Débat interne quant à la meilleure stratégie à adopter. L'aborder à un bar, ou encore lors d'une séance de sport ? Pas assez marquant aux yeux de la rousse, qui devait amener leur rencontre comme une coïncidence impossible à remettre en doute. Attirer son attention, sans pour autant avoir à se présenter à lui. Lui qui venait tout juste de quitter l'immeuble, en face duquel elle poireautait secrètement au loin depuis une heure. Maintenant. Marche confiante, avant qu'elle ne sente son sac être arraché de sa main juste devant les portes de l'immeuble. Un timing impeccable. Légèrement bousculée par l'homme dans le processus, elle finissait à terre, ne pouvant tenir l'équilibre, perchée aussi haut. L'habitude de porter des talons depuis vingt ans, ils n'avaient plus de secret pour elle. Assez habile pour tomber sans se faire réellement mal, mais la longueur du talon donnait à cette chute plus de crédibilité quant à une possible blessure à la cheville. La tête relevée, elle avait bel et bien attiré l'attention de sa cible. Et lui commençait à regarder ailleurs, dans la même direction que le voleur avait pris pour s'échapper à grandes enjambées. – C'est trop tard, laissez tomber. Fausse grimace qui s'en suivait, se rappelant qu'elle était censée avoir mal à la cheville. Pas réellement sûre qu'il aurait daigné courir après le sac, mais dans le doute, il restait préférable de le décourager pour se concentrer sur elle. Le véritable piège.

Le roi, impeccable. La chemise qui revient du pressing, le costard, la seule différence entre un bal et le taff, c’est qu’il s’abstient de cravate ou noeud pap’. Le dressing est monochrome. L’appart est témoin. Le type est seul. Mais son téléphone, lui, enchaîne les notifications. Le pro, j’entends. Une oreillette vissée, et le boulot ne le quitte jamais ; le bureau, l'ascenseur, le trottoir. En transparence, vous pourrez voir dans son crâne les chiffres qui s’agitent. J’ai jamais vendu que c’était le plus fun, d’être dans la tête d’un Ellington. Mais c’est solide, un Ellington, c’est lucide, c’est méfiant ; sauf quand on lui met sous le nez une occasion d’être un chevalier beaucoup trop preux. J’vous rappelle que j’suis le mec qui a sauvé son rival éternel, d’un coup de scalpel dans ma peau. Un idiot. Un beau, en costard. Qui assiste à la scène tellement bien jouée, tellement télévisuelle, qu’il en a l’adrénaline qui réveille les nerfs, les orbes qui suivent l’auteur, le corps déjà tourné vers une poursuite. Stoppé par une réplique pleine de sens. Puis, la trace de douleur sur les traits féminins, en cerise sur la décision prise par ces pas non engagés. Le corps s’incline, les doigts tendus pour être attrapés si besoin. “Laissez moi vous aider.” J’suis bon là-dedans, les mains tendues. “Vous êtes blessée ?” Sur une échelle entre une poche de glace et les pompiers, j’essaye d’évaluer sans en avoir la compétence. Mais le regard alterne, entre elle et la direction de fuite. Incapable de juste laisser tomber. Le problème d’une vie. “Votre téléphone.” Hm ? Ouais, j’vous dis, son bien le plus précieux. “Votre téléphone, il est dans votre sac ?” Quitte à ne pas courir, autant le localiser et appeler les effectifs de police locaux. De vieux restes.

C’est fou ce qu’on pouvait louer comme service, avec un peu d’argent en jeu. Certainement la seule association qu’elle s’autoriserait avec les malfrats, pour servir son intérêt. Le sien, toujours, avant tout le reste. Dans ce cas précis, l’intérêt était grand. Le plan était simple et truffé de malhonnêteté. Rien qui n’était pas dans ses cordes. Tous les partis semblaient disposés à compléter leur rôle à merveille, celui du voleur qui la pousse suffisamment pour la mettre à terre. Elle qui feinte la femme en position de faiblesse. Sans surprise, il mordait à l’hameçon. Sourire qu’elle tentait de réprimer, laissant la grimace décorer son visage. – Non, ça va aller.. Merci. Réponse incertaine, la main tendue qu’elle attrapait pour se relever doucement. Jouer la confusion lorsqu’il mentionnait son téléphone, pour voir parfaitement où est-ce qu’il voulait en venir. Il était vif, qu’elle notait. Lui confirmait qu’il fallait redoubler d’efforts pour le duper. Ses mains qui glissaient jusqu’aux poches de son manteau pour vérifier, sachant parfaitement où il se trouvait. – Euh, je crois qu’il est resté dans mon sac. Et lui, expert en domaine informatique, allait l’aider. N’est-ce pas ? Appui qu’elle prenait sur ses pieds, perte d’équilibre. Sa main qu’elle posait sur le bras d’Ellington. – Finalement, je crois qu’il y a un problème avec ma cheville. J’ai du mal à marcher. Jouer sur la fausse cheville faible. Chirurgienne qui savait parfaitement comment répliquer les attitudes de personnes blessées, à force d’en voir passer dans son service.

