Chanceuse,  c'est ce qu'elle ressent, lorsqu'elle met les pieds dans ces bureaux une semaine sur deux. À chaque trait de crayon porté sur un croquis, à chaque coup d'aiguille ou mesure prise. Chanceuse d'être ici, à courir après ses rêves. Chanceuse pour cette opportunité unique qui continue de s'offrir à elle jour après jour. Sentiment de gratitude qui laisse pourtant place à la panique à l'instant où ses yeux se posent sur ton téléphone. — Quoi ? Elle arrive pas à y croire Daisy, ou plutôt n'en a pas envie.  — Pas maintenant, non non non... Pire timing possible que de se retrouver sans modèle homme à moins d'une heure de sa présentation devant Madame Ackerman, Et sans le moindre backup. À moins que... Le regard va et vient à droite comme à gauche dans les pièces adjacentes, jusqu'à se poser sur lui. Plutôt grand, carrure moyenne... — Ça pourrait le faire... Ça doit le faire. Elle n'a pas d'autre choix que d'y croire, traversant les différentes pièces pour rejoindre sa cible et s'arrêter juste derrière lui. Le dos droit et la tête haute, elle se racle brièvement la gorge pour attirer son attention. — Bonjour. Formule de politesse accompagnée de son plus beau sourire, son arme pour ce matin. — Je peux vous aider ? Proposer son aide avant de lui demander la sienne, toute une stratégie basée entièrement sur... l'improvisation.

Le temps presse. Les recours lui manquent. Elle est dans de beaux draps Daisy. Pourtant, même quand tout semble fichu, pas question pour elle de baisser les bras. Jamais. Pas avant d'avoir tout essayé. Pas avant d'avoir convaincu ce charmant jeune homme de lui sauver la vie. D'ailleurs, impossible de se remémorer son prénom, bien qu'elle se souvienne l'avoir rencontré le jour de son arrivée à Harvard. Argh. Foutue mémoire. Elle a beau fouiller, ça ne lui revient pas. Alors elle se contente de sourire, plus qu'elle ne le faisait déjà, lorsque, contre toute attente, il lui demande réellement son aide. — Je peux vous montrer. Mais Madame Ackerman n'est pas encore arrivée. Sinon elle serait déjà en train de s'arracher les cheveux et pleurer toutes les larmes de son corps en pensant à ce bel avenir réduit à néant. — Ou... On peut y aller ensemble quand elle sera là. Dans une heure. Je dois la voir aussi. Le sourire angélique qui n'est plus, elle ne le quitte pas des yeux, paraissant soudainement beaucoup plus confiante. Comme si elle avait quelque chose derrière la tête. — À vrai dire, je dois lui montrer quelque chose... Laissant durer le suspense un peu plus longtemps, elle avance de quelques pas, le temps nécessaire pour trouver le courage qu'il lui faut. — Et j'aurais vraiment besoin de votre aide. Le regard presque suppliant, elle joint ses deux mains comme pour appuyer ses propos. S'il te plaît, ne dis pas non.

Où est-elle ? Pas là sont les mots que veulent prononcer ses lèvres, mais elle se retient. Où est-elle ? À vrai dire, elle n'en sait rien Daisy. C'est plutôt le genre de question qu'il faudrait poser à son assistant, ce qu'elle n'est pas. Alors elle ne répond pas, se contentant de pincer les lèvres en le regardant s'offusquer. Merde. Est-ce qu'il compte s'en aller et la laisser en plan, là tout de suite, parce qu'il a mieux à faire ailleurs ? Compréhensible. Il ne la connaît pas et une heure... ça peut passer vraiment lentement quand on a rien à faire. Ou très vite, quand on joue son avenir et sa future carrière. — Au contraire... Sourire plus timide, de peur de le froisser, elle se rapproche encore, l'observant de la tête aux pieds. — Tu es grand... suffisamment grand... et avec la bonne carrure... Un parfait modèle de remplacement. Les bras s'élèvent vers lui, les deux mains prêtes à triturer le col de sa veste. Elle se ravise à la dernière minute, laissant retomber ses membres supérieurs le long de son corps lorsqu'elle croise son regard. Déformation professionnelle. — Je dois présenter mes créations à Madame Ackerman dans une heure Et mon modèle homme vient de me lâcher, à la dernière minute.... Il doit déjà voir où elle veut en venir, elle serait prête à le parier. Question trop délicate pour être posée, elle marque une longue pause avant de se jeter à l'eau. La poitrine qui se serre à l'idée qu'il puisse refuser. — Tu voudrais bien jouer le mannequin ? Juste pour quelques instants.... Trop stressée pour se rendre compte qu'elle s'est mise à le tutoyer? Il a une heure à tuer. Reste plus qu'à espérer qu'il accepte de tuer le temps de cette façon.

