J'étais clairement de sale humeur pour la journée entière. Plus rien n'allait plus et autant dire que j'avais envie d'écraser comme des moustiques tous les abrutis qui se dresseraient sur mon passage, j'avais les nerfs à fleur de peau et un rien pourrait faire exploser la colère que je m'efforçais de contenir, j'en avais conscience. Peut-être que j'devrais songer sérieusement à me mettre aux cours de yoga, même si d'apparence ça a l'air pire que ridicule, y a des gens qui disent que ça marche. J'avais un véritable démon qui me bouffait de l'intérieur et menaçait de faire sauter le toit d'Harvard en explosant, s'il existait un moyen de contrôler ce loup en cage ne serait-ce qu'un peu, je prends. Me voilà donc qui me préparait pour la rentrée, profitant de l'occasion pour me montrer un peu. Président ou VP, je m'en fichais, mais je ne voulais pas perdre et encore moins face à Apple. J'avais déjà du mal à imaginer perdre huit mois auparavant sur formspring, mais depuis que je savais qu'elle s'était tapé Hendrix, c'était la guerre. Me retournant après avoir refermé mon casier, je repris la marche d'un pas rapide à travers l'université pour rejoindre l'Eliot House quand... boum. Putain ! Réflexe, je manquai d'assommer la jeune femme que je venais de percuter avec le classeur que je tenais dans mes mains. Elle aurait probablement perdu des dents si je n'avais pas retenu mes mains, et s'il s'avérait que c'était une eliot.. ah, non. J'la connais pas, ça doit pas en être une, j'aurais pu la frapper en paix. On t'a jamais dit qu'fallait pas marcher le nez par terre ? Je la dévisageai et la regardai de haut en bas en haussant les sourcils. Bof. Pas d'marque. Classe moyenne, pauvre dans l'pire des cas, faut pas chercher d'où viennent ses mauvaises manières du coup.

Je savourais la rentrée. Je faisais partie des élèves d'Harvard qui adoraient ce moment. Cela pouvait paraître étrange mais c'était la réalité. Mes études me passionnaient et c'était un réel plaisir pour moi de me rendre à chacun de mes cours. La musique m'avait particulièrement manqué durant l'été. Pendant les deux mois passés au Summer Camp, je n'avais pas eu l'occasion de pratiquer beaucoup. Bien évidemment,, j'avais emmené ma guitare et j'en jouais de temps en temps, mais pas autant que lorsque je me trouvais à Cambridge. Je n'avais par ailleurs pas pu jouer de piano pendant le séjour en Floride. Cela me manquait beaucoup et était l'une des principales raisons pour lesquelles j'étais heureuse de retourner à Harvard. Mon art faisait parti de moi et de ma vie et je ne supportais pas de ne pas le pratiquer pendant une longue période. J'avais donc hâte de me rendre à mon prochain cours de piano qui avait lieu dans une heure. Je sortais tout juste d'un cours de psychologie et j'avais besoin de décompresser quelque peu. Mon téléphone portable à la main, je traversais le hall les yeux rivés sur l'écran. Soudainement, j'entrais en collision avec un autre élève. « Putain ! On t'a jamais dit qu'fallait pas marcher le nez par terre ? » C'était ma faute, bien sûr. Je n'avais pas absolument pas regardé où je marchais et était rentré dans ce jeune homme qui était visiblement très en colère. Confuse, je balbutiais. « Oh pardon, je suis déso... » Je relevais les yeux pour me retrouver nez à nez avec Andy McDougall. Mon visage changeait alors radicalement d'expression et je stoppais net mes excuses. Il ne me connaissait sans doute pas, mais j'avais déjà entendu parler de lui. En même temps, qui ne connaissait pas le fameux Andy, roi des Eliots ? Un garçon hautain, suffisant, détestable au possible. Je connaissais sa réputation. Si d'ordinaire, je ne me fiais pas aux ragots des autres élèves, je connaissais son rôle dans la transformation de mon ami Dexter en parfait monstre. Il me jaugea du regard. Haussant les sourcils, j'en fis autant. J'avais perdu mon expression douce. « C'est pas parce que t'es Andy McDougall que ça te donne le droit de crier sur tout le monde. », rétorquais-je. Pour qui se prenait-il ?  