Crétin crédule, qui en manque d’héroisme, boirait n’importe quelle histoire qui le placerait dans ce beau rôle. Un jour, ça me fera chuter, cette quête du reflet plus glorieux. Ce syndrome du sauveur, comme si dans la balance des actions, je cherchais à faire gonfler les bonnes, pour compenser tant bien que mal les saloperies qui pèsent si lourd, de l’autre côté. Y a du taff pour pas jouer aux échecs avec Lucifer. Il faudra davantage qu’une main tendue et qu’un bras solide, où toi l’inconnue tu peux t’y accrocher. Les orbes perdues vers la direction de fuite, j’alterne avec toi, ce qui ne me rend efficace, ni dans l’un, ni dans l’autre rôle. “Ah c’est bien ça !” L’apprenti policier gagne sur l’infirmier, un instant. Trop enjoué pour raisonnablement se lancer dans une carrière d’empathique. Rattrapé, d’un enchaînement : “Enfin non, pas pour vous, mais pour votre sac à main, c’est mieux.” Disons qu’on passe d’une chance nulle, à une minime. On entrouvre la porte qui était fermée. Et, je ne pense qu’à ça, jusqu’à sentir ta présence sur mon bras, voyant l’inflexion de ton corps, tordu par la douleur. J’en libère mon bras pour venir encadrer ta silhouette sans la toucher, juste au cas où, et récupère délicatement ton poignet pour continuer à servir d’appui. “Appuyez vous sur moi, on va aller s'asseoir à l’intérieur.” Du bâtiment, abritant mon précieux. Et non, j’parle pas de mon gosse. Faire entrer la louve dans la bergerie, en l’escortant. Riez. J’devrais le savoir, que les plus redoutables revêtent les plus charmantes apparences. “Vous voulez que je fasse appeler les secours ?” Le plus raisonnable. J’en grimace légèrement, en regardant la démarche bancale. “Je n’ai que de la glace à vous proposer, et j’suis pas certain que ça suffise.” Le moins raisonné. Inutile de te perdre dans la bergerie, voit comme je t’ouvre directement l’antre du roi.

Le sourire réprimé face à celui qui, sans surprise, pensait à jouer de ses compétences pour lui venir en aide. Se contenter d'hocher la tête, la confusion imitée pour la victime qui était censée ne rien connaître de lui. Presque trop facile, de trouver la corde sensible. L'homme et son égo, association légendaire. Cette idée qui lui avait parcouru l'esprit dès lors qu'elle avait posé les yeux sur lui, à travers quelques photos. L'impression d'y découvrir le même visage que ceux qu'elle ne connaissait que trop bien. Le monde à leurs pieds, le besoin d'être galvanisé au travers d'une bonne action. Façon vicieuse de s'y infiltrer, les traits du visage tirés par la fausse douleur. Si dévouée dans sa mission qu'elle commençait à ressentir de réelles douleurs à la cheville. C'est fou ce dont l'esprit pouvait se persuader. Et elle qui s'attendait à devoir batailler davantage, se retrouvait très vite acceptée dans son espace vital. Sa béquille pour l'heure, qu'elle suivait pour être guidée jusqu'à l'intérieur du bâtiment. – Non, ce sera pas nécessaire. Les yeux posés sur sa montre, comme préoccupée par le temps. – Une pause avec une bonne dose de glace suffiront, je dois retourner travailler d'ici peu. Bourreau de travail. Tout comme lui, non ? Une conscience professionnelle semblable avec laquelle elle espérait nouer un lien, tisser un premier point commun. Les portes qui s'ouvraient à eux, la chaleur retrouvée. – Vous rentrez souvent dans le premier bâtiment venu ? La société Ellington qu'elle faisait mine de ne pas associer à lui. – Et pourquoi est-ce qu'avoir laissé mon téléphone dans mon sac est une bonne chose, au juste ? Assez remise du choc pour poser les bonnes questions, cette fois-ci.