De toutes les réponses possibles, le rire est celle qu'elle n'attendait pas. Au mieux, il accepte et au pire, il l'envoie balader. Dans sa tête, seulement deux options. Mais lui, lui, il faut qu'il fasse les choses autrement. Et qu'il se mette à rire en la regardant. Rien d'amical là-dedans, elle le sait. Trop habituée, les fantômes du passé qui résonnent encore dans sa tête. Prise de court, oui. Énervée, vexée, aussi. Parce que ça n'a rien d'amusant. Bien sûr qu'il ne la connait pas alors pourquoi s'embêterait-il à l'aider hein ? Elle comprend, Daisy. Mais s'il se trouve ici aujourd'hui pour voir Madame Ackerman, monsieur devrait être en mesure de comprendre que dans ce milieu, l'avenir peut voler en éclats en un instant. Peu importe la véritable raison qui l'amène ici. Les yeux légèrement plissé, elle soutient son regard, les deux bras qu'elle croise contre sa poitrine. C'est quitte ou double désormais. Soit elle lui propose quelque chose de suffisamment intéressant et remporte le défi, soit elle échoue lamentablement et c'en est fini pour elle. Mais que lui offrir en contre-partie ? De l'argent. Non, il en possède sans doute plus que ce qu'elle pourrait lui donner. Une tenue gratuite ? Non plus. Merde, merde, merde. Elle a quoi à lui offrir, à ce mec... ? Quelque chose qu'il pourrait potentiellement vouloir après qu'on le lui ait mis sous le nez. — Un date. En échange, tu gagnes un date. Bombe posée sur la table avec toute l'assurance du monde, une lueur de défi dans les yeux. Elle attend sa réponse après avoir joué ses dernières cartes. Elle. C'est la seule chose qu'elle a à lui offrir.

Le deal semble plutôt simple, en apparence. D'un côté comme de l'autre. Parce qu'un date n'engage à rien. Et que revêtir quelques tissus durant trente minutes ne demande pas d'effort particulier. Pourtant, elle n'est sûre de rien Daisy. Fake it until you make it.  C'est ce qu'elle fait depuis toujours. Depuis qu'elle s'est donnée la force de faire bouger les choses. Balancer la première chose qui lui vient à l'esprit en espérant que tout fonctionne comme elle le souhaite. Quant en réalité, elle n'a pas la moindre idée ce qui pourrait contenter ce mec. Et encore moins ses goûts en matière de personnes. Respiration prise en otage, elle s'autorise à expirer lorsque le verdict tombe. Intéressant ? Elle ne se serait donc pas trompée. À moitié soulagée, son visage n'en reste pas moins de marbre. Le coeur qui palpite à nouveau lorsqu'il lui fait comprendre qu'elle n'a pas encore gagné la partie. Loin de là. — Rien que je ne porterais pas moi-même. Si les vêtements étaient taillés pour un gabarit comme le sien, bien sûr. Mais elle comprend la question Daisy. C'est normal, elle ne peut pas lui en vouloir. — Je vais te montrer. Si tu veux bien me suivre... Sourire poli sur les lèvres, d'un signe de la main elle l'invite à la suivre avant de se diriger vers l'atelier où mètres à mesure, morceaux de tissus et ciseaux traînent un peu partout. Sans attendre elle se dirige vers un siège sur lequel reposent deux housses à vêtements transparentes. — Tiens. Je te laisse y jeter un coup d'oeil... Qu'elle lance avec le plus grand sérieux du monde en déposant la première house dans ses mains. Celle-là même qui contient une robe. Elle déconne. Jaugeant sa réaction en attendant qu'il découvre la supercherie, la véritable tenue toujours en sa possession.