La journée avait été mauvaise, beaucoup trop mauvaise. T'avais eu tes parents aux téléphone qui, comme à leurs habitudes, s'étaient extasiée sur les prouesses de ta petite soeur avant de finalement te rappeller à quel point tu n'étais pas au niveau. Puis, tu t'étais pris la tête avec Milan encore une fois pour des broutilles et ton professeur de musique avait encore une fois décidée de t'en mettre plein la tronche. Fallait aussi dire que tu lui rendais pas forcément la vie facile mais ce n'était pas une raison pour te descendre plus bas que terre à chaque fois qu'il en avait l'occasion. C'est donc totalement hors de toi que tu quittais les cours allant t'installe dans un endroit tranquille et surtout vide. Parce que tu voulais tomber sur personne. Parce que tu sentais que ta carapace était en train de se briser et tu ne voulais certainement pas que quelqu'un assiste à ça. Cela faisait trop longtemps que tu jouais les durs et il fallait bien que tu finisses par craquer. Les larmes aux yeux, tu te laissais tomber par terre essayant de contrôler ta respiration le plus possible sans grand succès. Il n'avait fallut que deux minutes pour que tu fondes en larmes et vu le chaos qu'était ton esprit, ça promettait de durer.

J'avais passé une bonne journée... plutôt banale à vraie dire. J'tais allé en cours, j'étais passé voir Coraleen chez sa mère, j'avais passé du temps avec Mallory pour bichonner nos motos et maintenant j'avais envie de sortir un peu, profiter du beau temps bien qu'il ne fasse pas particulièrement chaud. J'avais en outre pas eu le temps de m'ennuyer, mais j'avais pas non plus eu un rythme effréné, et aucune prise de tête dans la journée. J'me rendis donc au parc, à la recherche d'un endroit tranquille et vide où j'pourrais avoir la paix et réviser sans qu'on vienne me chier dans les bottes. Je finis par dénicher un endroit sympa, un banc éloigné de tout, sauf que la place était prise par une personne que je connaissais un peu. Zippora. J'étais pas forcément très proche d'elle, c'tait une mather alors j'gardais un peu mes distances, mais elle avait pas vraiment l'air dans son assiette. Hésitant un moment entre rebrousser chemin ou aller la voir, je finis par m'avancer et m'asseoir sur le banc à côté d'elle au risque de me faire envoyer valser. Ça va pas ? Sérieux, elle avait l'air au bout du rouleau, elle que rien ne semblait atteindre, en temps normal. J'connaissais bien ça, moi aussi.

Tu te sentais pitoyable à pleurer de la sorte. Parce que c'était le genre de truc qui ne t'arrivais jamais. Non. T'avais toujours réussi à garder les pires trucs au fond de toi pour ne pas craquer mais, fallait vraiment croire qu'aujourd'hui était tout sauf une bonne journée. Les larmes inondaient ton visage alors que ton regard se perdait dans le vie. C'était sûrement une accumulation de tout. Comme si tout ce que t'avais enfermée au plus profond de toi se décidait finalement à ressortir. Et le résultat était bien loin d'être sympa. Pourtant, tu laissais faire. T'essayais pas de te retenir. Au pire, tu serais par la suite tranquille pendant un long moment. T'espérais juste que personne ne passe par là. Parce que t'étais pas censée être aussi faible et tu ne voulais pas que quelqu'un te vois comme ça. Sauf que bien sûr, la chance n'était pas de ton côté et quelqu'un vint prendre place à tes côtés. Un Eliot. Génial. Tu le regardais furtivement l'identifiant comme Andy McDougall. Tu l'aimais pas mais, tu le détestais pas non plus. Par respect pour Briony en quelque sorte. « Si ça va. » D'un revers de main, tu essuyais tes yeux essayant de te reprendre. Pourquoi fallait il que ce soit quelqu'un de votre maison ennemi ? Et s'il était là pour te rabaisser t'allais sûrement te mettre hors de toi. Déjà qu'en temps normal, t'étais pas la fille la plus calme au monde, là, fallait surtout pas te chercher. « Tu veux quoi ? »

C'pas mon genre d'aider les gens. Même ceux qui pleurent... à la limite, j'leur tournais l'dos puis c'était fini quoi. Mais avec Zippora, on s'était jamais clashé. On s'était jamais rien fait. J'savais juste, de vue, quel genre de fille c'était et j'me doutais qu'si aujourd'hui j'la voyais pleurer, c'tait qu'elle était pas franchement au meilleur de sa forme. Ses proches le savaient ? Si oui ils faisaient quelque chose ? Pour moi, quand ma carapace avait commencé à craqué, ça avait été le début de la descente aux enfers. Même si j'détestais les Mathers, je voulais pas fermer les yeux, pour le coup. Elle essuya ses larmes comme pour que je ne les voie pas alors qu'il était déjà trop tard, m'affirmant que ça allait. A d'autres, quoi, c'est clair comme de l'eau de roche que ça allait pas. Je haussai les épaules à sa question, fourrant les mains dans mes poches en m'appuyant contre le dossier du banc. J'sais pas trop. J'me dmande c'qui peut t'faire pleurer alors que d'habitude t'as l'habitude de t'en foutre de tout. C'tait pas tellement un reproche, dit comme ça, mais plutôt un constat. D'habitude elle semblait pas accorder d'l'importance à quoique ce soit alors ça m'surprenait de la voir aussi bas.

