Alejandro avait reçu un coup de fil important ce week-end. Son grand-père, l'homme le plus riche d'Europe l'avait appelé pour avoir des nouvelles de son petit-fils, mais à la fin de la conversation, il avait eu une faveur à lui demander. Alejandro doit tellement à son grand-père, que c'est sans la moindre hésitation qu'il accepta, heureux qu'il était de pouvoir aider.

Une entreprise en design de vêtements, qui a justement une boutique à Cambridge, intéresse son grand-père, qui possède un vaste empire textile, en partie et qui est toujours à la recherche d'innovations. Zara, l'entreprise familiale des Ortega, veut donc investir dans l'entreprise en question, en échange d'accès aux actifs, aux actions de l'entreprise, d'une part, histoire de sceller une bonne entente. Ceci dit, avant d'aller plus loin dans la négociation de ses affaires, monsieur Ortega aimerait savoir de quoi a l'air cette entreprise, qui y travaille, comment elle fonctionne, etc. Il comptait donc sur son petit-fils adoré pour aller faire une mission de reconnaissance, puis lui envoyer un rapport sur ces observations. « Ce sera fait grand-père ».

Nous étions donc le jour J, un jour sans école pour l'Espagnol. Bien habillé, il devait toujours faire avec le froid hivernal, même si le temps avait connu un redoux ses derniers jours. Habillé d'un grand manteau noir, pantalon de la même teinte, fait d'une sorte de cuir typiquement espagnol, accompagné d'un haut noir, sorte de gilet classe, histoire de laisser bonne impression. Après tout, il représentait sa famille, son entreprise! Alejandro se gara dans le Inman Square avec sa Audi, non loin d'où son GPS indiquait sa destination finale: la boutique de Shayanes.

Shayanes... Alejandro a fait quelques recherches sur elle, c'est à dire, taper son nom dans Google et Facebook, voir ce que cela donnait. Il ne savait donc d'elle que ce qu'il a pu découvrir sur le net. Se frottant un peu les mains en chemin, toujours incapable de s'acclimater au froid, il entra dans la boutique, alla à l'accueil où à la secrétaire, où on lui fit prendre l'ascenseur au dernier étage du petit immeuble, puisqu'il n'y a pas vraiment de gratte-ciel à Cambridge.

À peine fit-il quelques pas qu'un homme vint l'accueillir. Il se présentait comme l'homme de confiance de Shayanes, ce qui fit sourire l'Espagnol, qui serra la main de l'homme en question et se présenta à son tour: « Alejandro Ortega, je suis le représentant de la compagnie Zara ». L'homme parut surpris en entendant le nom "Ortega". Faisait-il l'association avec Amancio Ortega, propriétaire de la compagnie Zara, homme le plus riche d'Europe et le potentiel investisseur de cet entreprise? Peut-être bien.

Puis, l'Espagnol s'approchait du bureau et apercevait une jeune femme à la belle crinière brune claire. Quand elle se retourna, le soleil parut illuminer la pièce et le sourire d'Alejandro dut s'agrandir. C'est en toute galanterie qu'il vint serrer la main de la jeune femme et même, déposer un doux baiser sur le dessus de celle-ci. Il avait des manières l'Espagnol.

-Alejandro Ortega, je suis heureux d'enfin vous rencontrez, mademoiselle Morais. On ne m'a dit que du bien de vous et de votre entreprise.

Lorsqu'un envoyé d'un potentiel investisseur visite une compagnie, il est de coutume en Espagne de le recevoir avec un certain "standing", un certain prestige, de bien le traiter, on parle de la vie, on boit du vin, on profite du temps qu'il fait et puis les affaires viennent plus tard. En Amérique, c'est différent. Les gens sont plus droit au but, le business demeure la préoccupation centrale et on ne perd pas de temps avec les petits gestes. Alejandro n'était donc pas si étonné d'être accueilli ici comme si sa visite tenait de la surprise pratiquement.

