Il n'aime pas en rajouter. Dire qu'il est très en vogue dans le milieu artistique, professeur à cette non moins célèbre université, à quoi bon ? Dans le tourment, il ne recherche que l'authenticité, désespérément. «Et toi ? » Quel peut bien être son identité ? « Tu danses depuis longtemps ? » Parce que cette grâce semble innée, devient-on danseur ou naît-on ainsi ? Cela vaut bien aussi pour Peintre ou plus largement pour Artiste. Parce que certaines personnes semblent porter cette caractéristique en eux comme un précieux don, quelque chose qui nous dépasse et qui nous échappe aussi en même temps. Tout ceci n'en est que plus envoûtant parce qu'inaccessible pour le commun des gens. Des semblables savent se reconnaître entre eux, comme une résonance entre deux âmes, inexplicable mais évidente pourtant.

Curiosité oblige. Peu importait ta sympathie ou ta facilité à te montrer courtoise lors de tes bons jours, tu aimais savoir à qui tu parlais. Rien qu'un prénom laissait pénétrer doucement dans l'intimité de son partenaire. Un moyen comme un autre de faire un pas vers les choses plus personnelle. « Et moi danseuse. » Ou étudiante en danse. A partir de quel moment pouvait-on se qualifier de danseuse ? Tu ne savais pas vraiment. Mais tu virevoltais depuis tellement longtemps déjà que pour toi, c'était un acquis. A quoi bon faire preuve de modestie quand tu étais parfaitement à l'aise dans ton domaine ? C'était ton chez toi, ton monde. Le seul endroit, ta seule façon de te sentir bien. Etre en marge du monde, c'était que ce que tu ressentais constamment. Sauf quand tu étais là. Sauf quand tu dansais. « Babylone. » Facile de deviner tes origines. Physiquement bien loin d'être flagrant, ton accent suffisait à te trahir. Peu importait les années passées en Amérique, tu n'avais jamais vraiment réussi à te fondre dans la masse. « Depuis que je suis capable de tenir sur mes deux jambes. Pourquoi ? » Il semblait peut être un peu trop s'intéresser à toi. Etais-ce un rapport avec on art à lui ? Tu n'en avais aucune idée mais la curiosité venait prendre le dessus encore une fois. Comme un besoin de tout comprendre, de tout savoir, tu voulais savoir ce qu'il pouvait avoir derrière la tête et t'avais chassé depuis longtemps l'idée que ce ne soit que par gentillesse.

Un sourire s'accroche furtivement à ses lèvres et l'ancien Lowell se surprend à ressentir une sensation de légèreté bienfaitrice. Fait-elle à tout le monde cet effet ? Il l'ignore et préfère alors se concentrer sur son prénom. Son regard se perd au lointain, il ignore de prime abord sa seconde question et après quelques secondes revient au visage de la  Gracieuse. « Babylone c'est un prénom parfait pour une fille parfaite. » Ses prunelles azurées observent la Douce au caractère qu'il sent pourtant bien trempé, plus que jamais, il est un homme à la recherche de contrastes et il sent sa trouvaille particulièrement adaptée. « Le symbole de la jonction entre nous autres pauvres créatures terrestres et les cieux. » Sa tête s'incline de côté. « C'est cet effet que tu donnes lorsque tu danses Babylone. » Il observe toujours la jeune femme et se mordille la lèvre avec un regard malicieux. « Mais Babylone a conduit à notre perte, elle a réveillé nos plus grandes ambitions mais aussi le chaos inhérent à chacun de nous... » Ses sourcils se haussent alors qu'il mène sa réflexion, cette fille l'inspire il n'y a pas de doutes et il a bien longtemps qu'il n'a pas ressenti pareille sensation. « Mais ne t'en fais pas, je me suis perdu depuis bien longtemps. » Pas de risques de tomber plus bas semble-t-il vouloir lui dire. Il ne sait pas vraiment si son petit discours le fera passer pour un illuminé ou au contraire aura une quelconque résonance dans l'âme de la Lionne chétive qu'elle représente. « Est-ce qu'on t'a déjà dessiné ? » Voilà la principale raison de sa venue à elle, et autant qu'il ne lui fasse pas perdre davantage de temps en évitant le sujet.

Tu ne savais pas vraiment d'où te venais cette idée mais pour toi, les gens ne venaient pas sans but précis derrière la tête. Alors peu importait à quel point il pouvait s'montrer aimable avec toi en cet instant précis, t'étais certaine qu'il voulait autre chose derrière. On n'abordait pas une inconnue juste pour discuter danse et dessin. T'attendais juste qu'il fasse le premier pas pour réveler ses attentes puisque forcément, elles ne tarderaient pas à venir. « Parfaite ? Ça sonne étrangement faux. » Personne n'était parfait. Surtout pas toi. Etais-ce là qu'un subterfuge pour que l'inconnu torturé parvienne à ses fins ? Probablement. Mais il t'arrachais quand même un nouveau sourire. Sa compagnie n'était pas des plus désagréables, fallait le dire. Il reprenait la parole et tu croisais les bras sur ta poitrine écoutant ses paroles qui sonnaient comme une mélodie. « Pour résumer je suis une jonction entre le terre et la ciel qui finira par mener les autres à leurs perte ? » Charmant. Tu savais pas que t'étais capable d'inspirer des choses en dansant. Encore moins ce genre de chose là. Et étrangement, alors que tu aurais du fuir devant le discours étrange de l'inconnu, tu restais face à lui alors qu'il posait une question étrange. « Non ? Mais m'semble que tu vas y remédier. » Un peintre qui te posais cette question c'était pas anodin. T'étais pas stupide, forcément que c'était une demande dissimulé.

