Une virée tous frais payés, un voyage auquel il n’aurait jamais pu prétendre dans d’autres circonstances faute des limites qu’il s’impose pour finir en beauté son année…  Mais voilà qu’il s’est trouvé une mécène sur qui compter, malgré tout ce qu’en dit son cadet. Le brun préfère se faire lui-même une idée des gens sans se fier aux paroles des autres à présent et même si c’est à ses dépens.

Pour le moment il n’a pas trop à se plaindre. Débarqué depuis quelques jours, il accuse toujours autant la différence de température à laquelle il a bien du mal à se faire. Alors ce soir il prend son mal en patience en attendant que la fraicheur ne vienne flirter avec l’atmosphère, jouant à l’un des jeux qu’il a exigé à la réception, premier caprice d’enfant gâté qu’il n’a jamais été. Les parties s’enchainent et il en perd la notion du temps. Cependant bien loin de chez lui, ses vieilles habitudes ne l’ont pas quitté, appliquant les quelques règles et principes établis chez Haiwee : un silence radio le concernant, luttant contre l’envie de grogner lorsqu’il est bon dernier et le son de la télé réglé au minimum pour ne pas déranger.

Mais voilà qu’au bout d’un téléchargement la porte de l’une des chambres s’ouvre très lentement dans son dos, ses pupilles vacillant sans pour autant se retourner vers la source. Il n’est pas rare que la rousse découche ou trouve un prétexte pour bouger jusqu’à la cuisine alors qu’il est concentré : généralement c’est armée d’une coupe de champagne qu’elle retourne se coucher, ou de l’eau depuis peu ce qui commence à le faire douter… Mais cette fois c’est jusqu’au canapé qu’elle a décidé de se trainer pour se poser juste à coté sans rien dire et subitement d’une voix assez douce lui demander : « T’as une seconde manette ? » Ses iris sombres ont roulé sur le côté, surpris par sa requête pour sourciller en déclinant ses traits vers elle, sa partie mise temporairement en pause. « Mais tu sais jouer ?? » Surprenant venant de sa part au point de laisser le kirkland hésitant. Ce n’est pas en intégrant les quelques principes de base qu’elle pourra enchainer les frags et leur faire gagner le combat. Mais puisqu’elle a l’air décidée et insistante, autant lui laisser pour une fois les commandes, lui tendant la sienne en regrettant déjà ses statistiques. « Joystick droit pour te déplacer, le gauche pour la vue. B pour t'accroupir. »  Durant une seconde alors qu'il y joue depsui des années, il a hésité sur les deux derniers, devant mimer avoir la manette en main pour pouvoir se les rappeler. « X pour sauter. Et gâchette droite pour tirer. » Mais puisque le jargon du geek n'est pas en option à l'université, il se doit de lui montrer, apposant ses phalanges sur celle de la pfo pour d'une pression faire une brève démonstration et se redresser en lui glissant, le visage rivé sur l'écran: « Moi non plus je n'y arrive toujours pas. Dans une heure, j'espère que ce sera bon, » que les températures seront un peu plus clémentes vis-à-vis du pauvre garçon.

Il s’est retenu de la lui prendre des mains pour lui montrer les différentes fonctionnalités avant de trouver un autre sujet sur lequel débattre et s’occuper : la chaleur de l’endroit, un climat auquel il ne se fait pas. « Dans une heure ? » Il espère au plus profond de lui que les températures ne fassent comme durant l’été dernier alors qu’il campait parfois dans des endroits crasseux, chez des civils, aux dépend de la courtoisie de particuliers. Tandis qu’elle prend ses marques et fait ses ongles sur les joysticks il se redéroule la bobine du film de son SE, un peu nostalgique de cette compétition dans laquelle il s’était fait piéger. « Je suis censée faire quoi ? » Un coup d’œil rapide sur l’écran d’accueil et une notification s’ouvre, l’instruit d’un message d’un autre joueur qui souhaite l’inviter à une partie déjà amorcée. Hors de question qu’elle les rejoigne parce qu’ils sont tous de rang gold ou diamant : elle ne ferait pas long feu et s’énerverait bien trop rapidement. « Tu déclines. » Oui mais voilà, lui connait le mode opératoire, la façon de procéder alors il ne pense pas dans l’absolu à lui préciser le comment et le pourquoi mais face à son hésitation, il précise d’un seul mot comment faire pour refuser. « Croix. » BoutonToaster pourra patienter jusqu’à une prochaine fois. « Le début de ton Spring break se passe bien ? » Il se recouche lourdement de biais sur l’accoudoir pour observer le menu de chargement. Bien qu’ils y aient mis le prix, le réseau est loin d'être parfait, lague un peu ce qui réduit les chances de gagner le jeu.  

D’une main qui va s’insinuer dans ses cheveux il se maintient ainsi en appui en attendant la suite des hostilités, se laissant bercer par l'harmonie des quelques cris des derniers perroquets éveillés qu’il a pu observer sur les antennes des toitures durant la journée. En rien farouches, certains, les plus petits, venaient même se rafraichir dans les fontaines de la ville malgré les visiteurs tout autour. « Vivre la nuit ici c’est presque le seul moyen de survivre, » trop abruti pour avoir une seule seconde songer faire comme ces volatiles alors qu’il y a une piscine au rez-de-chaussée. Voilà, la barre de download semble se finaliser, il est temps de rapidement la briefer sur les objectifs qu’elle va devoir atteindre. « Le but, tu tues l’équipe adverse. »  Ils ne seront que quatre par équipe mais les frags vont vite s’enchainer surtout si elle ne bouge pas et campe comme une planquée. Chaque personnage bénéficie de ses items, de ses armes et de ses modifications personnelles apportées mais le seul moyen de les repérer facilement reste ce halo, bleu ou rouge selon la team, qui entoure finement l’avatar. Mais il n’a plus le temps de l’expliquer lorsque la partie s’amorce alors il préfère tout englober. « Ne te fais pas chier. Tires sur tout. »