J'avais percuté une fille et à vrai dire, j'étais probablement autant en tort qu'elle, trop perdu dans mes pensées pour regarder vraiment où j'allais, j'regardais devant moi sans vraiment voir les gens qui se dressaient devant moi. Toute manière en général ils se poussaient, sauf une idiote aujourd'hui qui croyait que c'était une bonne idée de regarder son téléphone en marchant, alors que j'étais certainement pas dans un bon jour. Elle commença à s'excuser, mais dès que son regard fut posé sur moi... pouf! envolée l'expression désolée qui était peinte sur son visage. C'est quoi son problème à celle-là ? Aw elle était mignonne, dommage qu'il n'y ait pas toute la panoplie derrière, c'était du gâchis. Elle voulait me tenir tête apparemment, si bien qu'un large sourire se dessina sur mes lèvres. Tu crois ça toi ? On a pas la même vision des choses alors, t'es au bas d'l'échelle, moi en haut... c'est pas le même niveau tu vois ? Tu m'excuseras d'offenser ton faible égo de fifille pauvre et mal-élevée mais... J'crie pas sur tout l'monde, seulement ceux sur qui c'est nécessaire, même si j'comprends ton complexe d'infériorité et ta nécessité de vouloir faire de ton cas une généralité, ça doit être dur à vivre tous les jours. Est-ce que j'ai du temps à perdre avec elle ? Oui, non... J'pourrais tout aussi bien la pousser et retourner à l'Eliot House, mais une petite scène publique ferait probablement aucun mal, n'est-ce pas ? Enfin, sauf à elle, mais ça n'entrait pas véritablement dans mes comptes, son bien-être.

J'haussais les sourcils tandis qu'Andy me jaugeait du regard. Il avait vraiment quelque chose de mauvais dans les yeux. Il avait cet air supérieur qu'ont les personnes qui se croient tout permis et invincibles car elles ont plus d'argent sur leur compte en banque, des vêtements de marque ou sont « populaires ». Exactement le genre de personne qui m'horripilait et avec lesquelles je ne voulais rien avoir à faire. L'Eliot était visiblement énervé. Ou alors il était comme ça tous les jours. Dans ce cas, je comprenais difficilement comment il pouvait toujours avoir des amis... A croire qu'il était le roi du monde et que le reste des étudiants n'étaient que ses larbins. N'appréciant pas que je lui tienne tête au lieu de m'excuser docilement, il déversa un flot de paroles acerbes. « Tu crois ça toi ? Tu m'excuseras d'offenser ton faible égo de fifille pauvre et mal-élevée mais... J'crie pas sur tout le monde, seulement ceux sur qui c'est nécessaire, même si je comprend ton complexe d'infériorité et ta nécessité de vouloir faire de ton cas une généralité, ça doit être dur à vivre tous les jours. » Je souriais doucement et secouais la tête. S'il espérait m'atteindre de cette manière, c'était loupé pour lui. Ses paroles n'avaient aucun sens à mes yeux. « Je me demande lequel de nous deux est le plus mal-élevé, vu comment tu te permets de me parler. » C'était vraiment l'hôpital qui se foutait de la charité, là. « Tu te mets en rogne à chaque fois que quelqu'un fait quelque chose qui te contrarie ? Je comprend mieux pourquoi je n'entend que du mal de toi. » Je ne me fiais généralement pas aux ragots et aux on-dit, mais là, je devais avouer que tous les dires que j'avais entendu sur le fameux Andy McDougall étaient vrais. J'haussais les épaules. Il était peut-être dans un mauvais jour, je m'en fichais. Je ne comptais pas me prendre la tête plus longtemps avec un cas désespéré comme lui. Ca ne servait strictement à rien. J'avais bien mieux à faire. « Bizarrement, ça donne pas envie d'en savoir plus. Allez salut, rumine bien ta mauvaise humeur. » Je tournais les talons. S'il croyait que j'allais le laisser me rabaisser, il pensait fort mal. J'étais bien plus intelligente que ça.  

