Moi je suis le genre de mec qui aime explorer, découvrir toujours plus. Le genre de type un peu lunaire aussi, capable de se perdre parce qu'il a suivi une étoile, une étincelle ou même un papillon. Je laisse faire le chaos de ma vie, et c'est un bien beau bordel mais j'aime ça. J'aime pas les maisons témoins, les intérieurs impeccables, les esprits rigides. Moi j'aime la dévastation, l'insaisissable, l'intense. La vie est une aventure. Pirate des temps modernes. J'ai laissé le stop et les déambulations me conduire jusqu'ici. Enfin, ici, c'est je sais même pas où mais c'est mignon. Il y a de grandes maisons, le genre de baraques qu'on rêve tous de s'acheter un jour, qui nous appartiennent l'espace d'un songe et qu'on remet en jeu. Je m'imagine, habitat d'artiste, de branleurs en bonne et due forme, de la musique, de la peinture, des tatouages en veux tu en voilà, la liberté. Sourire de petit con rêveur aux lèvres, j'écarquille les yeux droit devant moi. « Putain... » la bouche est entrouverte, comme le poisson mordant à l'appât, qui réalise sa connerie. Un poney droit devant moi. Un mini truc. Les shetlands là. Il va sur la route. « Mais il va se faire buter ce con. » Bah ouais c'est dangereux et bien que moi-même ce soit pas le genre de trucs qui me fait reculer, j'ai mon petit côté bardot qui pince. « Comment je vais faire.... » Je suis presque soulagé quand je vois qu'il a un harnais, au moins je pourrais accrocher mes doigts sur sa tronche... Mais c'est pas très commode ces engins là... Voilà que je me souviens que j'ai une pomme dans mon sac, et je sais que les nains chevaux ils ont une passion pour la bouffe. Absolue. J'ai sans douté été nain poney dans une autre vie. « Hey... » Je claque la langue. « Jolly Jumper !! » Paie ta référence de boomer, mais c'est tout ce qui me vient... « Viens ici !! » Au début, il s'offusque, la crinière un peu aérienne en mode, non mais je suis pas un poney facile qu'est-ce que tu crois ? Puis finalement, y'a l'odeur du fruit qui dresse ses oreilles, allume ses mirettes et voilà qu'il frétille. Parfait plan qui se déroule sans accroc... Je suis tellement fier de mon cerveau là en cet instant. Encore plus que la première fois où j'ai réussi un exercice de calcul mental face à Lana Melgrove. Cette pimbêche... Il se fait pas prié Jolly pour croquer le fruit défendu et je lui caresse le museau. « Alors... on se fait une virée comme ça ? » Je sais pas à qui il appartient, mais peut-être à cette maison là ? Ça m'a pas l'air d'un poney sauvage. Je me décide à sonner. Je veux dire ma maturité est déjà bien suffisante, même si il appartient pas à cette maison, je me repose sur des cerveaux plus adultes. Une jeune femme ouvre la porte et descend jusqu'au petit portail alors que j'attends avec le nimbus un peu impatient. « Hey Salut, il est à vous ce poney ? » Si c'est pas le cas, je vais avoir l'air d'un fou, ce sera pas la première en vrai, et peut-être loin de me douter que mon apparition est en quelque sorte un clin d'oeil d'un autre fantôme en ces lieux...

J’étais pas prête pour le clin d’œil, pour le come back d’un souvenir bien stocké dans ma mémoire. Je les ai classés, des plus précieux aux plus superflus. Toi, là haut, j’ai foutu tous nos éclats à la meilleure place, première classe sur le passé heureux. Les gens sont chiants, si tu savais. Je m’ennuie avec la majorité d’entre eux. Soit ils m’irritent, soit ils me lassent. Me laissent, aussi. Une lettre. Les plus beaux, flamboyants, partent pour ailleurs. A croire qu’on se fane ici, qu’il faut se casser avant de fondre dans le macadam gris anthracite. Je deviens un meuble dans cette baraque. Elle est mon repos et mon tombeau. Elle était digne de toi, de vous ; mais ne l’est plus de personne. Trop grande, trop vide, les battements lents de mon cœur résonnent fort et m’assomment. Les médocs, aussi peut-être un peu. C’est pas la joie, ici. Seule dans le royaume, je m’accroche à des signes. Pas de tableaux animés ici, mais des esprits de passage. Des fantasques qui sonnent au portail. Je m’y attendais pas, à celle-ci. Quand la toile s’assombrit, c’est au stabilo rose fluo qu’on me réhausse le paysage. On cherche pas le bon goût, juste quelques nuances de l’arc en ciel, une danse, un rire ; un rictus, au moins. Quand j’ouvre la porte et que j’te vois au loin. Pas le bon “te”, mais j’suis prête à accueillir tous ceux que tu choisiras. J’ai de la farine dans les cheveux, sur mon sweat estampillé SPA, j’suis définitivement la paumée du coin. La mère de famille dépassée, sauf que j’ai pas de gosse. Juste un poney et une chèvre, qui sont devenus rapidement bff, si j’peux me permettre de préciser. Parfaite compatibilité. Sauf que comme dans toute amitié, y a parfois quelques accros, une incompréhension qui a sûrement motivé le plus fringuant à quitter le terrain. A moins qu’il ne soit parti chercher un bouc pour une petite surprise à son cher binôme. Qu’importe. J’me fais quelques scénarios, entre le perron de la maison, et le portail. Cette scène pourrait paraître irréaliste pour la plupart des gens ; pas nous. “Ca t’es pas venu à l’idée qu’il était peut-être au régime ?” Ouais, poney qui mâchouille, des morceaux dégoulinent de sa bouche, qu’il essuie avec délice sur le pantalon de l’envoyé. J’essaye de faire la meuf un peu énervée, mais ça me déchire un rictus amusé, cette grosse trace de bave. “Il préfère les vertes.” Il en perd moins, quand il mange des pommes vertes. “C’est possible qu’il soit à moi.” Les bras croisés, je m’amuse. Bien consciente que j’me contredis de phrases en phrases. “Il a été mignon et bien éduqué, ou pas ?” Comme si ça allait déterminer quoi que ce soit. Le mien n’est qu’une boule d'effronterie, pour faire honneur à tous les poneys, et surtout son ancien maître-daron.

