J'avais besoin de voir Hendrix, j'avais besoin de lui parler, de me mettre à côté de lui. A côté de sa tombe. Il était désormais décédé depuis plus d'un mois.. et le temps passait décidement trop vite et pas assez vite en même temps ce qui était assez paradoxal j'le sais. Un mois. Un putain de mois où des gens l'avaient déjà oublié pour passer autres choses.. et ça, ça m'tuait sans vouloir faire de jeu de mots. J'pourrais jamais l'oublier, j'pourrais jamais faire comme si Hendrix n'avait jamais été dans ma vie c'tait certain. Alors oui, régulièrement, j'allais au cimetière, à pied naturellement en bonne claustro que j'suis qui évite tout véhicule depuis l'accident de voiture, pour être avec lui.. c'tait presque un dévoir de mémoire comme une sorte de défouloir. Il m'écoutait, bon, il était obligé et j'pouvais me recueillir sur sa tombe.. quand j'voulais. Contrairement à toutes celles de ma famille, à quelques heures en train de Cambridge. En entrant dans le cimetière, tout de noir vêtue, j'voyais différentes personnes. Certaines que j'voyais régulièrement.. et d'autres des nouvelles, dont j'retenais le visage. Toutes ces personnes qui avaient perdu un proche bien trop tôt. Plus j'avançais vers la tombe d'Hendrix, plus j'm'approchais des décès récents.. et c'est avec surprise que j'vis une rousse. Bon, vous allez m'dire, y a un tas de rousse sur Cambridge.. sauf qu'elle, j'la connaissais. Athina.. ? demandais-je tout en m'avançant doucement.

Fallait bien que j'y aille un jour. Sur sa...tombe. Depuis que j'avais reçu la lettre, ma vie était un cauchemar. En fait c'était plus une vie. Je faisais que de me poser des tas de questions : pourquoi il a rien dit ? comment c'est possible : lui si fort, si protecteur, si... Ruben quoi ! est-ce qu'il a souffert ? Putain, j'aurais tellement voulu être là, le soutenir durant ses derniers jours, lui dire que je l'aimais, que je voulais faire ma vie avec lui, que c'était la meilleure chose dans ma vie, ce qu'on avait tous les deux. Même si c'était bancal, que les circonstances étaient contre nous. Et je n'arrête pas de penser à notre soirée en Martinique : lui, moi, nos baisers. Ses retrouvailles écourtées. Son silence, son silence qui avait dû correspondre au moment où tout avait dégénéré. J'deviens folle par moment, je me demande si il a pas fait semblant comme Kit, puis je me rappelle son corps à la morgue. Enfin bon, j'étais là, devant cette foutue tombe. J'avais remonté les allées en cherchant comme je n'étais pas venue à l'enterrement, trop dur. Et j'ai vu son nom : Ruben O.Werner, sur cette putain de plaque, et j'ai fondu en larmes. J'ai été assaillie par la réalité. J'suis restée comme ça longtemps, à essayer de me rappeler son visage, mais je voyais que la plaque derrière mes paupières, comme s'il restait qu'un nom de lui et rien d'autre ! Et j'ai entendu mon prénom. Je me suis retournée et derrière moi, j'ai vu Briony. "Bri..." C'est tout ce que j'ai pu dire et puis je me suis remise à pleurer. J'ai séché mes larmes en vain, et j'ai dit : "C'est Ruben..." Et puis, j'ai réalisé qu'elle était sûrement là pour quelqu'un aussi, toute de noir vêtue. Moi j'portais un jean, des converses et un sweat d'harvard. J'ressemblais à rien, quoi.

C'tait forcément Athina. J'reconnaissais sa morphologie derrière ses longs cheveux roux et en plus de ça, elle portait un sweat à l'effigie de notre université. Ca ne pouvait être qu'elle.. qui est-ce qu'elle venait d'enterrer.. ? J'n'étais pas au courant de tout ce qui se passait sur Harvard, surtout en ce moment, où j'tais devenue carrément insociable au point de devenir ermite et de dire fuck à tous les gens qui essayaient de m'aborder. Faut pas m'faire chier en c'moment et c'est tout. J'm'étais alors avancée vers ladite personne, essayant malgré tout un nom.. la jeune femme se redressa légèrement, en reconnaissant son prénom et je jetais un coup d'oeil à la plaque sur la tombe, bien trop rapidement pour que j'puisse voir le nom. "Bri..." Moi, qui depuis l'enchainement d'évenements dans ma vie qui m'avait rendu insensible à la douleur des autres, répugnait de voir les autres exprimer leurs émotions.. j'tais touchée. Elle restait mon amie, ma collègue, j'pouvais pas la laisser tomber. J'm'approchais d'elle. "C'est Ruben..." Okay. Okay.. non, pas okay du tout. J'ne disais rien, j'essayais juste de calmer les battements de mon coeur avant de prendre dans mes bras la jeune femme. J'pouvais faire que ça. Ca devait être récent pour qu'elle soit aussi fragile.. et j'voulais juste qu'elle sache que j'tais présente pour elle. Présente et que j'allais pas la laisser tomber. Est-ce qu'elle en avait parler à quelqu'un ? J'en avais aucune idée.. j'supportais pas l'idée qu'elle soit seule malgré moi. Lâches toi, j'suis là.. J'passais ma main dans ses cheveux puis dans son dos.

