L'envie d'être ailleurs est tellement forte que la nausée manque de me secouer de part en part. Tout en moi hurle : la détresse, le froid, la douleur. L'impression de me retrouver des dizaines d'années en arrière, alors que je tendais fébrilement ma main d'enfant de l'époque, à la recherche d'un peu de chaleur humaine. Celle de mon corps semble s'être dérobée à l'instant même où un pied s'est posé près de cette soupe populaire. La détresse que je lis sur chaque visage hurle en moi plus fortement encore. Je voudrais fuir. Disparaître. Faire au moins un pas en avant ou en arrière, mais je me trouve là, planté tel un piquet de gare, à frotter mes paumes glacées l'une contre l'autre dans l'espoir vain d'arrêter de trembler. Les secondes s'égrènent sur le cadran et je n'ai toujours pas bougé. On m'a déjà remarqué, du moins plusieurs sans abris et autres aidants se sont tournés vers moi sans véritablement comprendre pourquoi je suis incapable de bouger. La donne me convient très bien, aussi je baisse mes prunelles d'ambre vers le sol pavé contre lequel je me trouve, et sursaute presque en entendant une voix féminine si proche, qui en prime s'adresse à moi. T'en poses souvent des questions débiles aux gens à qui tu sers la bouffe ? Cette réplique est aussi mauvaise et venimeuse que la morsure d'un serpent, mais c'est fait exprès : je ne veux pas que l'on m'accoste, je ne veux pas que l'on s'intéresse à moi. Et, plus fortement encore, je veux que toute cette vérité qui m'éclate en pleine gueule disparaisse alors que je fermerais les yeux. Dégage, je t'ai rien de... Alors que je m'apprête à dégueuler une nouvelle pique bien acérée, je suis interrompu par une toux persistante, que je contre à l'aide de ma main sans gant, qui se retrouve bientôt teintée de rouge. Toute colère fond aussitôt comme neige au soleil, alors qu'une larme s'échappe bientôt pour couler contre ma joue pâle et froide.

Malgré toute la douceur du monde, Zelda avait vu des personnes dans la plus grande des détresse. Elle savait que la vie n’était pas facile et que, même si sa situation actuelle ne lui permettait pas d’aider financièrement quelqu’un, elle pouvait au moins lui proposer de quoi se rassasier et pouvoir se réchauffer. Ce n’était pas grand chose pour les gens qui en avait les moyens mais pour les gens comme elle, c’était beaucoup. Elle avait remarqué, ce grand brun l’air timide dans un coin et ne savait pas trop quoi faire puisque ce dernier ne déniait pas  bouger. Alors, elle avait attendu que presque tout le monde soit servit pour venir lui apporter à manger. Est-ce qu’elle s’attendait à être rejeté de la sorte ? Absolument pas, mais ce n’était pas la première fois qu’on lui parlait aussi mal. Une petite moue s’afficha sur son faciès, déçue de cette réaction. En général quand on venait ici, c’était surtout pour être aider des gens, pas pour les envoyer balader… Elle s’apprêtait donc à retourner à son poste quand elle l’entendît tousser, arquant un sourcil quand elle vit cette teinte pourpre tâcher la main avec laquelle il avait essayé de cacher sa bouche. Sans un mot, elle fit quelques pas pour revenir avec des serviettes et les poser également sur la table à laquelle il était posé. — Ça devrait pouvoir te servir. Elle ne voulait pas encore se prendre une réflexion négative en pleine figure pour l’avoir simplement aider. Après tout c’était simplement de la gentillesse et non de la pitié. Zelda se gratta la gorge avant de mordre sa lèvre inférieure. — Tu voudrais que j’appelle un médecin ou quelque chose pour ça ? Pointant du doigts les tâches de sang sur sa peau halée. Il ne fallait pas avoir honte de demander quoi que ce soit, ici personne ne jugeait personne, simplement se nourrir comme chaque soir, certains depuis beaucoup trop longtemps pour qu’elle ne puisse les aider dès leur arrivée.