Si Alejandro était un petit fils de milliardaire, ici à Harvard, il menait une vie tout de même assez simple, même si certaines choses trahissaient aisément le fait qu'il appartenait à la classe supérieure. Chaussures de marque, shirts à logo dispendieux, entrer dans le parking en voiture de luxe, etc. Aujourd'hui ne faisait pas exception, il portait une sorte de gilet avec en dessous un polo de couleur avec une paire de pantalon qu'on ne trouve pas dans des magasins à rabais. Sinon, du reste, il pourrait presque passer inaperçu parmi la file d'étudiants à la cafétéria, presque... Surtout qu'Harvard regroupe l'Élite du monde, à quelques exceptions près.

Son plateau en main, il naviguait entre les rangées et se cherchait une place où s'asseoir. Parfois, il mangeait avec Kenny et Anastasiya, d'autres fois, c'était Demetrios ou Samson, toujours des Eliots ou presque finalement. Surtout, pas des Mathers, pas en cette période critique pour son intégration dans la maison bleue. C'est vrai, quand il vit Anastasia, la serveuse qui l'a gentiment soigné après qu'il eut un sacré coup en plein visage, il se dépêcha de regarder ailleurs et de se chercher une autre place, mais trop tard, elle l'avait remarqué et en bonne Mather, ne manquait pas de lui passer un commentaire. Hey merde... L'air surpris, il esquissa un sourire étonné, désolé tout à la fois, avec un petit regard qui demandait d'emblée pardon.

-Anastasia? Excuses-moi, je t'ai pris pour quelqu'un d'autre!

Il se rapprochait, de façon à ce qu'il soit assez proche pour qu'elle n'ait pas à lui faire une scène ou à lui gueuler après pour lui parler.

-Si tu veux que je m'assois avec toi, tu n'as pas besoin de crier tu sais...

Alejandro avait tendance à compartimenter, mettre les gens dans des catégories. Jeune, il avait côtoyé des gens, des jeunes comme lui, bien moins riche, qui était très gentil avec lui et le garçon qu'il était, déjà assez intelligent, avait vite compris pourquoi on pouvait être si gentil avec lui. Cette méfiance acquise, il ne l'avait pas perdu en grandissant et il se méfiait des gens. De la même façon, il visait toujours la belle réputation. Que penserait-on de lui s'il mangeait à tous les repas en compagnie d'une Mather? Et puis, autant être honnête, Anastasia est bien gentille, mais ils ne viennent pas du même monde tous les deux. C'était du moins son opinion.

-Je pense que tu trompes, mais je ne crois pas avoir besoin de te rappeler que tu es une Mather en devenir et moi, un Eliot...

Et puisqu'il veut vraiment appartenir à la prestigieuse maison d'Harvard, pour cela, il est bien prêt à décevoir quelques personnes. Égoïste le Alejandro? Disons que c'est surtout un ambitieux, quelqu'un pour qui la fin peut justifier les moyens. N'empêche, à sa manière, l'étudiante en médecine insistait et le faisait sentir comme une pourriture, alors il posait son cabaret un peu lourdement sur la table et s'assoyait en face d'elle. Contente?

-Ça va, ça va... Tu as été assez gentille pour me soigner la joue et le nez l'autre jour, je peux bien manger avec toi, mais n'en fait pas tout un plat s'il te plait.

Il n'avait pas envie de passer son midi là-dessus.

C'est vrai, jusqu'ici, ils ne se sont rien faits, mais si Anastasia lisait les 10 commandements à suivre pour devenir un Eliot et non pas être rejeté de la maison, elle comprendrait l'hésitation dont Alejandro fait preuve en ce moment. Ceci dit, elle a la tête de quelqu'un qui se fout bien d'appartenir à une maison ou à une autre, en autant qu'elle puisse faire ce qu'elle veut et s'amuser, c'est ce qui importe. Or, il y en a pour qui le passage à l'université est quelque chose d'un peu plus sérieux.

L'Espagnol n'insiste donc pas sur la question et décide plutôt de prendre place pour manger, histoire que tout ce débat cesse et qu'Anastasia ait ce qu'elle veut. Alejandro put donc enfin commencer à manger, tandis que la Mather lâchait, de manière assez sarcastique, qu'il lui faisait tout un honneur. Plutôt exaspéré, Alejandro lança un regard à la brunette qui en disait long. Elle ferait mieux de faire attention, sa patience a des limites.

-Et si tu me disais comment tu vas?

*Au lieu de faire la chiante*, pensa-t-il assez fortement, mais pas au point de le dire. Il avait des manières le Alejandro. À table, on ne s'engueule pas, c'est sensé être un lieu de trêve. Tandis donc qu'elle lui répondrait sans doute, il mangeait, de la bonne manière, sachant bien se tenir, le dos droit, il faisait attention à comment il mastiquait, un vrai garçon bien élevé!

Apparemment, demander à Anastasia comment elle va est à peu près la pire question qu'on puisse lui poser. Sacré phénomène cette femme! Il la préférait au bar, elle paraissait de meilleure humeur, sans doute parce qu'elle y est obligée, car aussi bien le dire, il regrettait déjà de manger en sa compagnie. Les conversations s'annonçaient laborieuses et d'ailleurs, comme elle lui retournait la question, il se sentait presque mal de répondre.

-Bien si, enfin, je vais bien...

Après, il laissa le silence se creuser, se disant qu'il valait mieux laisser Anastasia aborder un sujet qui lui ira plutôt que de se risquer à nouveau à le faire. En attendant, il pouvait manger, n'ayant pas à discuter et il se disait que plus vite il aura terminé, plus vite il pourra quitter cette table.

Avoir une conversation avec Anastasia s'annonçait aussi laborieux que pénible. Pourtant, Alejandro est un homme tout de même sociable, quelqu'un capable de parler et d'enjoliver une table. Ceci dit, il ne s'était pas vraiment assis à cette table par choix, il avait voulu éviter un scandale, ménager la Mather et puis, pourquoi pas, la remercier encore pour son traitement de l'autre jour alors qu'il avait joué les gentleman. Ceci dit, lorsqu'on demande à quelqu'un s'il va bien et que la personne répond que c'est à peu près la pire question qu'on puisse poser, cela a de quoi déstabiliser l'enthousiasme de départ, non? D'ailleurs, la conversation redevint tendu en moins de deux, avec Anastasia qui avait en tête de crever des abcès...

-No, rien à voir... C'est juste que je te pose la question classique pour démarrer une conversation et tu me donnes à peu près la pire réponse qu'on puisse offrir à quelqu'un. Ceci dit, ta franchise est... authentique.

Alejandro croquait et avalait une feuille de salade avant d'ajouter:

-Si tu ne veux pas qu'on parle de la pluie et du beau temps, ça ne me dérange pas, mais faudra que ce soit toi qui trouve de quoi converser. J'ai fait mon pas, à toi de faire le tiens.

Allait-il vraiment devoir lui apprendre les règles de la bonne société et des gens de biens? Elle ne voulait pas qu'il lui demande comment elle va? Très bien, en ce qui le concerne, il peut très bien rester tranquille et ne pas dire un mot à cette table.