Mes prunelles papillonnent ici et là, j’observe avec une certaine curiosité son quartier, c’est étrange comme je ne l’aurais pas imaginé dans une baraque telle que celle qui se trouve devant moi. Comme la gamine que je suis, je suis venue à vélo, puisqu’évidemment, je n’ai pas le permis, et suis pointée face à son perron, hésitante.

On ne s’est pas beaucoup vus, ces derniers temps, mais j’imagine que c’est le lot lorsqu’on abandonne le statut étudiant. Le fait est qu’il est tout simplement dans la cour des grands maintenant. Et la réalité veut que nous allons de moins en moins nous croiser. Qu’un côté bancal va s’installer dans notre amitié. Ca me fait quelque chose, je ne peux pas le nier, mais je compte toujours sur nos parties de jeux, pour que l’on reste un tantinet liés. Je ne suis pas très proche de mon grand frère, alors en un sens, c’est le rôle que j’ai donné à Dan, sans même le réaliser. C’est peut-être pour cette raison que je suis vexée par rapport aux derniers évènements.

Et après plusieurs secondes encore, je me décide à écraser mon index sur la sonnette à côté de la porte d’entrée. Prête à le pousser dans ses retranchements. Et m’armer de patience afin de le voir débarquer.

Il doit se concentrer sur ce que va être son avenir maintenant qu’il a été salué par la doyenne, son second diplôme publiquement remis entre ses mains par cette dernière. A l’abri des regards dans son sous-sol il l’observe, proprement encadré et disposé à coté du premier entre les posters de ses deux jeux préférés… Voilà qu’une page se tourne et Harvard n’est plus qu’un bon souvenir qu’il aurait plaisir à revivre malgré les quelques couacs dû à certains étudiants toxiques, même chez les Kirkland. Tout n’est pas forcément rose au sein d’une société et maintenant qu’il en est sorti, qu’il a assez de recul pour y songer, certaines paroles et certains clans le feraient presque régurgiter.  

Tout ce qu’il s’est dit sur la fin de l’année, cette haine envers une maison en particulier et la participation de la sienne dans cette chasse aux sorcières guidée par la crainte et l’ignorance… Il aurait souhaité que certaines personnes haut placées soient un peu plus ouvertes d’esprit plutôt que de faire sombrer une grande majorité, moutons aveugles guidés par d’ignorants bergers, dans l’animosité. Le fin mot de l’histoire ? Ils ne l’auront jamais eu, les pfo toujours suspects sans preuve du contraire pour les disculper…  Finalement, après un soupir de soulagement, il n’est pas mécontent d’avoir quitté les bancs, se relevant pour aller user de son temps d’une toute nouvelle manière : glander tranquillement. Sa première tache sera d’aller chercher au rez-de-chaussée de quoi grignoter et n’importe quel soda étanchera sa soif. Mais cependant, à peine a-t-il gravi les escaliers que le couloir semble s’assombrir par une ombre venue oblitérer la porte vitrée de l’entrée, soutenu d’un carillon familier. L’ancien Kirk hésite entre les deux chemins à emprunter, sa tête tanguant entre la cuisine et la silhouette obscurcissant le vitrail polychrome de la partie haute de la porte. Il est un peu tôt pour les étrennes des agents postiers…
Finalement il opte pour se sociabiliser et traine des pieds jusqu’au seuil de l’entrée, ouvre et découvre qui se trouve sur son palier avec un étonnement fardé de fatigue alors qu’il n’a rien fait de la sainte journée. De revers de la main il se cache des rayons qui le dardent et l’agressent pour la première fois depuis qu’il s’est levé et bafouille « J’ai oublié un truc là-bas ? » Persuadé qu’elle ne se présente à lui que parce qu’il a omis de ramasser une babiole avant que le campus ne ferme ses portes pour l’été.

Les secondes s’amoncellent et plus c’est le cas, plus je me dis que Dan n’est tout simplement pas là. Que je suis venue pour rien, que venir c’était crétin et que je me devrais de rebrousser chemin. Mais c’est à penser que c’est plus fort que moi, et que j’ai un naturelle optimisme, alors je lui accorde encore quelques instants pour se pointer. En fait, je me refuse à croire qu’il a réellement agi de cette manière-là. Je veux bien qu’on soit inadaptés, pas super à l’aise en société… Néanmoins, j’ai clairement surestimé notre proximité. N’osant même plus utiliser le mot amitié.