Ouais qu'est ce qu'il pouvait bien te vouloir ? Parce qu'il avait rien à faire là. Ou du moins, il avait aucun intérêt à t'adresser la parole. Vous étiez pas pote, loin de là même et vu son statut, il était clair qu'il avait aucunement besoin de ton aide. Tout les Eliots avait ce qu'il voulait en claquant des doigts. Toi, à leur yeux, t'étais que la pauvre Mathers qui se bourrais la gueule à longueur de journée. En gros, t'avais pas un grand intérêt. Alors même si vous ne vous étiez jamais rien fais et même si tu tentais de rester un minimum polie pour Briony, t'avais quand même des limites. Surtout qu'il venait de te voir en train de pleurer et c'était le genre le pire truc qui pouvait arriver. Tu passais tes mains sous tes yeux essuyant un maximum tes joues trempées et cherchant quoi lui dire. Parce qu'il avait raison. Généralement, t'en avais rien à foutre de tout est de tout le monde. Et lui il était comme toi. C'était d'ailleurs étrange de savoir que vous vous ressembliez autant. « Une accumulation. Rien d'important. » T'étais pas le genre de fille qui parlait énormément. Encore moins à un pseudo inconnu. Il était clair que t'allais pas lui déballer ta vie comme ça. Il venait déjà de voir que t'étais pas invincible et c'était bien suffisant. « T'aurais pas un feu ? » Ouais, fumer une clope ça te déstresserait un peu.

J'étais pas l'mec le plus altruiste de la terre, ni le plus gentil non plus. On pouvait m'passer une vidéo sur la pauvreté en Afrique, je ne ferais que bâiller... sans compassion. J'pense que pour m'toucher, fallait que c'qu'on me montre ait un point commun avec moi. Fallait que j'puisse ressentir la douleur dont on m'parlait pour qu'elle me fasse quelque chose, et c'était c'qu'il se passait avec Zippora. Elle qui d'habitude pissait à la raie des gens, ne les laissaient pas l'atteindre, se retrouvait sur un banc à pleurer parce que sa carapace se fissurait, comme la mienne l'avait fait deux ans auparavant. Une accumulation... j'comprenais que trop bien. Quoi comme accumulation, c'était pas ça l'important. Ok. J'vais pas insister, de toute manière, j'suis venu... jsais pas trop pourquoi jsuis venu. Ptêtre pour qu'elle se sente pas trop seule dans un moment difficile. Mais j'avais pas l'intention de devenir son bff kiss kiss pyjama party. On était différents et mieux valait en rester là non ? Si, tiens. fourrant la main dans ma poche, je lui tendis mon briquet et dès qu'je sentis la fumée de sa cigarette, je sortis mon paquet aussi, tout compte fait. Tu devrais leur mettre un coup d'tête à ceux qui te posent problème. Ça marche, en général.

Et puis finalement, après réflexion, t'avais pas vraiment l'impression que quelque chose te déstresserait vraiment. Tu t'étais jamais sentit aussi mal en fait. T'avais jamais eu l'impression de perdre tes barrières comme ça. C'était ton seul moyen de défense, le seul truc qui faisait que tu ne plongeais pas plus bas que ce que tu n'étais déjà et finalement, un coup de plus avait suffit à virer toute cette carapace que tu t'étais forgée. C'était comme si tout ce que tu avais construit ces dernières années s'étaient envolés. D'autant plus que quelqu'un avait vu ta faiblesse. Il l'avait vu. Et t'aimais pas ça. Mais pouvais-tu réellement lui reprocher d'être ici. Après tout, tu ne pouvais t'en prendre qu'à toi même. C'était uniquement de ta faute tout ça. Si, tiens. T'attrapais le feu qu'il te tendais et aspirais une grande bouffée de fumée ayant l'impression qu'elle te donnait finalement un second souffle. Chose assez bête si on prenait en compte le fait que ça tu tuais plus qu'autre chose. Sauf qu'au pire, tu t'en foutais. T'étais pas là pour récapituler les effets nocifs que pouvait avoir la cigarette. Tu devrais leur mettre un coup d'tête à ceux qui te posent problème. Ça marche, en général. Sans trop le vouloir, t'esquissa un sourire à sa remarque. Il était exactement comme toi, c'était indéniable. Il était pas du genre à parlementer. Non. Il rentrait plutôt dans le tas histoire d'être tranquille. Alors peut être qu'au final il n'était pas si con que ça. Peut être que c'était le genre d'Eliot qui faisait l'exception. « J'pensais plutôt à les enterrer vivant. S'tu veux mon avis c'est plus radical. » Ouais t'avais toujours été assez extrémiste mais au final qu'est ce que ça changeait ? T'étais comme ça, tu pouvais pas le changer. Ou plutôt t'en avais pas envie. « J'aime pas les gens. J'aime pas grand chose en fait. J'crois que je suis pas faite pour côtoyer des personnes en vrai. »

