Je ramasse les morceaux de mon coeur dévasté alors que je m’adonne à du rangement dans le box. Un message sur mon téléphone antédiluvien me rappelle à son bon souvenir, m’offrant une information que j’avais purement et simplement passé sous silence : la fin d’année. Mieux encore, l’invitation au Manoir des Harcourt où ma présence n’est pas seulement désirée, mais attendue. Impossible d’y couper et mes lèvres laissent échapper un léger soupir, tandis que mon rangement se transforme bientôt en fouilles archéologiques. Le but ? Trouver une tenue qui ne soit pas trop cheap, mais pas trop affriolante non plus. Le pince-fesse aura lieu chez des membres de la noblesse anglaise, il n’est donc pas question une seconde d’avoir l’air d’une fille de joie. Hélas pour moi, rien collant à cette description n’est présent au sein de mes affaires… il ne me reste donc qu’une seule solution : trouver une robe à la dernière minute, et me promettre de la rapporter dès le lendemain. Mes maigres moyens ne me permettant pas de m’assurer un logement décent, ce n’est donc pas pour faire la folie de claquer une montagne de deniers dans une robe que je ne mettrais sûrement qu’une seule fois… à toute vitesse, je m’adonne à de nouvelles fouilles digne d’Indiana Jones, mais cette fois dans les magasins des quartiers huppés. Autant dire qu’il ne me reste que très peu de temps afin d’exécuter une coiffure et un maquillage décent. Je me pointe pile à l’heure sur le perron de la propriété, dont la taille semble vouloir m’écraser tel un insecte. Au départ, ma voix se trouve bloquée à l’intérieur de mes cordes vocales, la timidité étant la mienne m’oppressant comme pour me faire payer mes péchés passés. Ma peur ? Que Matthieu me rejette, alors qu’il en aurait toutes les raisons et les droits du monde. Bonsoir, je cherche Monsieur d’Harcourt... que je demande d’une petite intonation, alors que son majordome me pointe le grand parc bordant l’immense demeure. Je crois que je me fiche bien d’être épaules nues, mes talons aiguilles me portent dans un élan qui m’étonnent et me donne l’impression de flotter. A peine s’exprime-t-il qu’un sourire naît sur mon visage de poupée, dont j’ai tâché de dissimuler bleus et cernes avec un maquillage approprié. Je ne voulais pas... que je commence avant de faire quelques pas supplémentaires en levant les mains, prête à subir son jugement. Je ne voulais pas vous déranger. Mes iris émeraudes s’humidifient d’autant que la joie de le retrouver m’envahit, puissante et sans appel. Je vais vous laisser mais je voulais… vous souhaitez une bonne soirée... Mon menton se baisse, tout comme mon regard. Le contempler droit dans les yeux, j’estime ne pas en avoir le droit.

Mes joues me donnent l’impression d’être en feu alors que Matthieu s’excuse. Je ne suis pas habituée à ce que l’on prononce ces mots, davantage à ce que l’on me prenne pour cible et que l’on me force à m’excuser. Il n’y a rien à pardonner. Bien que… je ne sois pas habituée à ce que l’on s’excuse devant moi. J’ose un franc sourire avant d’esquisser plusieurs pas dans sa direction, sans m’imposer, simplement afin de combler un rien de cette falaise escarpée que je sens toujours entre nous et qui fend mon cœur en milliers de blessures. Mon culot ne me permets pas de le regarder dans les yeux plus de cinq secondes d’à filée, et néanmoins je ne voudrais être nulle part ailleurs. Ses propos provoquent même un très léger rire cristallin, qui passe la barrière de mes lèvres sans même que je ne cherche à le retenir. N’ayez crainte, je pensais me trouver un endroit bien caché afin de ne subir ni nobliau un peu trop alcoolisé ni ceux qui pensent que je sors du MIT... que j’énonce dans un trait d’humour qui m’étonne d’abord moi-même. Faut-il que je sois armée de tout mon courage pour oser m’exprimer ainsi, sachant que je me trouve face à un héritier de famille noble. Je ne… voulais pas manquer de respect à votre famille cependant... Je retourne aussitôt à la contemplation de mes chaussures à talons, que je détaille à l’extrême de mes yeux clairs et fuyants. Je voulais dire que l’on me considère ainsi sûrement parce que mon propre père ne m’a jamais présentée qu’ainsi : un morceau de viande juste bon à éponger ses dettes. Le ton de ma voix se fait murmure, et si je ne relève le menton, ce n’est qu’à cause de la surprise. Matthieu vient de me complimenter et pour un peu, je n’y crois pas. Vous me trouvez… jolie ? M… moi ? Vous êtes certain de ne pas vous tromper de… personne ?

Un très maigre sourire étire mes lèvres délicatement maquillées. La réaction de Matthieu me fait certes plaisir mais me rappelle ô combien que le mensonge a assez duré. La fuite ne m'a jusqu'ici menée nulle part, et le hasard, prêt à se moquer de moi à tout instant, continue à placer cet homme sur le chemin boueux et accidenté étant le mien. Mes iris de jade se tournent vers le sol, et la honte fait battre mon coeur avec tant de force que ma poitrine en revient douloureuse. Je crois me souvenir qu'avant, tu me considérais comme hautaine... alors que j'étais simplement intimidée par toi Lorsque mes yeux se relèvent pour croiser ceux de l'héritier de mon cœur, mes prunelles s'humidifient instantanément. Mon père m'a vendu au tien pour éponger la liste vertigineuse de dettes qu'il traînait tel un boulet à sa cheville. Avant cette nuit, cette fameuse nuit... c'est ce que je pensais. Incapable de faire un seul mouvement, mon corps se contente de trembler telle une feuille alors que j'essaie de maintenir le contact visuel. Je n'ai pas osé t'avoir la vérité jusqu'à lors. J'avais peur que... tu me haïsses. Que tu me chasses à jamais de ta vie. Et pourtant ce serait justifié... La fête bat son plein dans la demeure des Harcourt, mais dans mon esprit, c'est un tsunami. J'hésite à aller au bout de mon désir de franchise, car il n'existera pas de retour en arrière possible. Ce... ce n'est pas tout que je reprends d'une voix brisée, rassemblant tout le courage dont je suis capable afin de poursuivre. Après notre nuit... je te portais en moi... Je porte mes mains à mes bras nus pour tâcher de lutter contre mes tremblements. J'étais enceinte de trois mois quand j'ai eu cet accident. Il y avait beaucoup de pluie... mon petit frère était très en colère. Je... ne me souviens même plus à quel sujet. J'ai perdu le contrôle suite à une violente douleur. La voiture a fait de nombreux tonneaux... j'ai perdu connaissance. Lorsque je me suis réveillée, mon petit frère avait pris un chemin où je n'ai pu le suivre. Comme notre bébé... De longues larmes s'écoulent le long de mes joues pâles et froides, et pourtant mon regard ne quitte pas le sien. Je viens de t'offrir la possibilité d'annuler ce mariage et de reprendre ta vie... c'est... tout ce que je mérite. Ta haine et ton dédain. J'accepterai... sans rien dire...