S’en est tirer sur le cliché, c’est presque indigne, de pécher un poisson qui se jette comme ça dans l’épuisette, presqu’heureux d’avoir son moment de gloire ; ridicule bestiole qui s’rendra vite compte qu’à la lumière on ne respire plus. L’ambition de celui qui n’a démarré de rien, et qui veut tout. L’ambition d’un type qui a tout misé sur une réussite, une seule, puisque toutes les autres s’effritent. Laissez moi prendre un peu de soleil, avant de me terrer à nouveau avec mes amours en métal. L’empathie est réelle, bien qu’emmêlée dans ce désir nombriliste de jouer aux sauveurs, encore une fois. C’est c’que diront tous les psys. Mes épaules, je les aime quand elles servent, mes bras, quand ils soutiennent. Devenu béquille, j’en embrasse le rôle avec brio, présentant les diverses solutions. J’aurai bien le temps de remarquer combien les traits d’en face sont attrayants, quand j’aurai fini de jouer aux enquêteurs infirmiers. Plus l’un que l’autre. Par contre, j’l’entends, cette priorité que tu balances. Oublier le corps et ses défaillances pour être à l’heure, zapper tout ce qui peut ressembler à un obstacle, pour persister dans son objectif. Spoiler alert, c’est comme ça qu’on finit avec un cœur abimé. Dans tous les sens du terme. La leçon, j’la connais mais j’l’ai pas écouté, j’l’écoute toujours pas. Et j’ai toujours ce sourire crétin, quand en face on réplique dans ma langue. “J’comprends, on va faire vite.” Pas forcément bien, mais qui s’en préoccupe ? On s’engouffre dans l’immeuble, et mes pas guident les tiens jusqu’à l'ascenseur, carte passée, portes ouvertes, et étage des bureaux de direction choisi. “On va dire que j’ai mes entrées.” Soufflé, un fin sourire amusé à la bouche, quand enfin il pose réellement, ses orbes sur elle. “Avec un peu de chance et beaucoup d’amateurisme du type, il va peut-être être possible de le localiser.” Même pas besoin de beaucoup de talent. Pourtant, j’en ai. “Sauf si vous n’avez pas activé votre localisation. Mais tout le monde le fait.” Et j’compte sur le fait que tu sois tout le monde. Probable erreur. Une de plus. Les portes s’ouvrent sur mon décor. Mon bras, encore présenté. “J’ai mon bureau au bout du couloir, ça ira pour marcher jusque là ?” Mais, après un pas dans le couloir, une idée. “Non j’ai mieux, attendez !” Les traits s’animent, le rictus est gamin quand la silhouette se mouve rapidement jusqu’au bureau de la secrétaire en pause déjeuner, dont est extrait le siège à roulettes. Le présentant d’un geste théâtral, comme destrier de choix, à l’invitée d’un jour. Les derniers éclats d'un gosse, sous le trop grand costard d'adulte.

Faire vite, là ça résonnait. Dans l’idée de partir assez rapidement, éviter de traîner en longueur au risque d’attiser la curiosité, la question en trop. En donner un peu, juste assez pour marquer sans pour autant prolonger leur rencontre. – J’imagine mal un professionnel voler un sac dans la rue en plein jour. Sans doute un pauvre type. À qui elle avait offert beaucoup d’argent pour rendre ça crédible. Mission réussie, quand on voit où elle se trouvait. À l’intérieur des locaux qu’elle avait longuement observé à travers quelques images sur internet. Pas le même effet que de les voir en réalité, elle qui s’attardait sur les alentours, toujours faussement étourdie par le choc. La tête acquiesce, pour le suivre. Avaler ses paroles. – Ah, votre bureau.. Je comprends mieux. L’arrêt net pour l’observer s’activer dans tous les sens, pour mettre en évidence une pièce qui n’avait rien d’un grand bureau de directeur. – Vous êtes le stagiaire, c’est ça ? Le sourire taquin, pour marcher difficilement jusqu’au bureau ouvert à proximité. Il pensait à son confort, à quelque chose de pas trop loin. Elle en aurait presque été touchée, si elle n’était pas si focalisée sur son but de le nuire. L’appui pris sur le bureau, pour soulager sa jambe foulée. Assez vu de patients blessés pour savoir reproduire leurs comportements. – Merde, je viens de réaliser. J’avais eu quelques problèmes avec ma localisation.. en bref, je l’ai désactivée récemment. Quel dommage.