Il est plus là. Parti, envolé. C'est tellement dur à réaliser et je réalise maintenant, devant cette tombe. Devant sa tombe... Briony arrive et je peux rien faire d'autre que pleurer et du coup je pleure en l'informant brièvement pour Ruben. elle me prend dans ses bras et ça fait tellement du bien d'avoir une amie à serrer dans ses bras. Je me suis trop repliée sur moi-même, je me suis enfermée dans ce silence. Plus rien n'a de sens de toute façon, sans Ruben sur cette Terre. Je m'accroche désespérément à Briony, enfouissant mon visage dans ses cheveux. Enfin, je finis par la relâcher et je lui murmure : "Merci..." Et je retourne mon regard sur la tombe. Je ferme les yeux un instant et il me sourit : il est là un quart de seconde. Puis je les ouvre sur ce foutu cimetière et je redirige mon regard sur Briony. Je lui souris faiblement et lui demande : "et toi, t'es là pour qui ?" Je trépigne sur place, je peux plus rester devant sa tombe, je peux pas. Il est pas là, nan, le moment où j'ai l'impression d'être le plus avec lui, c'est quand je gratte un ou deux accords sur sa guitare. J'ai toujours pas eu le courage d'ouvrir ce cahier, ce cahier où j'ai vu écrit : "mes compos". Quand j'ai été cherché sa guitare, j'ai aussi pris la chemise blanche de notre première fois et le sweat que j'ai là, c'est le sien aussi. Il me l'avait donné y a plus longtemps par contre. Avant qu'on ne rompe. J'ai même pu retrouver des trucs à moi chez lui. Comme on a rompu avant le Summer Camp, on a pas eu le temps de nous rendre nos trucs respectifs. En plus on avait fait valise commune pour l'Australie, alors quasiment toutes mes fringues sont restées chez lui.

J'avais beau avoir vécu plein de deuils durant ma courte vie.. j'savais toujours pas comment j'devais réagir face aux deuils des autres, ce dont ils avaient envie. Car même moi j'savais pas vraiment c'que j'voulais pour être honnête.. alors oui, c'tait vraiment compliqué. Mon premier réflexe avait été de prendre dans mes bras la jeune femme, pour lui faire comprendre que j'tais là et qu'elle n'était pas seule face à ce drame dans sa vie qui allait laisser des séquelles très importantes. On ne guérit pas d'un deuil facilement. Encore moins d'une personne qu'on aime, comme elle, elle a aimé Ruben. Leur histoire avait été que beaucoup trop courte et elle avait bientôt s'en vouloir pour différentes choses, ressentir de la culpabilité. Ca, j'connaissais, c'tait mon rayon. "Merci..." J'sais pas si elle va mieux.. fin, non, c'tait évident qu'elle n'allait pas mieux, mais peut être qu'elle réussissait à se contrôler à peu, à se calmer.. c'tout ce que j'espérais. T'façon, elle avait pu à cacher les apparences, j'l'avais vu pleurer. Elle n'avait pu à avoir honte. "et toi, t'es là pour qui ?" J'déglutis avec difficulté, jettant un regard vers la direction que j'aurai dû prendre pour aller vers la tombe de mon ex petit ami. Hendrix. J'lui avais déjà parlé d'Hendrix, elle savait tout de mon histoire avec lui. Qu'il avait été mon meilleur ami, qu'on s'était avoués nos sentiments en novembre 2012, qu'il avait accepté de ne pas coucher, parce que j'tais pas prête.. puis que j'tais allée voir Andy. Qu'on avait recouché ensemble à Halloween dernier, avant que j'tombe enceinte pour perdre le bébé quelques mois plus tard. J'sais pu si j'lui avais dit que ça s'était arrangé entre lui et moi.. au pire c'pas ça qui va changer la donne. Il est mort de quoi ? Question cash, hello.