Et voilà qu'elle descend, blondinette enfarinée. Mère au foyer ? Ou complètement déglinguée comme moi ? Je sais pas, mais j'aime immédiatement ça vibe. Je suis ce genre de personne avec qui en face ça colle ou pas. Pas de nuances, pas de zones bizarres qui font hésiter. « C'est un fruit, c'est healthy ! » Bah ouais une pomme, c'est bon pour la santé. Je souris, déséquilibré par Jolly qui reconnaît sa proprio. « J'avais que ça Madame ! Et moi je vais avoir faim en plus. » Comme si une pomme allait me caler mais faut bien que je fasse un peu de drama. « ah ! » Je suis soulagé, au moins, je l'ai rendu direct au proprio. Je regarde la bestiole, le jauge, comme si il allait comprendre ce que je vais dire. « Il ne répond qu'à une loi. Celle de son estomac. » Faut dire que c'est la seule raison pour laquelle il a bien voulu me suivre. « Et franchement, je le comprends. » Je me soumets au même règne. La bouffe c'est sacré. « Trop sympa votre maison, vous habitez là depuis longtemps ? » Faut connaître un endroit pareil mais ça vaut le détour. « Vous voulez que je vous aide à le remettre dans votre jardin ? » Je pense que tu sais faire, mais je sais être serviable comme garçon.

La bête est indépendante, elle est fière et surtout fugueuse. Au début j’m’inquiétais, puis, j’me suis dis que lui aussi, avait le droit à sa part de liberté. De quel droit, j’bloque un poney entre des fils électriques ? J’ai tout enlevé, j’ai installé des haies, une barrière qu’il ne faut pas trop pousser pour la faire céder. Si l’extérieur est trop tentant, alors il a le droit à une permission de quelques heures. Une heure tout au plus, généralement, puisque les gens n’sont pas habitués à tant de liberté. Les menottes, ça les choque moins que le bruit de sabots sur les trottoirs. Mais toi, t’as l’air de venir de j’sais pas où, en tout cas d’un endroit qui me plairait sûrement. La bouche plissée en une légère grimace amusée, j’écoute tout ce que t’as à me balancer. “J’ai compris, t’as faim.” Ton ventre mentionné deux fois en trois minutes, j’ai capté le message. J’dois sentir à moitié le gâteau, en plus. Va falloir faire gaffe à ma peau tendre. “J’rentre la bête, faut que j’règle le problème de couple avec la chèvre.” Est-ce que t’entendras encore une fois dans ta vie cette réplique ? J’en doute. Mais j’le sais, que tout vient de là. Un problème dans le duo, et faut qu’on ai une discussion tout les trois. “Quelques années, c’est un cadeau.” Répondu, un sourire fugace mais lumineux à la bouche. D’y penser, ça fait ressortir les couleurs. J’attrape le licol et je commence à faire quelques pas. “Tu peux rentrer et regarder si les muffins sont cuits !” Pas une question, un programme que j’te refile. Et, un accès que je ne donne que rarement. Pourquoi toi ? Pourquoi pas, après tout. On m'a ouvert ces portes il y a longtemps, sans autre raison qu'une danse.

Je sais pas quel âge tu as. Je dirai que t'es pas loin de moi, je sens d'ailleurs l'âme encore gamine, mais le décor autour, je saurais dire pourquoi, ça fausse le jugement, ça donne une importance qu'on peut trouver qu'avec la maturité. Enfin dans ce que moi je peux imaginer... Je me gratte la tête tout à coup gêné par mes allusions qui n'étaient pas fines du tout. « Merde, ça se remarque tant que ça ? » Je me marre, pour la finesse et la délicatesse, on repassera. « Je crève la dalle, mais c'est un état plutôt permanent chez moi. » Qui en a fait rager plus d'un , parce que c'est bien simple, j'ai toujours quelque chose à manger et je prends absolument pas de poids. Certains me disent que ce sont les belles années, alors je tente de profiter. « La chèvre ? » J'écarquille mes yeux , comme si le truc était déjà pas hallucinant. « Stylé. » Ouais moi j'aime l'imprévu, les cases qui se cochent pas, la brouille qui s'affirme, quand on sait pas où aller. La vie c'est fait pour être surpris non ? « Ok Chef ! » Je prends mon rôle très au sérieux, comme si c'était tout à fait naturel que tu ouvres la porte de chez toi à un inconnu. Je me faufile à l'intérieur, sentant mon ventre gargouiller encore plus alors l'odeur du sucre et de la pate cuite gagnent en ampleur. Je cherche un couteau, puis finalement vérifie, les muffins qui ma foi semblent parfaits. J'éteins le four, et les sors pour les laisser reposer. Je laisse mes yeux naviguer voyant des objets plutôt funs, j'aime trop même si c'est un peu vide. On dirait un peu que cette maison n'est que l'ombre d'elle-même...