20h. La nuit était déjà tombée sur Boston depuis quelques heures déjà. Une nouvelle nuit glaçante sous un ciel couvert. Ne sachant pas à quelle heure Ach terminait exactement, j'étais arrivé en avance. Cheveux grossièrement attachés, le bonnet sur la tête, les écouteurs sur les oreilles et la veste sur les épaules, j'étais appuyé contre le mur du bâtiment en attendant qu'elle sorte. Le nez sur mon téléphone et la musique dans les oreilles, je surveillais mes affaires en répondant sur Meets de temps à autre. Je repensais à la conversation que j'avais eu avec Ava... Et quelque chose se tordait dans mon estomac, je craignais d'avoir cette conversation. Pourtant je devais l'avoir, pas à travers un écran mais bien en face en face... Mais avais-je assez de courage pour ça ? Ce n'était pas ce qui me caractérisé le plus.  

Battant la musique avec ma tête, les yeux à présent dirigés vers le ciel, je commençais à voir les premières personnes sortir du bâtiment. Je me décolle du mur, enfonce mon téléphone dans ma poche pour finalement enlever mes écouteurs. Puis je guette sa sortie. Le froid commençant à geler mes extrémités. Faisant un petit saut pour essayer de réveiller mon corps engourdi, je la vois arriver et son visage s'illumine en me voyant apparaître dans son champ de vision. Instinctivement mon corps répond à son sourire, un sourire se voulant chaleureux et rassurant. Me penchant vers elle, mon bras passa dans son dos, l'espace d'un instant, réminiscence de cet été passé. Comme un doux rêve qui avait été chassé par l'aurore. J'avais aimé cette relation, rempli de paradoxe. Douce mais cachée. Elle s'était terminée et nous avions gardé de bon contact, mais je n'étais pas aveugle. Je voyais à sa manière de me regarder que ses sentiments n'avaient pas changés à mon égard.

La relâchant doucement, je sens ses lèvres sur ma joue alors que je me redresse. Acquiesçant légèrement, un rictus se dessine sur la commissure de mes lèvres. De rien. Comment ça s'est passé ? Je voulais être là pour elle, la voir sortir de cet enfer dans lequel elle s'est enfoncée. Mais je ne sais pas comment m'y prendre. Je ne suis pas psy. Alors je fais ce que je pense être le mieux. Je reste à ses côtés pour la soutenir. J'attrape mon sac et lui tend une thermos de thé bien chaud.

Je connaissais pas mal de chose sur la vie d'Ach... Il ne fallait pas beaucoup pour qu'elle en parle... Comme un fardeau trop lourd à porter qu'elle cherchait à partager avec n'importe qui prêt à l'écouter. A écouter sa douleur. J'avais toujours doué pour écouter les gens. J'essayais de trouver le positif dans toutes les situations. C'était ainsi depuis mon plus jeune âge. Pourtant avec le temps, je devenais de plus en plus pragmatique. Le passé apportant son lot de désillusion. Moi qui avait aimé être dans la lumière, je me réfugiais à présent dans les ténèbres. Voile d'obscurité réconfortant, là où personne ne pouvait deviner ma présence.

Très peu de personnes connaissaient mon histoire. Je n'en parlais pas. Contrairement à Ach, je ressentais le besoin d'intériorisé mon passé. Je ne voulais pas qu'il me définisse. Les autres n'avaient pas à décider de ma vie pour moi. Je n'étais pas une marchandise. Je n'étais pas un déchet de la société.

Enroulant mon bras autour des épaules de Ach pour la saluer, je libère finalement ma prise avant d'acquiescer en souriant. Si elle arrive à parler de ce qui l'enchaine, j'aime croire qu'elle arrivera petit à petit à se libérer de ses démons. Cool ! Ca t'a fait du bien ? Posant une main sur sa tête un instant pour l'encourager à continuer dans cette voie. Lui proposant d'un signe de tête de commencer à marcher. Je glisse le sac sur mon épaule pour finalement répondre à son interrogation. Ca va... Il y avait bien un peu de nouveau mais ce n'était pas le sujet de la discussion de ce soir. Pas de voiture cette fois-ci, elle est au garage pour une révision actuellement, ça sera le métro.