J'y crois pas quand même... Moi, Andy McDougall, j'suis en train de... faire rire une mather parce que j'l'ai vu pleurer. Enfin, rire, tout est relatif. Disons que j'lui faisais savoir ma façon d'penser, j'lui conseillais d'emmerder l'monde et de mettre un coup d'boule à ceux qui le méritaient, puis de continuer sa vie, et l'idée semblait bien lui plaire. A sa réponse, j'esquissai un sourire à mon tour, tirant sur ma cigarette et haussant les épaules. C'est cruel, aussi. J'aime bien l'idée d'les faire mourir à ptit feu, répondis-je sans la moindre ironie... enfin, un peu quand même, puisque j'irais pas tuer un mec, j'irais pas vraiment enterrer quelqu'un vivant, même si c'était franchement pas l'envie qui manquait parfois. Ca s'peut. Y a des gens qu'aiment pas vivre en communauté, qui préfèrent être solitaires, c't'un mode de vie respectable. Et d'ailleurs, j'm'y étais souvent retrouvée. Après tout... Pendant longtemps, j'n'avais pas accordé plus d'importance que ça à l'amour et à l'amitié, jugeant qu'ce serait un frein pour mon avenir plus qu'autre chose. Tu t'es attachée à des gens ? Malgré toi ? Pour avoir été blessée, c'est qu'elle s'était laissée flancher un peu non.. ? Qu'elle avait accordé de l'importance à des gens qui ne s'en étaient pas montrés dignes ?

Et c'était sûrement ça ton plus gros problème. Malgré tout les efforts que certaines personnes pouvaient faire, tu refusais de t'attacher. Et quand ça arrivait pas idnavertance, c'était toujours toi qui finissait par souffrir. Tu laissais pas de secondes chance, pour ta ça n'existait pas. Si ça merdait une fois, y avait aucune raison de retenter alors tu t'enfonçais encore plus dans la solitude que tu t'étais créé. Ca pouvait paraître misérable et pathétique mais, suffisait de voir l'état dans lequel tu étais là pour comprendre que tu étais beaucoup mieux toute seule. T'avais tentée de faire des efforts, de laisser des gens rentrer dans ta vie et voilà le résultat. Tu te retrouvais au bout du roulot à chialer comme une merde devant un Eliot. C'était limite la preuve qu'il ne fallait pas que tu recommences. L'amitié, tout ça, c'était juste un vulgaire mensonge que chacun s'efforçait de trouver tout au long de sa vie au risque de souffrir. Tu voulais plus souffrir, c'était finit. Tu t'es attachée à des gens ? Malgré toi ? « On peut dire ça ouais. Voilà le résultat. » C'était pas vraiment beau à voir et j'allais tout mettre en oeuvre pour par que ça se reproduise. « J'crois que c'est inévitable. Y a pas de relation que ça soit amical ou plus qui finit pas par tourner mal. Alors à quoi bon ? Pourquoi s'entêter à essayer quand on sait très bien comment ça se terminera ? »

J'comprenais tout ce qu'elle me disait, chaque émotion qui pointait dans sa voix, chacun de ses gestes, la manière dont elle approchait le problème et m'en parlait. J'faisais pareil. J'savais aussi comment lui parler pour que ça ne la foute pas hors d'elle, j'savais que la pitié et la compassion n'était pas ce dont elle avait besoin pour aller mieux, pour relever la tête. Elle m'avoua qu'malgré elle, elle s'était effectivement attachée à des gens et qu'elle se prenait le revers désormais, comme pour toutes les relations, puisqu'à ses yeux tout était destiné à mal se finir. J'pensais pareil, mais j'essayais d'relativiser en m'disant qu'les moments de bonheur compensaient la souffrance de la déception. Parfois. Mmh ben la question mérite d'être posée. Mais j'pense que c'est un peu la fatalité pour tout. Tout s'détruit, tout meurt tôt ou tard et la vie s'résume peut-être à profiter des choses avant que ce ne soit fini, dis-je pensivement, fixant ma cigarette se consumer entre mes doigts. Mmmmh et j'avais même pas bu, pourtant je philosophais déjà, c'était pas très fameux franchement. Je relevai les yeux vers la jeune femme en la dévisageant, puis esquissai un léger sourire amusé. On peut aller philosopher sur le sens de la vie et les déceptions qu'on essuie autour d'un verre stu préfères, moi j'ai bien envie d'un petit whisky.