- Celeste, tiens ma main.

La nuit était désormais tombée sur Londres et Ambre, qui n'avait jamais eu aussi peur pour elle qu'elle avait peur pour son fils aujourd'hui, serra fort sa main et pria pour que rien ne puisse jamais les séparer de nouveau. Elle savait que ses rêves étaient utopiques et ses prières inutiles - d'ailleurs, elle n'avait jamais cru en Dieu - mais elle aimait espérer qu'un jour ils vivent ensemble, qu'un jour elle ait la force de prendre soin de lui. Qu'un jour elle oublie son histoire, fasse face au futur, et a ce qu'il avait de plus beau à leur offrir.

En toute honnêteté, Ambre n'avait jamais aimé les enfants. Elle avait longtemps été de ceux qui ne leur accordait ni regard, ni sourire, ni attention, et les évitait constamment (dans le métro, pendant les courses, dans les médias). Plus jeune, on lui avait dit qu'elle n'en aurait jamais et elle avait su faire une croix dessus, mais ne pouvait se résoudre à faire comme si de rien était. Tout cela la faisait bien trop souffrir, tant souffrir qu'elle préférait être prise pour un monstre puis ne plus y penser.

Seulement il y avait Céleste désormais. Céleste qui était son fils. Céleste qui était relié à elle par une sorte de lien plus fort que tout, un lien dont elle ignorait les pouvoirs mais qui ne pouvait être brisé, qui ne pouvait être entaché. Céleste était né le 1er mai 2001, et avait été accueilli par des bras chaleureux et sûrs - les Van Cutsem. Les Van Cutsem étaient des gens respectables, qui mangeaient avec plusieurs couverts et qui étaient toujours très propres sur eux. Ils faisaient partie de la famille royale d'Angleterre et malgré tout ce qui pouvait être dit sur eux, c'étaient également des personnes admirables, au grand cœur et avec qui il était impossible de s'ennuyer. Il avait essayé un an. Deux ans. Trois ans, avant de se résoudre à adopter. Céleste était pour eux l'enfant idéal - blond aux yeux bleus, un petit bébé diaphane qui ne ferait pas tâche à leur réputation que, malgré son allure conservatrice et réactionnaire peu appréciable, les Van Cutsem tenaient à préserver. Ces derniers avaient pris Céleste dans leur bras, remercié Ambre chaleureusement, puis s'étaient retirés. C'était de cette manière qu'Ambre voulait que ça se passe - pas d'une autre. Elle ne voulait pas s'attacher, elle s'était attachée cependant. Tous les ans, elle passerait une journée avec son fils, tel était l'accord prononcé entre les parents adoptifs et la mère biologique de l'enfant. Tous les ans, c'était peu. Le reste du temps, elle recevrait des cartes et des photos. Au départ, elle en recevait toutes les semaines. Cette habitude se raréfia - elle n'en recevait plus que tous les mois, puis aux grandes occasions.

- Maman, regarde.

Tirée de ses pensées par son enfant, Ambre esquissa un sourire et passa sa main dans ses cheveux courts et doux (vraiment doux). Ce 'maman' lui déchirait le cœur, mais elle l'ignora.

- Oui mon fils ?

Céleste souffla et un nuage blanc comme neige sorti de sa bouche rouge sang. Tremblant, il désigna du doigt la Tamise et agrippa le bras de sa mère.

- Ca brille. Maman, pourquoi tout est plus beau la nuit ?

- La nuit, mon chéri, les mauvaises choses sont cachées par l'obscurité. Seules les plus belles choses brillent, éclairées par la lune - l'eau, et le visage des gens que tu aimes.

Glacée par le froid hivernal, Ambre serra Céleste contre elle, avant de le prendre dans ses bras. Si on lui avait laissé le choix, elle serait restée là à jamais, avec son fils, et ne l'aurait jamais rendu à sa famille. Elle lui aurait dit de la suivre, de courir, de ne jamais se retourner, mais elle ne pouvait décemment pas faire ça. Demain à l'aube, elle devrait se lever, prendre le premier avion et commencer sa nouvelle vie, loin de là, à New York. Sa vie de jeune femme, sa vie d'adulte, comme si elle n'avait jamais donné la vie, comme si elle n'avait jamais commis de telles erreurs.

- Allez viens, il faut rentrer maintenant.