Je suis malgré tout contente d'être venue ici. Parce que c'est la première fois que je sors de mon silence et que je me laisse vraiment aller. Avec le départ de Quinn, je vis seule avec Elo. Et franchement, j'ai beau l'adorer, je sais qu'elle peut pas endurer ça avec moi. Elle est malgré ses problèmes familiaux trop innocente pour ça. Briony, c'est une autre histoire, avec la mort de ses parents, il ne lui reste qu'Avery, son frère. Les drames, elle connait. Son histoire cahoteuse avec Andy lui permet aussi de comprendre ma vie sentimentale plus que bancale. Quand j'arrive à reprendre un peu le dessus, je l'écoute me dire que c'est Hendrix qu'elle est venue voir. Et là c'est le choc. Je la regarde et je sais pas quoi dire. Qu'est-ce que je fous chez les Quincy moi, à pas savoir quoi dire aux gens qui sont importants pour moi quand ils vont mal ? Je finis par lui prendre la main, la serrer fort dans la mienne et lui dire : "J'suis désolée, ça... ça fait longtemps ?" Et ensuite, elle me demande de quoi il est mort. Je ressens les larmes me monter aux yeux. Je peux même pas mettre de nom dessus. Si j'avais le courage d'appeler ma soeur, Dianna, je pourrai lui demander, elle saurait me répondre. Mais non, je peux pas, je leur ai jamais présenté Ruben. Et pourtant... Ils l'auraient adoré. Il auraient été heureux de me voir avec lui, ça c'est certain. C'était un homme bien. Je respire un grand coup et je dis, la voix cassée : "Du coeur. Il avait une maladie incurable. Il me l'a jamais dit." J'explose de nouveau en sanglots, le dire ça fait trop de mal et ça me libère en même temps.

C'était vraiment étrange comme sensation de voir quelqu'un qu'on connaissait dans un cimetière et pas pour la même personne.. mais both pour un étudiant d'Harvard. Comme si y avait une certaine malédiction et que la crainte des enfants "en savoir trop ça peut vous tuer" était vrai. M'bon, c'pas le même contexte que dans lequel on met ce dicton mais c'pas grave. Ca m'faisait aussi étrange de parler d'Hendrix car quelqu'un.. même si c'tait juste l'évocation de son prénom, c'tait déjà vraiment beaucoup. "J'suis désolée, ça... ça fait longtemps ?" J'avalais difficilement la salive à c'moment là. J'aurai bien aimé dire que genre il était mort pour une cause noble.. ou quelque chose qui le tenait à coeur mais non, c'tait tout simplement pas le cas. Il méritait tellement mieux. Depuis un mois. Fin août quoi.. Le 27. Quand on m'avait envoyé ce fameux SMS qui avait absolument tout changer "Du coeur. Il avait une maladie incurable. Il me l'a jamais dit." J'prenais la main d'Athina dans la mienne, la serrant très fort et caressant sa peau de mon pouce. J'savais c'que c'tait.. Hendrix avait eu le droit à la même mort peuchère. Pauvre de lui.. il était vraiment mal fini ahem. Il voulait que tu l'vois car les yeux d'une femme qui l'aimait.. pas d'une femme qui a peur, qui a pitié ou quoique ce soit. C'est une preuve d'amour j'pense. Il voulait que tu restes qui tu es. Arf, en espérant qu'elle le prenne bien c'que j'venais de dire parce qu'il y avait tellement d'interpretations possibles après.

Venir ici, au cimetière, c'est le plus dur que j'ai fait. Depuis que j'ai reçu cette lettre, je vis dans un état second et les bancs de la fac, je les déserte de plus en plus. Vous savez, je suis censée commencer mes stages à l'hôpital, mais je me suis défilée pour cause de deuil. Ils ont été compréhensifs, mais plus le temps passe et moins j'y crois... Moins je crois que je vais refaire surface et moins je crois que je vais refoutre les pieds dans mes cours de médecine. Ce que j'arrête pas de penser, c'est que Ruben a fait allusion à ma carrière de comédienne, pas à ma carrière de médecin. peut-être qu'il savait que j'en étais pas capable, que c'était pas fait pour moi... "Tu tiens le choc ?" je lui demande ça sans conviction... Comment voulez-vous tenir le coup après pareil nouvelle... A la voir comme ça, je me doute bien que c'est pas rose pour elle et que c'est dur. "Andy te soutient ?" Je déteste ce mec, c'est un connard, mais peut-être pas au point d'abandonner sa copine au moment le plus inopportun. Je lève les yeux au ciel en l'entendant parler... Ouais, c'est peut-être pour ça qu'il m'a rien dit. "Franchement Bri, tu crois que je l'aurais moins aimé en le sachant malade ? Nan, j'aurais juste pas perdu mon temps avec Kit, j'aurai mis les choses au clair avec cette Isadora pour qu'il reste avec moi ! Pour qu'on soit ensemble jusqu'à la fin !" Je crie presque à la fin de ma phrase, alors que les sanglots me reprennent. je retire ma main de celle de Briony. Je m'en veux de réagir comme ça. Je sais pas gérer ma peine, je veux pas être violente avec elle... Je m'en veux tellement d'avoir précipité notre fin à tous les deux... On aurait dû être ensemble, j'aurai dû le soutenir, lui faire profiter de la vie, jusqu'à la fin. On aurait pu faire le tour du monde, aller visiter des tas de zoos ! J'sais pas ce qu'on aurait fait, ce qui est sûr, c'est que je l'aurais pas lâché jamais ! Je finis par sécher mes larmes un peu, et je lui dis : "J'suis désolée... On marche ?" J'veux m'éloigner de cette tombe, Ruben n'est pas sous cette terre, j'en suis sûre.