Après avoir rencontré un dénommé Rafael, on le présenta à la maîtresse des lieux, la fameuse Shayanes Morais. Un visage qui lui était certainement familier. En fait, il la reconnu tout de suite, mais choisit de faire comme si de rien était, pour le moment du moins. La discussion de bons usages avait donc lieu. À la remarque qu'elle lui passe et au sourire malicieux qu'elle esquisse, l'Espagnol, qui parlait naturellement anglais avec un accent de son pays natal, haussa doucement des épaules avec un léger sourire de circonstances. Il n'abordait pas cette discussion comme une joute.

-Moi non plus, vous êtes probablement mieux placé que moi pour le savoir.

Puisqu'elle désignait une chaise, il la remerciait, en espagnol, enlevait son manteau et s'assoyait à la place désignée. La Brésilienne lui faisait quelques compliments et laissait planer un petit silence, accompagné d'un doux sourire de sa part, jusqu'à ce qu'elle propose le thé ou le café.

-Un café s'il vous plait, noir, avec un peu de sucre, je vous remercie.

Du coin de l’œil, Alejandro remarqua l'homme qui était toujours là et qui le guettait comme s'il était un animal dangereux prêt à bondir sur la jeune femme. Allons, qu'il se détende, il est ici pour affaire. De manière très américaine, dans le genre droit au but, Shayanes lui demandait quel était la raison de sa visite. Alejandro eut un petit sourire en coin et attendit qu'on lui apporte son café, remerciant celui ou celle qui lui donnait, gratifiant la personne d'un beau sourire emplie de reconnaissance. Il prit ensuite une gorgée de café, ses yeux se relevant à la fin, ancrés sur ceux de la Brésilienne. Il posait sa tasse et le couvert sur le meuble.

-J'aurais pensé que vous connaissiez la raison de ma visite. Ceci dit, je ne vous fais pas le reproche de me poser la question. Une femme telle que vous est si occupée. Les affaires, les études... la famille.

Il désigna du menton le cadre, puis poursuivit.

-Comme vous le savez, les entreprises Zara veulent toujours avoir une avance sur ses compétiteurs en matière de design de vêtements. Nous voulons suivre les tendances, les créer même, plutôt qu'être à la remorque. Si nous pouvons devancer nos compétiteurs, c'est en nous alliant à de jeunes entreprises, des plus vieilles aussi, en design, capable d'innover, de faire preuve de créativité. La mode n'est pas une science exacte, c'est un art, un art dirigé par la demande, le style, le confort, etc. Nous croyons qu'Estilo Carvalho et les entreprises Zara gagneraient à s'associer. Néanmoins... voyez ma visite telle une visite de courtoisie, celle d'une âme curieuse venue voir votre entreprise et ce que vous y faites. D'autres auront tout le loisir de discuter business avec vous. Pour ma part, je me consacre sur l'essentiel:

Il esquissa un petit sourire.

-Vous... Comme entrepreneure bien sûr.

Shayanes reconnu qu'elle était très occupée. Sur son statut public de facebook, c'était bien écrit qu'elle était mariée et père d'un enfant. Ce qui est amusant, c'est que si elle a un cadre de son enfant, elle n'en a aucun de son mari. L'Espagnol avait eu un petit hochement, l'air de comprendre la demoiselle. De son côté, c'était plus tranquille bien sûr, il se consacrait à 100% à ses études et côté fille, disons qu'il n'avait pas rien de sérieux, pour le moment, mais il avait bon espoir de finir son diplôme et d'être dans une relation assez sérieuse pour se marier peu après. C'était le plan de match du moins. Trouver une fille, avoir une belle relation qui aurait le temps de durer un peu, finir son diplôme, puis voir si cette relation peut passer l'autre stade. Dans sa famille, on s'attend à ce que le bel Alejandro se marie avant ces trente ans.