La catastrophe il préfère éviter de la regarder de face parce qu’au premier « Merde. » craché, il comprend que son palmarès va vite dégringoler, un curriculum vitae virtuel qu’il faudra entièrement reprendre une fois qu’ils seront rentrés. Un tic nerveux le prend au premier coup presque mortel qu’elle a par chance esquivé, portant sa paume devant ses yeux pour s’éviter une embolie.  Les minutes s’écoulent et lentement son coude s’affaisse plus par fatigue que par espoir de la voir évoluer : il sait très bien qu’une telle chose est impossible, lui-même ayant dû user de ses doigts des heures durant pour gagner suffisamment d’expérience avant de pouvoir faire gicler les premiers gouttes de sang. « Gagné ? » Impossible qu’il a dit et pourtant cette voix au travers de l’écran vient les déclarer grands vainqueurs de cette partie. Victoire et les quatre coéquipiers dont son propre avatar se présentent dans une vue d’ensemble. Il a alors ce regard complètement hébété et absent, fixé sans réagir sur l’écran pendant qu’elle lui refile la manette entre les mains. Avec un peu plus d'attention, il comprend bien vite le pourquoi d’une telle satisfaction chez elle et relit les différents scores de chacun… Tous sont de grades bien supérieurs aux siens, des fous de la gâchette qui ont conduit cette novice jusqu’au succès, un simple coup de chance. « Wendy Witter, et j’excelle dans tout ce que je fais. » Lentement il a détourné son visage vers elle, toute confiante, en inspirant longuement. Mais curieusement il ne lui a que souri, n’a rien ajouté de plus au risque de la vexer et de faire de leur nuit un véritable enfer, connaissant un peu son caractère.  

« T'as des projets pour la fin de l'année ? » Pression faite sur l’une des commandes et voilà qu’il réamorce une partie, cette fois pour lui tandis qu’il reconsidère son avenir après l’avoir écoutée. « Ben. Déjà obtenir mon doctorat. » Une formalité puisqu’il n’a jamais échoué mais c’était au prix de nombreux sacrifices, sa vie sentimentale foutue complètement de côté. « Si je l’ai peut-être que je pourrais me détendre cet été, »  et pourquoi pas reparticiper à l’une de ces compétitions puisque depuis des années, faute de révisions acharnées, il ne fait que de les louper, passant à côté de choses qu’il pourrait apprécier. « Et toi ? Toi aussi tu quittes Harvard après. »  C’est leur dernière année à tous les deux et jusque là il n’avait jamais songé à un après. Pensif devant leur télé, il ajoute sèchement et sans transition : « Trouver un job aussi. »  Il acquiesce machinalement de la tête à sa propre réflexion mais n’en est pas pour autant convaincu parce qu’il n’a aucune expérience ni piston et se voit déjà terminer vendeur de hot dog dans la rue.

 Extrapoler sur l’avenir lui donne un peu de quoi réfléchir même s’il y avait déjà songé, se trouvant une voie de garage au plus vite pour garder son autonomie et cette belle illusion de liberté. Jamais rien n’est acquis, rien de définitivement perdu non plus, c’est l’une des théories qu’il chérie mais toute sa concentration est soudainement regagnée par l’écran de chargement qui vient de s’évaporer. La partie commence et la première chose qu’il fait est de trouver une arme plus appropriée sur la map que, par cœur, il connait. « Directeur de labo. » C’est une utopie et bien qu’il soit plongé dans son jeu, les yeux balayant l’écran à la recherche d’un ennemi, il saisit l’importance de ses mots et sent subitement le poids de Wendy s’étioler du canapé. Pour toute réponse il a ce léger ricanement, à peine un son émis du tréfond de sa gorge pour lui signifier que sur lui elle se méprend totalement. « J’ouvre tout une nouvelle aile pharmaceutique avec l’évolution de mon entreprise. » Celle qui excelle dans tout ce qu’elle entreprend qu’elle a dit hein… Une lubie qu’elle pourrait très vite regretter et il le sait pour avoir matraqué nombre de boutures et plants durant ses jeunes années. Les débuts ne sont jamais couronnés d’un franc succès et il faut laisser le temps au temps pour acquérir sagesse et compétences. Cela dit, il conçoit silencieusement qu’elle pourra toujours effacer ces erreurs d’une simple signature sur son chéquier.

« C’est toi que je veux. » Un frag net et précis mais cette fois-ci, la balle, c’est lui qui se l’ai prise. L’avatar tombe à terre mais il n’en a que faire, arquant un sourcil face à autant de témérité pour se retourner, son bras allant s’appuyer sur la têtière du canapé. « Oui alors…. Dans la vraie vie, on commence toujours… »   en bas de l’échelle, tout comme dans son jeu et il n’y a que les tricheurs qui parviennent à casser les codes et les règles. Sauf qu’il s’arrête net en la regardant, les mots happés par ce que son passé lui évoque. Wendy n’a jamais eu à gravir les premiers échelons, bien née dont l’intérêt pourrait lui profiter. « Je n’ai aucune expérience. Je ne sais pas mener une équipe. »   Il ne saurait même pas quoi leur dire durant un débrief ou bien durant la pause-café et encore moins les motiver à se bouger. Le charisme d’une huitre dans le corps d’un mutant. A cette conversation dérangeante vient se greffer son malaise vis-à-vis de la température ambiante. Alors il éteint la console pour s’adosser mollement contre les renforts de l’assise, les doigts étreignant l'extrémité de son t-shirt pour se ventiler. « Ça devient crevant cette chaleur. »