Finalement c'était mon bien-être qui m'importait et puisque je ne pratiquais pas encore le yoga, autant me défouler sur elle puisqu'elle m'en offrait l'occasion, c'était le moment idéal, surtout pour lui rappeler qui c'est qui domine puisque les limites semblaient être floues chez elle. Moi j'étais pas mal-élevé non, je respectais simplement la hiérarchie. Penchant la tête sur le côté avec un sourire aux lèvres, je repris la parole. Non le respect de la hiérarchie je le connais très bien t'en fais pas, en l'occurrence t'es en-dessous d'moi. Comme neuf étudiants sur dix à Harvard, sinon plus, en fait ! Je sais, c'est rageant de rien pouvoir y faire, mais moi ça me plaisait bien et j'en profitais. J'eus un léger rire en fourrant les mains dans les poches. C'est vrai, on t'parle de moi ? Ça alors je suis flatté. Tu pourras raconter à tes copines qu'on a fait connaissance, elles seront jalouses. Je haussai les sourcils deux fois avant de me mordre la lèvre, moqueur et amusé par la situation. Narcisse mon deuxième prénom. Seulement voilà, tout ne se passait pas comme je le voulais et mon punching-ball voulait s'enfuir. Problème : j'étais pas d'accord. Arquant un sourcil en l'écoutant parler, ma réaction fut immédiate dès qu'elle tourna les talons pour partir. Je tendis la jambe devant ses tibias et la tirai vers moi, assez pour la faire tomber à plat ventre, et reposai mon pied avec un air innocent peint sur le visage. Ça alors, tu t'es pas fait mal ? Secouant doucement la tête de gauche à droite avec toujours mon sourire aux lèvres, je la contournai pour avoir les pieds à proximité de sa main. Fais attention ma fille, j'pourrais malencontreusement t'écraser les doigts, ta place est par terre après tout quand j'suis là. C'était pour ton bien que j'te rappelais les règles élémentaires quand on marche, on regarde où on met les pieds, c'est la base et je voulais éviter ce genre d'incident tu vois ? J'suis pas si méchant au fond.

« Non le respect de la hiérarchie je le connais très bien t'en fais pas, en l'occurrence t'es en dessous de moi. » Je secouais la tête, atterrée. Je n'avais jamais rencontré quelqu'un d'aussi suffisant et sûr de lui. Même Eugene, qui était pourtant la personne la plus prétentieuse que je connaisse, ne lui arrivait pas à la cheville. « Tu sais, ce n'est pas parce que mon compte en banque est moins rempli que je vaux moins que toi. Au contraire, même. Certains mots comme le respect ne font pas parti de ton vocabulaire. Tes paroles ne font que laisser paraitre le manque de maturité dont tu fais preuve. » Il n'y avait qu'un Eliot pour parler comme cela. Et encore, tous les Eliots n'étaient pas comme lui, et heureusement. J'étais juste affligée par sa fermeture d'esprit et par la façon dont il voyait les choses. « C'est vrai, on t'parle de moi ? Ca alors, je suis flatté. Tu pourras toujours raconter à tes copines qu'on a fait connaissance, elles seront jalouses. » Je levais les yeux au ciel. J'entendais en effet beaucoup de choses sur Andy McDougall. La plupart du temps, c'était en mal. Tout Harvard connaissait les détails de son histoire avec Apple, sa tromperie avec Briony. Les nouvelles faisaient vite le tour dans un établissement comme celui-là et les ragots allaient bon train. J'aurais pu m'en servir contre lui, mais c'aurait été m'abaisser à son pitoyable niveau. « Plutôt désolées pour moi, je dirais. » Ce mec était une vraie plaie. Il n'avait pas une once de gentillesse en lui et je le plaignais presque pour cela. Je tournais les talons, bien décidée à en finir avec cette conversation ridicule. Visiblement, cela ne lui plu pas, car sa jambe se tendit devant moi, bloquant mon passage. Je butais dessus et m'étalais sur le sol. Heureusement, je