Elle n'est pas le genre de fille à qui on peut faire la causette pour peu qu'on sache utiliser le bon verbiage. Et ce n'est pas pour lui déplaire. Une expression narquoise habille soudainement ses traits alors qu'elle fait part de son doute quant à sa perfection. « Parfaitement imparfaite. » s'entête-t-il toutefois à défendre, très au clair avec son argumentaire pourtant obscur puisque issu seulement de sa pauvre tête. Il se contente toutefois d'acquiescer lorsqu'elle offre une explication bien plus cartésienne de sa métaphore. « Oui mais c'est plus poétique dans ma tête. » rétorque-t-il en riant doucement, presque furtivement, presque surpris par cette fugace expression de joie qui s'empare de lui. « L'humain se destine à l'ascension puis à sa perte, c'est indéniable. » ajoute le Peintre comme expliciter son opinion certes un peu sombre. Mais les utopies sont bien lointaines désormais. Aux jours d'enfant. Ses sourcils se haussent alors qu'elle accepte presque de poser pour lui. La nonchalance avec laquelle elle s'y plie le fascine presque. « Tu accepterais ? » Sa voix se fait soudain plus pressée, presque impatiente devant le travail qu'il pourrait accomplir concrètement et qu'il a déjà commencé à construire dans sa tête. Cette lueur dans le tortueux de ses méninges est aussi bienfaitrice qu'inattendue. Sans doute que l'Indifférente n'en a pas conscience mais ce n'en est que plus attirant. Cette distance entre eux et cette proximité en même temps.

Toi, ça ne te dérangeais pas. Après tout, tu lui venais en aide et c'était une nouvelle expérience pour toi. Puis tu trouvais ça plaisant de tomber sur quelqu'un qui ressentait l'envie de te poser sur papier. Pour en faire quelque chose de moins éphémère. De plus ancré. Non, ça ne te dérangeais. Au final, tu ne tenais même pas compte de l'approche bizarre et de tout ce qui pouvait aller avec. T'avais pas de problème avec ça. Et puis il égayait ta journée sans même le savoir. De quoi pourrais tu te plaindre ? Il était agréable -peut-être un peu étrange- mais tout de même agréable. Tu ne te plaindrais pas. « Ce sera donc mon caractéristique. » Parfaitement imparfaite. T'aimais bien. Ça allait bien avec toi. Avec ce que tu dégageais. « Je ne fais de la poésie que quand je danse. » Le reste du temps, t'étais pas douée dans ce domaine. Disons que toi, tu parlais avec ton corps. Simplement. Le reste était peut être un peu trop compliqué pour ta personne. T'arrivais pas trop à gérer. Mais au moins, t'avais une façon de t'exprimer bien à toi. « Je préfèrerais quand même repousser ma perte un peu plus loin. » T'avais pas envie de chuter maintenant. Les chutes étaient toujours beaucoup trop douloureuse et t'en voulais pas. Tu poussais tout au loin, repoussais tout à demain. Peut être étais-ce ton côté enfantin. T'en savais trop rien. « Pourquoi je refuserais ? » Il t'inspirais confiance au fond. Peut être que c'était pour cette raison que tu fonçais tête baissé sans trop te soucier du reste. Puis ça ne restait que du dessin et jamais il ne t'avais demandé de poser nue. Tu ne pouvais donc pas l'envoyer balader.

Finalement la Belle se radoucie et Aidan respire. C'est sans doute son côté enfant de chœur qui induit une certaine indulgence. Norrington a ce don d'avoir un visage auquel on ne peut rien reprocher bien longtemps. Il partage cela avec son cher cousin et a toujours eu l'intelligence de savoir s'en servir à l'occasion. « Que ? » Il rit doucement. « C'est bien plus parlant que des mots ou même un dessin. Je ne fais que de tenter de reproduire une chose que tu exprimes naturellement, sans artifices. » Et c'est sans doute pour cela que les Danseuses le fascinait autant. Prenez l'Adorable en face de lui et le simple fait qu'elle s'adonne à son art en pleine inconscience de son talent ne la rendait que plus précieuse encore. Il hoche ensuite la tête lorsqu'elle fait référence à la chute et il ajoute un petit sourire en coin. « C'est la chute des manants comme moi que tu entraînes. C'est comme le fou qui voudrait décrocher la lune. On a beau t'observer, on y arrivera pas. » La Lune pouvait-elle seulement chuter ? Sans dévaster le monde qui l'entoure, ça paraît impossible. Elle semble toute prête à accepter son offre et le Peintre a peine à cacher son empressement face à ce nouveau projet qui se dessine sous ses yeux. « Je ne sais pas... Parce qu'on ne se connaît pas ? » Ses prunelles azurées se posent sur le visage de la jeune femme alors qu'une main vient encercler son propre menton, il hausse un sourcil. « Ah et aussi parce que des peintures te représentant risquent d'être exposées un peu partout? » Autant lui dire tout de suite la vérité. Si il expose ces peintures-ci, cela n'aura rien d'un petit cocon intimiste et secret. Norrington a un nom désormais.