Puisque Shayanes voulait des explications, Alejandro lui en fournissait et elles se voulaient les plus complètes possible, en espérant qu'il n'était pas en train d'endormir la demoiselle. Ce pitch de vente, pour ainsi dire, il n'avait pas prévu de le faire, mais bon, un coup lancé... Silencieuse, posée, la belle Brésilienne l'écoutait avec attention, il le sentait rien qu'au regard de la jeune femme. Il avait perçu le succès de certaines de ses phrases, peut-être un peu plus de scepticisme chez d'autre. Elle demandait des précisions et le jeune homme prit un air encore un peu plus détendu, décontracté, répondant avec douceur et miellerie.

-Ça, madame Morais, c'est la question à 10 000$.

Il se penchait un peu vers elle pour la suite de son petit discours.

-Les designers sont des créateurs avant tout et ce que des créateurs veulent, c'est que leurs vêtements soient portés. Aussi belle que vous soyez, si vous créez vos vêtements que vous êtes la seule à les porter, cela ne vous donne pas grand chose, hormis une petite fierté. Cela ne vous donne pas de profit, pas de reconnaissance auprès du milieu. Alors ce qu'il vous faut, c'est un producteur et un distributeur pour faire en sorte que le modèle commercial de vos créations se rendent jusque sur les étagères d'une boutique près de chez vous, aussi bien que jusqu'en Chine en passant par la France. La franchise Zara et toutes les autres que nous possédons, Pull and Bear, etc. amènent un réseau de distribution sans précédent. La production? Nous possédons des compagnies de textile et des ateliers de couture partout dans le monde, dont nos fameuses coopératives en Espagne, bien loin du modèle d'affaire de certains fabricants qui font travailler des gens du Bangladesh dans des conditions qui frôlent l'esclavage. Sur votre première question, je répondrais ceci: vous savez comme moi que notre industrie carbure à trois choses si on peut dire: l'offre, la demande et la mode. C'est la différence nette avec d'autres industries comme disons... les pétrolières. Si la marque n'est pas attirante, si elle n'est pas au goût du jour. *Il claque des doigts* Disparue, comme un murmure. Il nous faut des artistes de la mode, des visionnaires. Et vous madame, d'après ce qu'on me dit, vous possédez bien quelques artistes formidables chez vous.

Bien, il avait beaucoup parlé, il espérait ne pas gêner, mais en même temps, elle posait des questions qui méritaient qu'on prenne le temps d'y répondre, même si cela aurait été plus facile de dire, par exemple, "vous devriez faire affaire avec nous parce que nous sommes les meilleurs, point". Seulement, Alejandro ne croit pas à la facilité. Nouvelle gorgée de café, il avait soif, puis, se mit à parler en portugais, jetant un regard au Rafael, toujours là.

-Cela vous dérangerait que nous puissions discuter de manière privée vous et moi? Je serais un peu plus à l'aise de cette façon.

Pendant qu'il faisait tout son petit discours, Alejandro sentait le regard de la jeune femme d'affaires sur lui. À mesure qu'il parlait, il la sentait de plus en plus convaincue. Elle avait aussi ce petit sourire qui laissait presque entendre qu'elle aimait ce qu'elle entendait et/ou peut-être ce qu'elle voyait aussi. En tout cas, il s'efforçait d'être convaincant sans non plus dépasser ces capacités ou son pouvoir d'action, il n'était encore qu'un modeste éclaireur pour l'entreprise, bien que son avis pèse beaucoup auprès de son grand-père.

Quel fut le verdict de Shayanes? Elle se montrait intéressée, enthousiaste même, mais expliquait qu'elle ne pouvait pas de suite dire oui. Tant mieux, car il ne pouvait pas non plus lui garantir une entente pour le moment. Il y avait plein de termes business et légaux à établir avant, un gros contrat à diriger, bref, toute la paperasse habituelle. Le temps où une poignée de main suffisait est révolu depuis longtemps. L'Espagnol eut un sourire satisfait.

-Je comprends tout à fait et je ne suis pas ici non plus dans la perspective de vous faire signer quoique ce soit. Ma visite, je vous l'ai dit, en est une de courtoisie. Nous avons notre manière de faire, nous, les Ortega. Nous aimons connaître les personnes derrière les entreprises, savoir comment elles travaillent, leur but, leur passion, leurs craintes mêmes. Alors voyez cette visite comme quelque chose d'aussi simple qu'un bel inconnu, qui, curieux, veut visiter votre boutique et apprendre à vous connaître un peu plus.