ne m'étais absolument pas fait mal. « Ca alors, tu t'es pas fait mal ? » Sa voix mielleuse m'horripilait. Je ne le savais pas mauvais au point de s'en prendre à moi physiquement. Je regardais autour de moi en ramassant mes affaires. Des élèves m'avaient vu tomber. Certains rigolaient, d'autres étaient davantage choqué. Personne n'avait manqué le geste d'Andy, responsable de ma chute. On se demandait bien qui était le plus ridicule des deux, maintenant. « C'était pour ton bien que je te rappelais les règles élémentaires quand on marche, on regarde où on met les pieds, c'est la base et je voulais t'éviter ce genre d'incident tu vois ? J'suis pas si méchant dans le fond. » Je relevais et me mettais à rire. Ses paroles étaient tellement comiques que je ne pouvais me contrôler. Il pouvait s'en prendre à moi tant qu'il voulait, je ne plierais pas. « Sérieusement, des menaces ? C'est quoi ton problème, Andy ? T'aimes pas qu'on te tienne tête ? T'as pas les mots donc tu utilises la violence ? C'est juste pathétique ce que tu fais. » Ca me désolait de voir comment il pouvait agir. On était à Harvard, on était censés être matures et réfléchis. Et puis, les Eliots avaient des valeurs et des principes, non ? Je n'étais pas sûre que s'attaquer aux autres en faisait parti.    

Je doutais que ses copines soient désolées pour elle... Bon, il fallait bien avouer que je n'étais pas l'homme le plus tendre et agréable au monde mais... Merde hein, faut bien compenser tous les autres avantages non-négligeables que je présentais n'est-ce pas ? Au moins la moitié de ses copines se ficheraient bien d'avoir un connard comme petit copain pourvu qu'elles puissent s'acheter un dressing rempli de Louboutins et conduire une Ferrari flambant neuve. La moitié, que dis-je... ? La totalité, peut-être y aurait-il une ou deux exceptions seulement pour confirmer la règle. Après un croche-patte bien placé pour l'empêcher de partir, elle se redressa. Elle était minable, au sol. Les gens s'étaient retournés, mais aucun n'avait levé le petit doigt pour l'aider. En même temps ils avaient probablement bien compris qu'il n'était pas dans leur intérêt de s'interposer... C'est mieux de laisser cette inconsciente payer le prix de ses provocations, et puis l'eau coulerait sous les ponts. Elle se mit à rire et j'en fis de même, un rire moqueur qui, finalement, se jumelait plutôt bien au sien. Moi, utiliser la violence ? Mais non voyons, tu t'es emmêlé les pieds parce qu'une fois encore tu ne regardais pas où tu marchais et je n'ai pas eu le temps de te rattraper, répondis-je avant de rire à nouveau. Elle préférait jouer la carte de l'indifférence, celle qui rigole et se moque alors que je lui en fais baver... Très bien, puisqu'elle voulait jouer sur ce terrain-là, j'allais la suivre. Je fixai ses dents avec insistance, puis ses yeux, avant de me tourner vers les élèves autour de nous. Excusez-moi, vraiment navré de vous déranger tous, mais est-ce que quelqu'un aurait un cure-dent ? Me tournant vers Bethany, je haussai les épaules. Le prend pas mal, mais depuis tout à l'heure tu me souris et t'as des restes de repas coincés entre les deux ça me perturbe un peu... Enfin ! Je t'en veux pas, ça arrive de pas avoir le temps de se laver les dents. J'vais te mettre mal à l'aise, j'te promets... Tu vas courber la tête en partant sous les regards moqueurs des autres étudiants, j'vais t'faire une sale réputation jusqu'à ce que tu comprennes ton erreur... Je me rapprochai d'elle, l'air nonchalant et le regard provocateur. Tu vois, encore une fois j'pense à ton bien, ce serait bête d'aller sourire à tes profs avec tes restes de repas entre les dents, t'aurais du mal à t'attirer leurs faveurs, alors je vais t'aider.