Et lorsque je suis décidée à remonter sur mon vélo pour me tirer, la porte s’ouvre enfin sur sa silhouette, clignant des yeux comme s’il venait de se réveiller. Allant même jusqu’à dissimuler son visage agressé par la lumière. « J’ai oublié un truc là-bas ? » J’en arque les sourcils tant la réplique me surprend. Et puis grimace en hochant la tête par la positive. Oui, Dan, tu as oublié plusieurs choses là-bas. La première me semblait pourtant assez évidente. « Ouais, » que je crache, me pensant un brin stupide de m’être traînée jusque là – et pourtant pour que je me sente idiote, il en faut vraiment – « m’inviter à ta remise de diplôme, déjà. » c’était la moindre des choses, non ? « me dire aurevoir, aussi. » parce que c’est terminé les rencontres impromptues pour tenter de faire des gaufres étoilées. « me raconter Cannes. » et l’accuse du regard pour lui indiquer de ne pas nier, je ne suis peut-être pas branchée mondanités, mais j’ai passé quelques jours chez mes parents, autant dire qu’Annalynne était aux premières loges et bien qu’il ait été discret, elle l’a évidemment remarqué. « T'as étendu tes missions d'espionnage. » L’intrus présent à son anniversaire perché sur les marches rouges françaises.

Comme une gamine qui aurait eu le courage de venir en sachant qu’il n’y a plus aucun espoir, son timbre las laisse le jeune diplômé perplexe, la main en suspend alors qu’il questionne ses traits malgré la distance. « Ouais, m’inviter à ta remise de diplôme, déjà. » Pourtant, il n’y avait pas besoin de carton d’invitation pour y prétendre bien que les places assises n’étaient réservées qu’aux liens du sang. Il lui suffisait de rester de part et d’autre de la zone réservée. « Me dire aurevoir, aussi. » Il pouffe involontairement, abaissant sa main puisque gêné par cette affinité son visage a dévié vers l’intérieur quelques secondes durant, un réflexe futile jusqu’à ce qu’elle reprenne ses demandes. « Me raconter Cannes. » Grillé, au point de réveiller subitement son intérêt.

Comment sait-elle où il est précisément allé, la question reste un mystère même pour lui et son noble intellect. « T'as étendu tes missions d'espionnage. » Il est vrai que depuis les Cooper il a agrandi son portefeuille de connaissances grâce à sa mécène. Chanel, Gucci, Cartier étaient encore hier des noms qu’il n’aurait jamais cru un jour pouvoir porter. « Pas toi aussi. Pitié. »  Sa main a glissé de l’encadrement là où elle s’était posée pour se retourner et l’inviter, ralentissant le pas jusqu’à complètement s’arrêter pour l’attendre et broncher… Pas de reproche, pas de jugement hâtif, l’ancien kirk vient tout juste de débuter une nouvelle vie. « Et j’ai encore quelques jours » afin de procrastiner, de remettre toujours au lendemain des adieux qui le gêneraient.

En fait, elle est plutôt simple, la raison de ma présence ; Je l’aime bien. Ô pas comme certains se perdent à aimer, il ne faut pas confondre, je ne suis pas réellement timbrée. Mais amicalement parlant. J’apprécie passer du temps avec lui, je croyais – comme une idiote sans expérience possiblement – que la réciproque était vraie. Qu’on entretenait un semblant d’amitié. Ca y est, le terme est osé. Bon d’accord je veux bien avouer que j’abuse un tantinet, et que je me la joue mélodramatique à souhait. Cela dit faut pas m’en vouloir, paraît que je ne suis pas la plus douée pour savoir comment fonctionner, en revanche… « Pas toi aussi. Pitié. » Là, je n’ai pas compris, quoi « moi aussi ? » Sourcils froncés, je me demande à quel moment j’ai dit quelque chose qu’il ne fallait pas. Je me suis contentée d’énoncer trois faits. Avérés.

Alors il m’invite tout de même à entrer dans son humble demeure, « Et j’ai encore quelques jours » braquant à nouveau mon regard vers lui, j’hésite à articuler un « Pour ? » parce que je ne vois pas le rapport avec tout ce qui a été dit. Je commence à croire qu’il me parle dans une autre langue aujourd’hui. Mais oui ! C’est ça ! Cannes lui a brûlé les neurones et on en a perdu notre même longueur d’ondes ! « Alors c’était bien ? » que je demande en avançant dans son salon, constate que sa colocataire n’est pas là, peut-être dans sa propre chambre ou bien chez le fameux petit copain. « Je croyais qu’elle t’avait agressé. » Preuve de mon incompréhension face à ses derniers agissements. T’as un syndrome de Stockholm ou c’est comment ?