Cela devrait permettre à la Brésilienne de se détendre un peu, puisque depuis le départ, elle semblait sur ses gardes, un peu méfiante. Craignait-elle de se faire avoir au premier tournant?

Puis, le bel "inconnu" passait au portugais, langue que connait certainement Shayanes et il était moins certain que son homme lui la connaisse. C'était un coup de chance, doublé d'une certaine déduction. En tout cas, la jeune femme n'hésita pas à demander à son Rafael de les laisser tranquille. Pendant ce temps, Alejandro finissait son petit café. Après quoi, bien installé contre la chaise, son petit sourire s'agrandit un peu plus. Il parlait toujours portugais bien sûr. On le dira quand il reviendra à l'anglais.

-Si cela ne vous fait rien, on va abandonner le vouvoiement un peu. Après tout, lorsqu'on a danser en boîte l'autre jour, je ne me souviens pas de t'avoir vouvoyer. Je ne sais pas si tu me reconnais? Alejandro, cela ne te dis rien?

Au fil de leurs échanges, ponctués surtout par les petits monologues d'un Alejandro qui se faisait le plus convainquant possible, l'Espagnol sentait que la Brésilienne se laissait de plus en plus convaincre par les belles paroles de son interlocuteur. Ceci dit, ce ne sont pas que des paroles, allez lire sur Zara ou sur la réputation des Ortega et vous verrez que ce sont des gens respectables, qui suivent un code de conduite tout à fait respectable. Ce ne sont pas des loups de Wall Street.

Alors selon lui, la confiance que place des partenaires en leurs moyens, comme Shayanes le fera peut-être un jour, à son tour, n'est pas mal placée. Apparemment, la Brésilienne appréciait leur façon de faire et disait être à peu près sur la même longueur d'onde qu'eux. Alejandro se doutait que son petit discours plairait à la jeune femme. Le jeune homme fit un beau sourire charmant.

-Je ne pourrais être plus heureux d'entendre cela.

Le beau brun prit sa tasse de café et la leva dans la direction de la femme d'affaires, avant d'en prendre une gorgée, une des dernières en l’occurrence. La suite changea du tout au tout. De la discussion d'affaires en anglais, ils passaient à une discussion plus... comment dire, casual, proche, en portugais qui plus est et seul à seul. Valait mieux sans doute que Rafael ignore que les deux jeune gens s'étaient croisés avant.

Il n'en fallut pas plus pour que la belle brune le reconnaisse. C'était bon de savoir qu'elle se souvenait aussi de lui, même si sur le coup, elle avouait ne pas avoir fait l'association. Qui s'attend de recroiser un partenaire de danse dans le milieu des affaires à peine quelques jours plus tard? Heureuse coïncidence.

-Je l'ai fait dès le début. Un visage comme le tiens, ça ne s'oublie pas. Ceci dit, j'ai préféré rester discret, je ne voulais pas te gêner ou quoique ce soit ou inquiéter Rafael. C'est une sorte de... gardien, n'est-ce pas?

Gardien, mentor, il ne saurait trop dire exactement, mais il sentait bien que le monsieur écoutait avec attention et scrutait le moindre de ses faits et gestes. Tandis qu'il parlait, Shayanes passait de l'autre côté du bureau pour venir s'assoir près de lui. Le jeune homme restait bien assis, les mains jointes ensemble, la petite posture classe quoi. Lorsqu'elle demanda s'il était content de la revoir, il eut un fin sourire amusé.

-Plutôt oui. Je regrettais un peu qu'on n'ait pas eu le temps d'échanger un peu plus l'autre soir. C'est quand même tout un hasard qu'une entreprise de mon grand-père veuille investir dans la tienne. Mais mettons le business de côté un peu. Ça va toi?