La situation était compliquée pour beaucoup de personnes à beaucoup de niveau. Achlan avec ses addictions dont elle n'arrivait pas à se débarrasser. Ezio qui commençait à perdre pied sur la situation de sa sœur. Moi qui devait avoir une discussion avec elle pour mettre les choses à plat. Et pourtant j'étais là. J'étais toujours là. Comme je lui avais promis à l'époque. Peut être parce que j'aurai aimé qu'on fasse la même chose pour moi à l'époque ? Mais ce n'était pas le moment déterrer les vieux démons du passé.

Lorsque je regardais Ach, je voyais le poids que ses parents lui avaient fait porter sur les épaules. Me renvoyant à ma propre histoire. A la différence que la sienne n'était encore pas une page tournée. Toujours à la recherche de cette excellence qui ne faisait que la détruire. Cela faisait quelques temps qu'elle me parlait d'entrer en cure, même si c'était plutôt une bonne chose, ce n'était pas gratuit à ma connaissance et elle n'avait clairement pas les finances pour assurer derrière...

L'écoutant, ma main se pose sur son épaule l'espace d'un instant en signe de soutien. Pour finalement me mettre en marche vers le métro, le vent le souffle dans le nuque, s'engouffrant sous mes cheveux, me faisant frissonner. Et je l'entends me dire qu'elle a envie d'un verre. Je marque la pause avant de me tourner dans sa direction, la toisant du regard, un soupire s'échappant de mes lèvres. Ce n'est pas de cette manière qu'elle va s'en sortir... Mais je ne suis pas médecin, encore moins psy, qu'est-ce que j'y connais au final. Pourtant cette demande sonne comme une mauvaise idée à mes oreilles. Un seul verre... Et j'y veillerai...

Descendant les marches du métro pour aller dans un autre quartier, je hausse les épaules qu'elle me relance sur sa question. On approche de la fin de l'année, je n'aime pas cette période. Ce qui est une fête pour la majorité ne l'est pas pour moi. Je pense à mes sœurs que je ne verrais pas encore une fois cette année. Montant dans le métro en sa compagnie, je m'appuie contre l'une des barres du métro, jetant un coup d'oeil à mon téléphone pour savoir où descendre.

Cela faisait partie des plus gros problèmes de ma vie. Mon cœur s'attachait très vite aux personnes qui arrivaient à le faire battre. Et c'était ce qu'il s'était passé avec Ach. Un feu de Bengale hors de contrôle qui avait donné lieu à une histoire éphémère d'un été. Lorsque l'esprit avait repris le pas sur le cœur. Réalisant le côté déraisonnable de cette relation. La différence d'âge, le fait de faire en cachette d'Ezio comme des enfants pris en faute. Ca ne pouvait pas continuer sur le long terme. Je ne voulais pas couper les ponts avec elle pour autant car même si ce n'était plus de l'amour, l'affection était encore là.

Mon passé est un fardeau très lourd à porter que je n'aime pas partager en parlant. Je l'exprime d'une manière différente. A travers le texte de la musique. Passion secrète que je ne partage qu'avec des inconnus. Créant une connexion avec eux par mes compositions et non pas par ma personne. Une carapace qui m'était essentielle ces dernières années.

Un soupire s'échappe de mes lèvres lorsqu'elle me parle d'alcool. Dans un contexte normal, je n'aurai pas dit non. Mais je connais la dépendance d'Ach et ça ne me plait pas. Mais je sais aussi qu'un sevrage brutal à l'alcool est mortel donc je peux juste essayer de réguler sa consommation Les mains dans les poches, je descends les marches du métro. Mes épaules se haussent alors que je secoue la tête. T'excuse pas.

Le métro part en direction de Waterfront. On va au Black Rose. Tu y as déjà été ? Pourquoi là bas parti plutôt que City Center ? Même si l'endroit était sympa, l'ambiance ne poussait pas à la consommation. Levant les yeux vers la carte, je calcule le nombre d’arrêt qu'il nous reste. Et le temps dans le brouahaha des tunnels avant d'arriver à destination. On navigue dans les couloirs pour sortir avant que je ne brise finalement le silence. Ach, il faut que je te pose une question.