J'aurai préféré ne pas voir Athina. C'est ptete cruel mais j'pas forcément envie de l'épauler, de soutenir sa peine alors que j'avais du mal moi même avec ce que j'vivais. Pourtant, j'voulais pas l'abandonner et la laisser seule parce que j'voyais très bien qu'elle était au fond du gouffre et qu'elle avait même pas commencé son deuil, ancrée dans la peine, la douleur et la non comprehension de ce qui s'passait autour d'elle. Ca devait être bagdad dans sa tête, j'vous jure. "Tu tiens le choc ?" J'levais les yeux vers la quincy, vide. Totalement vide. Non ? Est-ce que c'est une vraie réponse ça ? "Andy te soutient ?" AHAHAH la question qui tue guys. J'peux me débrouiller seule. C'tout ce que tu auras Ath, vas pas chercher midi à quatorze heures, j'veux pas évoquer Andy en même temps qu'Hendrix surtout pas dans ces conditions. "Franchement Bri, tu crois que je l'aurais moins aimé en le sachant malade ? Nan, j'aurais juste pas perdu mon temps avec Kit, j'aurai mis les choses au clair avec cette Isadora pour qu'il reste avec moi ! Pour qu'on soit ensemble jusqu'à la fin !" J'restais interdite face à la réaction d'Athina, tellement remplie de colère, de souffrance et de tout ce que vous voulez.. Elle avait lâché ma main et j'tais plantée là à côté d'elle, ne sachant juste pas quoi faire. J'comprenais les regrets qu'elle avait, j'en avais aussi, mais j'savais pas quoi lui dire non plus.. c'tait désarmant. "J'suis désolée... On marche ?" J'acquiesçais, la prenant par l'épaule pour avancer, tout en frottant un peu son bras pour la réconforter comme j'le pouvais. On peut sortir du cimetière même, c'est plus simple. Tant pis pour Hendrix.. quoique. J'veux juste faire un tour sur la tombe d'Hendrix, elle est à deux pas. J'veux voir les fleurs, prier, regarder sa photo et partir. Comme ça, c'tait tout simple.

Je crois pas que le cimetière était une bonne idée.  Nan, au final, j'ai juste encore plus le coeur détruit, j'ai juste envie de rentrer, prendre une douche et aller dans un bar, un club ou n'importe quoi... Briony, elle tient pas le coup, elle se débrouille pas seule. Elle fait comme moi : elle survit. Comme elle peut. C'est bizarre, elle relève pas mon allusion à Andy. P'têtre qu'il l'a lâché finalement, tout est possible avec ce mec. J'ai une réaction un peu exagérée à un moment. J'suis un peu à fleur de peau, le moindre dérapage des gens me met en colère, me fait pleurer... Finalement, elle me comprend et elle me propose de sortir du cimetière. Mais avant, elle veut passer voir la tombe d'Hendrix. "Oui, bien sûr, t'es venue là pour ça." Moi j'comprends pas. Ca va lui apporter quoi ? C'est pas trois fleurs, une jolie tombe, une photo qui vont lui remonter le moral, si ? Avec moi ça marche pas. Nan, j'ai pas besoin de ça pour le savoir présent. Suffit que je renne sa guitare, que je me couche dans mon lit avec un de ses vêtements et je sens qu'il est là. Un peu et je l'entendrais presque m'appeler "Thina". C'est lui qui a inauguré ce surnom... Lui qui l'a toujours utilisé... Comme si je devenais une autre, plus meilleure, plus "Thina" que "Ath" ou je sais pas quoi. Ca me plaisait. J'accompagne donc Bri jusqu'à la tombe de son cher ami. Avec Ruben dans la tête.